Lorsque le Premier ministre Hassane Diab a annoncé, samedi dernier, la décision du Liban de faire défaut sur les eurobonds (titres de dette émis en dollars) d’une valeur de 1,2 milliard de dollars qui devaient être remboursés lundi, il a envoyé deux signaux aux créanciers de l’État. Deux signaux dont l’objectif était de souligner la volonté du gouvernement de trouver un accord à l’amiable.
Le premier est qu’il a choisi d’utiliser la formule « suspension du paiement », bien qu’il s’agisse, de facto, d’un défaut. À en croire le ministre des Finances, Ghazi Wazni, le choix de la sémantique est important, car cela signifie que le Liban ne peut certes pas rembourser actuellement ces créanciers, mais ne renonce pas à le faire dans l’absolu et laisse la porte ouverte à des négociations dans ce sens.
Le deuxième signal, et le plus important, et que le Premier ministre a annoncé dans la foulée l’intention du gouvernement de procéder à la restructuration de sa dette. « Des négociations seront menées avec tous les créanciers, selon les normes internationales », a affirmé Hassane Diab. Le gouvernement a d’ailleurs mandaté, à l’issue d’un appel d’offres, deux cabinets internationaux pour l’épauler dans ce processus : Lazard pour le volet financier et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP pour le volet légal. La dette du Liban, c’est-à-dire tous les prêts accumulés par le pays et pas encore remboursés, s’élevait à 91,6 milliards de dollars à fin 2019. La majeure partie de cette dette est en livres libanaises (63,2 %), soit 57,9 milliards de dollars. Le reste de cette dette est en dollars, soit 33,7 milliards de dollars.
À ce stade, lorsque le gouvernement parle d’une restructuration de la dette, il parle plus spécifiquement de la dette en dollars du gouvernement. Si la restructuration de la dette en livres est également prévue par le gouvernement, selon les informations de L’Orient-Le Jour, elle n’a pas encore été annoncée. La dette en livres est quasi exclusivement détenue par des acteurs locaux et ne nécessitera pas l’accompagnement de cabinets internationaux, a indiqué une source gouvernementale à L’OLJ.
Pour la dette en dollars, l’État doit, chaque année, rembourser à ses créanciers une partie de cette dette (quand le montant principal des eurobonds arrive à échéance) et verser des intérêts sur les eurobonds qui ne sont pas encore arrivés à échéance. Le Liban a au moins une échéance à honorer par année jusqu’en 2037, à l’exception des années 2029, 2033, 2034 et 2036. La facture totale (principal et intérêts) s’élève à 4,6 milliards de dollars pour 2020 ; 4 milliards de dollars pour 2021 ; 3,87 milliards de dollars pour 2022 ; et 3,26 milliards de dollars pour 2023. La volonté du gouvernement de restructurer cette dette, après avoir déclaré un défaut de paiement, signifie qu’il souhaite négocier les termes de remboursement de l’ensemble des échéances, et pas uniquement de celle de mars 2020 ou encore des trois échéances de l’année 2020 (mars, avril et juin). Cela signifie de facto qu’il ne procédera pas, non plus, au remboursement des intérêts, jusqu’à ce que de nouveaux termes de remboursement soient définis avec les créanciers. D’autant plus qu’en déclarant un défaut de paiement, sans avoir au préalable trouvé un accord avec ses créanciers, le Liban s’expose notamment à un « cross-default » : en faisant défaut sur une série d’eurobonds, le Liban verra les détenteurs des autres séries d’eurobonds accélérer leurs maturités et exiger un remboursement immédiat.
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Comment ça marche ?
Dans ce contexte, comment se déroulent les négociations entre l’État libanais et les détenteurs d’eurobonds ?
Les détenteurs des eurobonds sont la Banque du Liban (BDL), les banques locales et les investisseurs internationaux. Des représentants des principaux détenteurs d’eurobonds sont censés se regrouper au sein d’un ou plusieurs comités pour négocier avec l’État les termes de la restructuration, soit les nouveaux termes d’un remboursement. En général, une restructuration de la dette signifie que de nouvelles séries d’eurobonds sont émises avec des dates de maturité plus longues, une réduction des intérêts et souvent du principal. Les séries existantes sont alors échangées contre les nouvelles séries. Mais les nouveaux termes ne seront pas forcément les mêmes pour l’ensemble des séries d’eurobonds. Cela dépend aussi des représentants des principaux détenteurs d’eurobonds de chaque série, de leur disposition à négocier et à accepter les nouveaux termes proposés par le gouvernement.
À l’issue des négociations, les termes de la restructuration doivent être approuvés par une majorité de 75 % des détenteurs pour chaque série, votant série par série. Il est en outre probable que la BDL n’ait pas de droit de vote, comme l’avait souligné en novembre à L’Orient-Le Jour l’ancien ministre et spécialiste du marché de la dette Camille Abousleiman. Le gouvernement pourrait adopter une approche différente pour chaque série en fonction du profil des détenteurs principaux d’eurobonds, avec potentiellement une volonté d’éviter une réduction du principal pour les séries où les créanciers internationaux détiennent plus de 25 % (la minorité de blocage).
En novembre dernier, on estimait que près des deux tiers de la dette en dollars du Liban étaient détenus par les banques locales et la BDL, tandis que le reste était entre les mains d’investisseurs étrangers. Mais cette répartition a beaucoup varié au cours des derniers mois, car des banques libanaises ont revendu une partie de leurs eurobonds de 2020 à des investisseurs étrangers sur le marché secondaire. C’est pourquoi les eurobonds de 2020, et plus particulièrement de mars 2020, relèvent d’un cas particulier pour le gouvernement. Selon nos informations, l’exécutif compte mener des négociations préliminaires avec les principaux détenteurs étrangers des eurobonds de mars, à savoir les fonds d’investissements Ashmore, Fidelity et Pimco, avant d’ouvrir « d’ici à deux semaines » les négociations officielles en vue de la restructuration de l’ensemble de sa dette en dollars.
En général, le processus de négociation prend entre 4 et 6 mois. Le ministre de l’Économie Raoul Nehmé a déclaré samedi à la chaîne al-Jadeed qu’il « durera plusieurs mois ». « Si les intentions sont bonnes, les discussions n’iront pas au-delà de neuf mois », a-t-il précisé. En ce qui concerne les créanciers locaux, l’Association des banques (ABL) consulte depuis deux semaines le cabinet international Houlihan Lokey, qui faisait partie des douze candidats au volet financier de l’appel d’offres lancé par l’État et finalement remporté par Lazard. Une information relayée samedi soir par Reuters laissait entendre que l’ABL a fini par mandater Houlihan Lokey pour la représenter face au gouvernement. En ce qui concerne le volet légal, il n’est pas clair si l’ABL a déjà fait son choix, mais il est probable qu’elle se tourne vers l’avocat new-yorkais Berge Setrakian (DLA Piper), qu’elle consulte traditionnellement.
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