Entre les quartiers ultraorthodoxes de la banlieue de Tel-Aviv, les villages du « triangle » arabe, ou les localités où vivent les communautés de bédouins du Néguev, on peut avoir l’impression de passer d’un pays à l’autre. La crise du coronavirus ne fait que renforcer ce sentiment alors qu’elle révèle, en Israël peut-être encore plus qu’ailleurs, les dysfonctionnements, inégalités ou discriminations qui structurent la société. Elle met surtout en relief le fait que l’État israélien ne lutte pas contre le virus de la même façon en fonction des différents territoires, en raison de son désinvestissement par rapport à certaines communautés pour des raisons politiques ou idéologiques. L’épidémie met Israël face à ses propres incohérences. Alors que 5 591 cas ont été détectés, et 21 morts enregistrés, derrière les chiffres nationaux se trouvent des réalités locales disparates.
Les Palestiniens d’Israël représentent 20 % de la population totale en Israël et sont particulièrement présents au sein des infrastructures médicales : des statistiques officielles publiées par le quotidien Haaretz indiquent qu’ils représentent 17 % du total des médecins, 24 % des infirmiers et 47 % des pharmaciens. Une composante essentielle du corps médical, et donc de la capacité de réponse du pays face au virus.
Pourtant, la communauté arabe d’Israël est également celle qui pourrait être le plus touchée par le virus en raison des discriminations dont elle fait l’objet. La majorité d’entre elle vivent dans des villes ou villages arabes moins bien intégrés au reste du pays, avec un accès moindre à l’information et au service public. Les municipalités y sont moins bien préparées que les localités juives avec notamment des capacités moindres pour former le personnel médical aux situations d’urgence. De manière symbolique, le ministère de la Santé a mis plusieurs semaines avant de se décider à publier en arabe sur son site les informations concernant l’épidémie de coronavirus. « Les citoyens palestiniens d’Israël ont été victimes d’un système discriminatoire depuis la création de l’État. Cela implique qu’ils ont un budget municipal moindre, moins d’accès aux systèmes médical et éducatif : ils sont moins bien équipés que leurs compatriotes juifs pour faire face à ce virus », estime Tarek Baconi, analyste au sein du Crisis Group.
Jusqu’à présent, seulement 1 % des contaminés en Israël ont été enregistrés au sein des localités arabes. Mais le chiffre est trompeur, dans la mesure où il pourrait d’avantage s’expliquer par l’absence de dépistage parmi ces communautés, ou encore par la peur d’une stigmatisation sociale : une récente cartographie des contagions publiées par les autorités sanitaires indique en effet que des régions arabes avec peu de cas se situent dans la proximité immédiate de régions juives considérées comme des foyers de contamination. Dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est, certains déplorent l’absence de tests de dépistage ou encore le fait que des habitants ayant été exposés au virus ne reçoivent pas de messages leur recommandant de s’isoler. « Le fait que des kits de dépistage ont été mis à disposition des communautés palestiniennes seulement lundi, des semaines après que le gouvernement les ait mis en place pour les communautés juives en dit beaucoup », note Tarek Baconi.
(Lire aussi : Du petit-lait pour Greta, l'impression de Fifi ABOU DIB)
Divorce avec les laïcs
Malgré le risque d’une explosion de cas, la situation dans les communautés arabes reste pour l’instant sous contrôle. Ce n’est pas le cas des communautés juives ultraorthodoxes, dont le taux de contagion élevé fait les gros titres de la presse israélienne depuis plusieurs semaines. Dans ces milieux souvent défavorisés sur le plan économique, déconnectés des médias nationaux, et dont les habitants vivent dans des régions densément peuplées, l’État peine à faire appliquer sa loi face au poids des autorités religieuses. Une situation ancienne qui est le résultat « de facteurs religieux, sociaux et économiques qui ont façonné la relation de cette communauté avec le gouvernement », note Tarek Baconi. Les synagogues, pourtant rapidement identifiées comme des lieux à haut risque, sont longtemps restées ouvertes. Avec ses 200 000 habitants, Bnei Bark, un quartier ultraorthodoxe de la banlieue de Tel-Aviv, est devenu l’un des symboles forts de ce divorce entre la communauté et les autorités laïques du pays – la semaine dernière, le nombre de cas enregistrés y était multiplié par huit en seulement trois jours, une croissance bien au-delà du taux national.
La communauté juive ultraorthodoxe est pour l’instant celle dont le taux élevé de contagion alarme le pays. Mais d’autres communautés isolées pourraient également être frappées, sans pour autant avoir accès aux mêmes infrastructures sanitaires. Parmi elles, les communautés de bédouins du Néguev, ou encore les demandeurs d’asile africains qui, à Tel-Aviv ou à Jérusalem, vivent dans des conditions précaires. « Une percée de l’épidémie pourrait avoir des conséquences dans n’importe quelle communauté. Mais l’absence de système de santé approprié rend particulièrement vulnérable la communauté de bédouins », observe Tarek Baconi. Si l’État israélien a pris des mesures fortes pour lutter contre le Covid-19 et qu’il dispose de moyens importants pour le faire, notamment sur le plan technologique, le fait qu’il ne puisse pas appliquer la même politique sur tout son territoire pourrait, à terme, compliquer sa mission. « Le virus ne fait pas la différence entre les communautés, une percée dans l’une d’entre elles rend plus difficile la lutte dans une autre », conclut Tarek Baconi.
Lire aussi
Étalage de force du Hezbollah dans sa lutte contre la pandémie
Coronavirus : le Liban est « toujours au cœur de la tempête »
commentaires (6)
Ou est le génie sioniste?p
Eleni Caridopoulou
17 h 09, le 02 avril 2020