Suspendue en soirée par le procureur de la République, Ghassan Oueidate, au terme d’une réunion marathon avec une délégation de l’Association des banques, la décision du procureur financier, le juge Ali Ibrahim, de geler les avoirs de 21 banques aurait pu porter un coup supplémentaire à ce secteur déjà en difficulté, estime-t-on dans les milieux bancaires et de l’opposition politique.
Elle a surtout donné, si tant est que cela soit encore possible, une preuve supplémentaire du cafouillage qui commande la gestion de la crise financière et monétaire dans laquelle le pays est plongé depuis des mois. Plus grave encore, cette décision, aux relents politiques, porte dans le même temps un coup à la magistrature à un moment où il est demandé à celle-ci de seconder l’État dans ses efforts pour un redressement du pays. Donc en l’espace de quelques heures, une même décision judiciaire a été prise et suspendue.
Indépendamment du bien-fondé ou de l’inopportunité de l’initiative de Ali Ibrahim, violemment décriée dans les milieux politiques proches du 14 Mars, la démarche du magistrat ouvre grand la voie devant une politisation d’un dossier qui devrait en principe être traité sous un angle strictement technique, ce que le chef du courant du Futur et ancien Premier ministre, Saad Hariri, a relevé hier dans deux tweets successifs. Selon M. Hariri, la décision de Ali Ibrahim est « un message politique populiste », voire irréfléchi. Le chef du courant du Futur a en effet reproché au magistrat de « ne pas avoir tenu compte de l’impact de sa décision aussi bien sur les droits des petits et des grands déposants que sur la confiance des (pays) amis et frères dans le Liban », l’argument que Ghassan Oueidate devait au final développer pour expliquer la suspension de la décision de M. Ibrahim.
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M. Hariri, comme de nombreux autres hommes politiques, notamment le leader druze Walid Joumblatt, a stigmatisé une volonté de « mainmise sur les banques, dans laquelle il a vu un renversement du système économique libanais qu’elle ramène à l’époque des régimes totalitaires ».
La décision de M. Ibrahim n’aurait peut-être pas provoqué autant de réactions violentes si elle avait représenté l’aboutissement d’une procédure judiciaire dans les normes, ce qui n’est apparemment pas le cas. Le magistrat a créé la surprise dans la journée en annonçant le gel des avoirs des banques et des présidents de leurs conseils d’administration respectifs, alors qu’il aurait dû, comme l’explique l’avocat Akram Azouri à L’Orient-Le Jour, mettre « l’action publique en mouvement devant soit un juge d’instruction, soit un juge pénal », s’il est vrai que les banques sanctionnées ont enfreint le Code de la monnaie et du crédit. Même dans ce cas, il semble qu’il appartient à la Banque centrale d’intervenir.
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Manœuvre hégémonique ?
Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser le procureur financier à geler les avoirs des banques et de leurs PDG ? Dans les milieux de l’opposition, on considère que cette décision est principalement motivée par des considérations politiciennes propres au président de la Chambre et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, dont M. Ibrahim est proche.
M. Berry a démenti toute intervention de sa part dans cette affaire. Mais, pour certains, il s’agit d’une réponse indirecte du président de la Chambre au communiqué de l’Association des banques qui avait récemment pointé du doigt la responsabilité des hommes politiques dans la faillite de l’État et d’un message-mise en garde adressé à ceux qui essaient, dans le cadre du nouveau train de nominations judiciaires, d’ébranler son emprise sur une certaine magistrature.
Les faucons parmi les personnalités du 14 Mars y voient une mesure qui s’inscrit dans le prolongement de la politique stratégique du Hezbollah et, à travers lui, de l’axe syro-iranien, visant à mettre à genoux le Liban, dans la perspective d’une hégémonie totale. Or le succès de cette entreprise passe forcément par la destruction de tous les piliers de l’État libanais, dont le secteur bancaire fait partie, analysent-ils.
Ce qui est sûr, c’est que la cabale contre les banques à qui les partis politiques du 8 Mars font assumer la totalité de la responsabilité de la crise financière et monétaire du pays sert les intérêts de ceux qui, au sein de cette classe politique, essaient de détourner l’attention de leur propre responsabilité dans l’état de déliquescence du Liban. Walid Joumblatt, qui a stigmatisé la démarche de Ali Ibrahim, a ainsi fait ce commentaire sur son compte twitter : « La logique veut que le Liban négocie, suivant ses propres conditions avec les organismes internationaux, dont le FMI, et établisse un plan de réformes générales (…) En guise de réponse, Ali Ibrahim a lancé un plan de nationalisation des banques et autres, dans un pays marqué par une dualité au niveau des autorités. Il semble qu’à l’occasion du centenaire du Grand Liban, on veuille enterrer le pays. »
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Plusieurs autres personnalités ont abondé dans le même sens, constatant une volonté de briser le secteur bancaire, sans pour autant aller jusqu’à blanchir celui-ci. « La décision du juge Ali Ibrahim précipite le Liban dans un tunnel sombre et extrêmement dangereux. Elle risque d’altérer la face du pays, d’appauvrir davantage son peuple et d’anéantir toute chance de gagner la confiance de la communauté internationale et d’attirer des investissements extérieurs », a écrit le député Michel Moawad sur Twitter, avant d’ajouter : « Le plus grave est que cette décision vise à offrir (à l’opinion publique) un bouc émissaire pour protéger la classe politique. (…) Ce qui peut arriver de pire au Liban, c’est que des décisions putschistes soient élaborées pour la forme par la justice, mais dans les bureaux d’autorités politiques. » Aussi bien Michel Moawad que Walid Joumblatt semblaient faire référence à Nabih Berry.
Les députés Nouhad Machnouk, Henri Hélou, Nadim Gemayel, Jean Talouzian et l’ancien ministre Youssef Salamé se sont tous insurgés contre une décision « irréfléchie et dangereuse ».
Aucun commentaire n’a été en revanche formulé par les proches du tandem chiite, alors que dans les milieux du CPL de Gebran Bassil, on s’en félicitait. Le député Alain Aoun l’a saluée dans la mesure où elle « pousserait les banques à révéler les secrets de la République en leur possession », a-t-il écrit sur Twitter, mettant en garde cependant contre une généralisation. « Il existe des requins dans les mondes politique et bancaire. Ils ne le sont pas tous. L’importance de cette décision, même si elle est injuste à l’égard de certains, est qu’elle va permettre de déboucher sur la vérité », a-t-il ajouté, avant d’effacer ce tweet « pour qu’il ne soit pas mal interprété », pendant que son collègue Ziad Assouad se déchaînait contre les banques « qui ont planifié et exécuté des politiques financières suspectes ayant conduit à la faillite (de l’État) et au pillage » des deniers publics. « Elles veulent aujourd’hui se dérober à leurs responsabilités, mais la confiance ne peut pas être accordée deux fois à un voleur pour sauver ce qui reste de sa mauvaise gestion financière », a-t-il écrit sur Twitter.
Son collègue Jamil Sayyed a pour sa part préconisé des poursuites contre le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, « le cerveau des magouilles bancaires (…), sauf si ce cerveau est complice d’autres têtes ».
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13 h 59, le 06 mars 2020