Que l’on appuie ou non le gouvernement actuel, on ne peut que reconnaître le courage du président du Conseil et celui des ministres d’accepter d’assumer des responsabilités publiques en cette période difficile. De l’avis de ceux qui ont suivi les réunions marathoniennes qui se sont succédé au Sérail ainsi qu’au palais de Baabda avant l’annonce de la décision définitive au sujet du sort de l’échéance du 9 mars sur le remboursement, ou non, des eurobonds, celle-ci n’a pas été facile à prendre. Les discussions ont été longues et animées et les avis partagés, sachant qu’il s’agit d’une situation nouvelle à inconnues multiples.
Contrairement à ce qui se disait dans les médias, le débat n’a jamais été aussi simple que le préfigure la question posée : faut-il ou non payer les eurobonds d’une valeur de 1,2 milliard de dollars arrivant à échéance le 9 mars ? Il s’agissait d’étudier les différentes possibilités et leurs conséquences. Ce qui était loin d’être facile, d’abord parce qu’il s’agit d’une expérience nouvelle, ensuite parce que, comme toujours au Liban, les données – y compris les chiffres – sont variables d’un camp à l’autre et qu’il faut donc les manier avec beaucoup de prudence et surtout agir par tâtonnement. C’est d’ailleurs pourquoi le président du Conseil avait demandé aux ministres de ne pas trop s’adresser aux médias. Ce qui avait été perçu par ces derniers comme une volonté de la part de Hassane Diab de ne pas traiter avec eux. Il a donc réuni hier au Sérail les représentants de toutes les chaînes de télévision locales pour expliquer sa position et justifier sa prudence, tout en cherchant à instaurer un nouveau système de coopération avec les médias. C’est un peu le fameux « style Diab », relativement nouveau pour les Libanais, habitués à la propension des hommes politiques traditionnels à instrumentaliser les médias, quitte à faire du populisme.
D’ailleurs, ceux qui connaissent le Premier ministre précisent qu’il n’est pas un homme bavard, ayant plus tendance à écouter qu’à parler, et que lorsqu’il se décide à le faire, il pèse chacun de ses mots. Ses anciens collègues dans le gouvernement présidé par Nagib Mikati (2011-2014) révèlent ainsi que Hassane Diab, alors ministre de l’Éducation, se faisait remarquer par son extrême discrétion, n’intervenant que lorsque le dossier évoqué concernait directement son ministère. C’est ainsi qu’il s’était fermement opposé à M. Mikati lorsque ce dernier avait proposé d’octroyer des certificats aux candidats au baccalauréat en raison du refus des enseignants en grève de corriger les copies en attendant la nouvelle échelle des salaires. Il avait alors fait face à tous ses collègues, refusant d’entériner une telle décision, et il avait fini par obtenir gain de cause. Aujourd’hui, Hassane Diab n’a pas changé. Il consulte, écoute, mais lorsqu’il prend la décision qui lui paraît la bonne, il s’y tient coûte que coûte et en assume la responsabilité.
C’est donc un peu pour cette raison qu’il a tenu samedi à annoncer lui-même la décision gouvernementale aux Libanais, avec une grande franchise et sans chercher à édulcorer la réalité. Même si les réactions au discours étaient mitigées, tout le monde est conscient qu’il marque le début d’une nouvelle phase pour le Liban. Selon des sources proches du Sérail, Hassane Diab a sciemment voulu marquer le fait que la crise actuelle est le résultat de la politique inadaptée et irresponsable adoptée pendant des années et qui recourait à l’endettement d’une façon systématique, alimentant au passage une corruption qui a commencé discrètement avant de devenir « arrogante » et comptant sur le fait que la communauté internationale n’abandonnera jamais le Liban. Cette approche n’est plus valable aujourd’hui, et pour le Liban, l’heure est venue en quelque sorte de passer à la caisse. Il fallait donc arrêter, ne serait-ce que pour un moment, l’hémorragie, le temps de mettre en chantier les réformes requises. Le Premier ministre a en effet parlé de suspendre le paiement de l’échéance, non de l’annuler, ouvrant ainsi la voie aux négociations avec les bailleurs de fonds pour aboutir à des accords acceptables pour les deux parties. Il a aussi voulu dédramatiser cette décision en rappelant que près d’une cinquantaine de pays dans le monde ont agi de la même façon, la plupart d’entre eux réussissant, finalement, à surmonter leur crise.
Mais justement, il s’agit à ce stade de prendre les bonnes décisions pour la suite. Selon les mêmes sources proches du Sérail, les dossiers actuellement prioritaires sont : celui des banques, de la stabilisation du cours du dollar et du rééchelonnement de la dette, ainsi que celui de l’électricité. Concernant ce dernier point, le nouveau plan actuellement à l’étude porterait sur la nécessité de faire fonctionner les centrales électriques au gaz, au lieu du fuel, d’assurer une meilleure collecte des factures et de renoncer au courant fourni par les navires-centrales. Si le gouvernement parvient à lancer ces projets rapidement, il donnera ainsi des signes forts à la communauté internationale et aux bailleurs de fonds étrangers. Ce qui devrait faciliter les négociations avec eux et permettre de lancer les projets prévus par la conférence de Paris (CEDRE).
Le message principal qu’a voulu transmettre Hassane Diab est donc le suivant : la période est certes très difficile, mais l’horizon n’est pas bouché. Au contraire, il existe des options, mais elles ont toutes besoin de l’unité des Libanais, qui reste l’arme la plus efficace en période de crise. D’autant que, selon le Premier ministre lui-même, le Liban mène aujourd’hui la bataille de l’indépendance économique, qui est une condition essentielle pour l’indépendance politique. Si la formule se veut séduisante, l’unité des Libanais reste, elle, aléatoire... et il faudra plus qu’un discours pour convaincre.
commentaires (11)
Le Liban n'est pas en faillite. Il y a de l'argent, beaucoup d'argent. Mais, mais il faut avoir l'audace d'aller le récupérer et mettre les voleurs en prison pour l'exemple. On ne soigne pas un cancer avec de l'aspirine !
Un Libanais
15 h 56, le 09 mars 2020