L’heure n’est plus aux manœuvres ou aux calculs partisans, qu’ils soient d’ordre politicien ou stratégique. « Nous sommes en guerre », soulignait il y a quelques jours avec insistance le président Emmanuel Macron dans un message aux Français. Cette guerre est mondiale, et l’humanité cette fois-ci est confrontée à un ennemi commun. Mais au plan local, il n’est pas certain que tous les Libanais, notamment parmi certains décideurs politiques de poids, mesurent encore pleinement l’ampleur et les retombées de cette bataille.
Les conséquences de cette « guerre » se manifestent dans l’immédiat au niveau de la santé publique, à l’évidence, mais ce sont aussi les domaines social et économique qui suscitent tout autant de sérieuses inquiétudes. Rien d’étonnant de ce fait que dans les grands pays occidentaux, des décisions fortes aient été prises à cet égard. Le président Donald Trump a ainsi annoncé le week-end dernier un appui substantiel à près de 12 000 petites entreprises américaines afin de leur permettre de surmonter cette épreuve et de préserver les intérêts de leurs employés.
La France, quant à elle, a consacré une aide immédiate de 50 millions d’euros aux plus démunis, parallèlement à l’ouverture de sites de confinement pour les SDF frappés par le virus. Dans son message aux Français, le président Macron a souligné en outre sans équivoque que son gouvernement apportera le soutien qu’il faudra à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, afin d’éviter les faillites en cascade. La Banque centrale européenne, pour sa part, a annoncé un vaste plan financier pour empêcher que la zone euro ne soit touchée par une grave récession. Autant d’indices qui laissent supposer que le Liban ne pourra sans doute plus miser sur les pays amis autant qu’il l’espérait avant l’offensive du coronavirus, du fait des retombées encore difficilement estimables de la paralysie quasi généralisée de l’ensemble de l’économie mondiale.
Le cabinet Diab joue ainsi de malchance. Il est confronté à une crise d’un genre nouveau alors qu’il n’a pas fini de se débattre, déjà avec difficulté, pour trouver le moyen d’affronter le séisme économique et financier qui a atteint le pays de plein fouet l’été dernier. Et d’une manière concomitante, les entreprises locales dans toute leur diversité, à l’instar surtout des salariés et des membres des professions libérales, ont reçu un douloureux et inattendu coup de massue qui est venu parachever le marasme dans lequel tous étaient déjà noyés. L’annonce, hier, par le ministère des Finances de la décision du gouvernement de suspendre le paiement de l’ensemble de ses eurobonds donne une sombre idée de l’ampleur de la débâcle.
Il faut aujourd’hui se rendre à l’évidence et appeler désormais « un chat, un chat… ». Face à la conjonction de ces cataclysmes simultanés, dont les effets superposés et concomitants ont pour conséquence de décupler l’impact de la crise, le slogan « Liban d’abord » est plus que jamais de mise. Le pays ne peut plus se permettre de plomber davantage son économie parce qu’un parti veut se faire le bras armé d’une puissance régionale. Les Libanais ne peuvent plus tolérer d’être pris en otage et de voir la croissance économique se briser le plus simplement du monde, parce que ce même parti veut s’en aller en guerre contre les seuls pays encore susceptibles de leur venir en aide. Le Liban n’est plus en mesure aussi de faire la fine bouche et de jouer au coquet face au Fonds monétaire international, qui reste le principal organisme occidental susceptible d’injecter des capitaux en devises fortes sur le marché local de manière à permettre à l’État de rééquilibrer ses finances publiques, et au secteur bancaire d’opérer un indispensable redressement à son niveau. Il n’est plus désormais tolérable, à titre d’exemple, qu’un crédit de la Banque mondiale obtenu par un ministre de la Santé (en l’occurrence Ghassan Hasbani) au bénéfice des hôpitaux gouvernementaux soit gelé par son successeur, un ministre du Hezbollah, parce que celui-ci a refusé qu’un contrôle soit effectué sur les conditions d’utilisation du crédit en question. L’heure ne peut plus être aux caprices au service d’une « raison d’État » étrangère dont on n’a cure. L’heure n’est plus à l’affairisme aveugle, aux marchés douteux et au clientélisme à grande échelle pour satisfaire des ambitions égocentriques. Les petits calculs partisans et les considérations transnationales, aussi importantes et enivrantes soient-elle, ne sont plus tolérables et n’ont plus leur place. Le Liban mène aujourd’hui une double guerre : contre le coronavirus et contre le lourd passif d’une longue période de non-gouvernance. Le navire fait naufrage. Les décideurs politiques ne peuvent plus se permettre le caprice de faire preuve d’amateurisme ou de se lancer encore et toujours dans des aventures guerrières stériles, dévastatrices et sans horizon au plan strictement national.
commentaires (11)
"... Le cabinet Diab joue ainsi de malchance. ..." Non monsieur. Le cabinet Dib a été mis en place pour encaisser les coups, prendre les dispositions, et implémenter les réformes impopulaires mais nécessaires. Pour laisser ensuite la place pour que les politiciens "traditionnels", véritables responsables du chaos où se trouve le pays, puissent revenir les mains "propres", et recommencer. Bon, le coronamachin n’était certes pas prévu, mais il tombe à pic pour que toute faute soit rejetée sur ce cabinet fusible. Mais malgré tout, ce cabinet a démontré en quelques semaines beaucoup plus de professionnalisme que TOUS (*) les cabinets précédents en 30 ans... (*) TOUS ya3ni tous
Gros Gnon
21 h 17, le 24 mars 2020