La remise en liberté de l’ancien geôlier de Khiam Amer Fakhoury, après l’arrêt des poursuites engagées contre lui pour cause de prescription, continue de susciter la colère d’une grande partie de la population. Hier, des informations ont circulé sur le fait qu’il a été transporté par hélicoptère de l’ambassade américaine à Aoukar vers Chypre, d’où il devrait prendre l’avion pour les États-Unis. Une nouvelle polémique a d’ailleurs été lancée au sujet de la possibilité pour les hélicoptères américains de circuler dans le ciel libanais sans contrôle. En effet, selon des sources qui suivent le dossier, l’hélicoptère aurait obtenu une autorisation de voler, sans toutefois préciser la nature de la mission qui lui est confiée. Selon les sources proches de l’ambassade US, les hélicoptères américains ont le droit de circuler dans l’espace aérien libanais depuis plus de 30 ans, sans avoir à donner de justification. Ils doivent simplement avertir les autorités concernées de leurs déplacements. Pour certains, c’est un nouveau coup porté à la souveraineté libanaise et, pour d’autres, il s’agit d’un détail qui ne mérite pas qu’on s’y arrête, car il fallait s’attendre au transport de Amer Fakhoury en dehors du Liban à partir du moment où il a été libéré et emmené à l’ambassade américaine à Aoukar. Selon les partisans de cette thèse, le plus dur, c’était de trouver la faille légale pour pouvoir arrêter les procédures à son encontre. Une fois qu’elle a été trouvée et que la décision a été prise, il était illogique de croire qu’il pouvait être arrêté de nouveau ou qu’il allait rester caché à l’ambassade...
Selon toute probabilité, Amer Fakhoury n’est donc plus depuis hier sur le sol libanais. Les procédures judiciaires vont donc se poursuivre par contumace. Mais la polémique suscitée par ce dossier ne semble pas se calmer.
Indépendamment des échanges politiques habituels entre le camp qui appuie les options du Hezbollah et celui qui leur est hostile, cette affaire provoque un grand malaise au sein de la base populaire de la résistance. Depuis l’annonce de la décision du tribunal militaire présidé par le général Hussein Abdallah et le transfert de Amer Fakhoury vers l’ambassade américaine à Aoukar, le parti chiite a été mis sur la sellette. De nombreuses questions se sont posées sur sa position véritable au sujet de ce dossier, alimentées par les rumeurs relayées par des parties politiques sur le fait qu’il avait donné son accord.
Deux éléments ont été retenus pour parler d’un accord tacite présumé du Hezbollah sur le scénario adopté pour la remise en liberté de Amer Fakhoury. Le premier porte sur le fait qu’une si importante décision sur un sujet aussi sensible pour le parti pro-iranien n’a pas pu être prise sans qu’il en ait été informé, d’autant que les parties qui ont été sollicitées par les Américains sont proches de lui, qu’il s’agisse du président de la Chambre et chef du mouvement Amal, du président de la République et de son camp, ou encore des instances militaires et sécuritaires. Ensuite, le second élément porte sur le fait que le président du tribunal militaire, le général Hussein Abdallah, a été choisi par le tandem chiite, en remplacement de son prédécesseur le général Khalil Ibrahim passé à la retraite.
L’affaire a provoqué un choc parmi les partisans de la résistance, qu’il s’agisse des anciens détenus de Khiam, des forces progressistes qui avaient commencé à résister contre l’occupant israélien avant même la création du Hezbollah, ou encore de la large base populaire qui considère les Israéliens comme des ennemis et qui n’a pas encore oublié les exactions qu’ils ont fait subir aux Libanais. Selon cette base, accepter un compromis sur le sort d’un agent israélien qui a en plus un passé de tortionnaire à la prison de Khiam, alors qu’il y a un grand nombre d’anciens détenus qui n’ont pas encore oublié ce qu’il leur a fait subir, est inacceptable et ouvre une grande brèche dans la crédibilité de ce parti, au niveau de la légitimité de la résistance.
Le Hezbollah a très vite pris conscience de l’ampleur du malaise provoqué par la remise en liberté de Fakhoury. Il a publié un communiqué dans lequel il condamne très fermement cette décision et la qualifie de haute trahison. Mais malgré tout, les interrogations demeurent.
Selon des sources proches du parti, le Hezbollah avait appris que quelque chose se préparait au sujet du dossier de Fakhoury, mais chaque fois que quelqu’un lui ouvrait le sujet, il répondait qu’il était impossible d’accepter sa remise en liberté. C’est pour lui une question de principe et, en même temps, il pense qu’il ne faut pas créer un précédent. Dimanche soir, le président du tribunal militaire a contacté directement des responsables du Hezbollah pour leur dire que les pressions exercées sur lui sont énormes et qu’il ne peut plus s’y opposer. Il allait donc être contraint d’accepter sa remise en liberté, sans toutefois l’innocenter. Il invoquerait simplement un vice de forme portant sur la prescription. Ses interlocuteurs du Hezbollah ont fermement refusé ce scénario et ils lui ont même dit qu’il ne devrait pas mettre un terme à sa carrière de cette manière, car cela équivaut à un suicide moral et professionnel. Les responsables du Hezbollah ont aussi ajouté qu’il est impossible pour le parti d’accepter pour n’importe quelle raison une telle remise en liberté. Ils ont insisté à dire que cette position était irrévocable et qu’il est impensable de lui demander de faire une concession sur ce sujet.
Le général Abdallah a aussitôt tenté d’obtenir d’autres couvertures politiques, mais il a été laissé bien seul dans ce dossier. Il a quand même maintenu sa décision, en espérant que face à la psychose du coronavirus, l’affaire puisse être vite oubliée. De son côté, le Hezbollah avait compris que la décision avait été prise. Par égard pour les épreuves que subissent actuellement les Libanais, ses médias ont décidé dans un premier temps de ne pas mettre cette information à la une de leurs bulletins. Mais face aux critiques et à la déstabilisation qu’elle a provoquée auprès de sa base, il a modifié ses priorités. Selon les mêmes sources, il ne peut pas accepter que soient mis en doute sa vision sacrée de la résistance et son refus de conclure des compromis sur un dossier aussi important. Il poursuivra donc cette affaire jusqu’au bout et demandera que le CSM réclame des comptes aux membres du tribunal impliqués dans cette décision. Mais il reconnaît qu’il a, dans ce cas précis, perdu une manche...
commentaires (23)
La rédactrice a voulu (gentiment) piéger les lecteurs pour qu'ils disent "oui..yess..ils ont perdu"..pour enfin conforter la version que le parti intégriste islamiste chiite "ne contôle pas le liban" comme accusé. Elle espérait sans doute que les lecteurs sautent de joie de la perte de manche. FAUX: Le hezbollah, refusé par les liban, honni et detesté par les libanais ( hormis les partis pro-syriens connus) n'avait pas le choix: Il a cédé au deal fait entre l'iran et les USA. Puis au liban, pas le choix aussi: le liban pays du quart monde en faillite ne peut que dire "amrak sidna". point final.
LE FRANCOPHONE
20 h 42, le 20 mars 2020