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Culture - Installation

Sommes-nous en enfer, au purgatoire ou en route pour le paradis ?

C’est dans l’univers imaginaire de Dante que Nayla Romanos Iliya, architecte et artiste sculptrice, a puisé toute son inspiration pour son projet d’art public dévoilé il y a quelques jours, sur la place adjacente à l’église Saint-Élie, à Kantari.

Nayla Romanos Iliya en pleine création de l'oeuvre "Enfer", un cylindre en Corten, un acier résistant aux intempéries. DR

L’enfer n’est pas qu’une idée, et il n’est pas que les autres. C’est un pays qui s’arpente et qui se visite dans le but d’atteindre le paradis, après un passage au purgatoire pour reconnaître ses péchés. C’est le message porté par l’installation intitulée On the other side of time (De l’autre côté du temps), que Nayla Romanos Iliya a déployée sur la place publique adjacente à l’église Saint-Élie de Minet el-Hosn (Kantari). Les rares passants en ces temps de confinement total peuvent voir ces sculptures qui occupent un espace de 50 m2, comprenant trois parties, une pour chaque volume du poème La Divine Comédie de Dante Alighieri, à savoir : Enfer, Purgatoire et Paradis, réparties sur trois des quatre plateformes qui constituent la place et culminant à environ 9 mètres au-dessus du sol. Le vernissage de l’installation, qui devait avoir lieu dimanche 15 mars, a été annulé pour éviter les rassemblements et la propagation du Covid-19. L’œuvre d’art a été dévoilée sur les réseaux sociaux à travers une vidéo diffusée sur les fils Instagram de l’artiste (Naylaro manosiliya) et celui de l’agence de communication Mirrosme. L’artiste sculptrice et architecte raconte à L’OLJ les différentes étapes de la réalisation de son œuvre et sa teneur hautement symbolique, philosophique et spirituelle.

Pourquoi avoir choisi cette œuvre comme source d’inspiration ?

Le choix s’est appuyé sur deux critères : il fallait d’abord un thème qui corresponde au site, celui que j’ai choisi étant une place publique faite de plusieurs niveaux face à l’église St-Élie, à Minet el-Hosn, Kantari. Lorsque j’ai commencé à faire mes recherches, je me suis rendu compte que la place et l’architecture de l’église avaient des points communs avec le langage visuel de la Divine Comédie de Dante et de sa conception. La sculpture que j’ai conçue chevauche les trois niveaux. Pour Dante, le chemin est très clair : d’abord descendre en enfer, passer par le purgatoire, pour enfin remonter vers le paradis. Il y a un phénomène d’ascension. Ce cheminement on le retrouve étrangement dans la place qui est composée de 4 plateformes, la dernière étant celle octroyée à la circulation de l’église. Je n’ai donc utilisé que les 3 niveaux. Le second critère était que mon inspiration réponde à l’humeur générale du moment. Ce thème intemporel, celui de mettre en évidence la bataille perpétuelle entre le bien et le mal, était d’actualité. Entre la corruption qui règne au Liban et l’absence totale de conscience où l’individualisme prend le dessus, cette thématique était largement mise en valeur et celle de Dante Alighieri dans la Divine comédie correspondait très bien au message. La Divine comédie, ce chef-d’œuvre du poète italien, a été écrite au XIVe siècle, créant un pont original vers l’époque de la Renaissance. Il faut savoir qu’au départ, l’œuvre portait le titre Comédie, on a ensuite ajouté l’épithète « divine » avec laquelle on a pris en considération la grandeur de l’œuvre, c’est-à dire c’est une œuvre divine. Le poème est composé de trois parties : Enfer, Purgatoire, Paradis. Celles-ci se divisent à leur tour en parties séparées. L’Enfer est composé de neuf cercles, le Purgatoire de sept cadres, le Paradis de neuf sphères de ciel. Tout dans la géométrie de la conception de Dante est circulaire, d’où mon choix de cette installation basée sur le circulaire. Une autre coïncidence fortuite a été que la façade de l’église qui surplombe la place est tout à fait simple, composée d’un mur en pierre et agrémentée de deux rangées de fenêtres circulaires. J’ai vu des signes partout. De plus, la géographie de l’endroit, en tant qu’ancienne ligne de démarcation, symbolisait l’idée de rassemblement et d’universalisme que Dante a prônée.

Comment avez-vous réfléchi à cette œuvre ?

Tout geste créatif a sa raison d’être, rien n’est fortuit. Il arrive qu’un mouvement soit spontané mais toujours réalisé avec beaucoup de précision et de réflexion sous-jacentes. Dante décrit son enfer comme un gouffre. Le mien est un cylindre en Corten (acier résistant aux intempéries), composé de 9 cercles et d’une hauteur d’un mètre comportant un miroir à sa base et terminé par une vitre circulaire permettant au spectateur de regarder à l’intérieur de la structure avec le sentiment étrange d’être aspiré vers les profondeurs. Tout le monde connaît l’histoire de la chute de Lucifer, l’ange de lumière déchu qui tombe la tête en premier et dont la chute provoquera la formation du gouffre de l’enfer, constitué de 9 cercles du plus petit au plus grand, dépendamment de l’importance des péchés. Dans mon installation, deux cylindres oxydés forment les terrasses du purgatoire et sept terrasses correspondent aux sept péchés capitaux. En haut de la montagne (le cylindre le plus haut), on trouve le jardin d’Éden que j’ai représenté par un arbre. Les âmes qui se sont repenties ont droit au purgatoire et grimpent ainsi d’une terrasse à l’autre jusqu’au paradis. Les textures sont différentes. L’anti-purgatoire est en béton et les 7 cylindres qui symbolisent les terrasses ont leur sommet en béton et leur base en béton oxydé. Quand ils s’emboîtent les uns dans les autres virtuellement, la partie oxydée va disparaître et ils formeront une montagne dont le volume est inversement équivalent à la structure de l’enfer. Pour Dante, le paradis se compose de 9 sphères mobiles qui gravitent autour de l’enfer et du purgatoire et dans lesquelles les anges se déplacent. La 10e sphère céleste est immobile, elle représente l’Empirée. Elle est immobile et intangible, et c’est là où réside Dieu. Les 9 anneaux de l’installation en stainless steel mat symbolisent le paradis et le dixième (en finition brillante), placé au-dessus dans un mouvement qui tend vers le ciel, symbolise Dieu.

Il s’agit d’une structure très dynamique, dans un mouvement qui tend vers l’infini. Pour moi, il n’y a aucun doute que le message reste très politique pour exprimer le désir de tout un peuple d’envoyer dans les profondeurs ceux qui, aujourd’hui, ont fait de ce pays un véritable enfer, pour enfin espérer aspirer au paradis…

L’enfer n’est pas qu’une idée, et il n’est pas que les autres. C’est un pays qui s’arpente et qui se visite dans le but d’atteindre le paradis, après un passage au purgatoire pour reconnaître ses péchés. C’est le message porté par l’installation intitulée On the other side of time (De l’autre côté du temps), que Nayla Romanos Iliya a déployée sur la place publique...

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