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Économie - Repère

Eurobonds : les trois scénarios probables pour l’Etat libanais

La probabilité qu’une solution l’emporte sur les deux autres dépend de la flexibilité des créanciers et de leur rapport de force avec l’État libanais.

Un des accès à la place de l’Étoile au centre-ville de Beyrouth, où se situe le Parlement et le Grand Sérail. Photo P.H.B.

Il ne reste plus que trois jours au gouvernement libanais pour décider de rembourser ou non la prochaine échéance d’eurobonds, soit 1,2 milliard de dollars de titres détenus par la Banque du Liban, les banques du pays et un groupe d’investisseurs étrangers qui ont renforcé leur position ces derniers mois en vue des négociations. Il s’agit de la première d’une série de trois échéances en 2020, avec deux autres en avril et juin, pour un total d’un peu plus de 2,7 milliards de dollars de principal, auquel s’ajoutent près de 2 milliards de dollars d’intérêts à régler toutes émissions confondues.Le tournant est décisif pour l’État dont la dette publique a frôlé les 92 milliards de dollars, soit presque deux fois son PIB. Pour ne rien arranger, presque 40 % de cette dette est libellée en dollar, ce qui oblige le pays à puiser dans ses réserves de devises qui fondent depuis 2017, pour honorer ses engagements.


(Repère : Qu'est-ce qu'un eurobond?)


Face à la gravité des enjeux, le gouvernement Diab a sollicité le Fonds monétaire international (FMI) pour évaluer l’ampleur du chantier sur le plan macro-économique et décider du type d’assistance le plus adapté à sa situation. Peu de temps après, l’exécutif a recruté deux cabinets de conseil internationaux pour l’épauler dans les négociations avec ses créanciers.

Ces discussions se déroulent dans un contexte tendu, comme en témoigne la polarisation entre les partisans d’un défaut et d’une restructuration de la dette et ceux qui préconisent de payer les 1,2 milliard de dollars dus en mars avant d’aller plus loin. Selon les informations qui ont circulé, le gouvernement devrait prendre sa décision samedi au plus tard.


Jusqu’à présent, trois scénarios sont envisageables.

Dans le premier scénario, le Liban fait défaut, c’est-à-dire qu’il indique à ses créanciers qu’il n’est pas capable de payer tout ou partie de sa dette selon les modalités fixées lorsqu’il l’a souscrite, pour ensuite négocier avec eux les termes d’une restructuration ou de toute autre forme d’aménagement de la dette, qu’il s’agisse de sa portion en livres ou de celle en dollars. Un défaut marquera une première dans l’histoire du pays qui a toujours honoré ses engagements financiers jusqu’à présent.

La perspective d’un défaut conduira inévitablement les principales agences de notation, Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, à rapidement dégrader la notation souveraine du pays et de ses banques de la catégorie « C » (très risqué, à la limite du défaut) à « D » (défaut). Ce déclassement ne changera toutefois pas fondamentalement grand-chose à ce stade, le Liban ne pouvant de toute façon plus emprunter sur les marchés financiers à des coûts raisonnables (plus le doute règne sur la solvabilité de l’emprunteur, plus il doit emprunter à des taux élevés) et sa réputation étant déjà entachée, que ce soit par la précarité de sa situation financière ou les mesures illégales de contrôle des capitaux adoptées unilatéralement par les banques depuis la fin de l’été.

Deuxième scénario : le Liban décide de payer ses eurobonds de mars, pour ensuite négocier un rééchelonnement ou une restructuration du reste de sa dette (en livres et en dollars) avant la prochaine échéance, en avril. La mesure lui permettra de gagner un peu de temps mais à un prix élevé, compte tenu du montant de ses réserves de devises disponibles, qui lui servent notamment à financer les importations stratégiques du pays, et du résultat pouvant être escompté.Or la BDL ne communique pas le montant exact de ces réserves en devises et se contente généralement de publier le montant de ses avoirs extérieurs, qui incluent son portefeuille d’eurobonds (environ 36 milliards de dollars), plus près de 15 milliards de réserves d’or. Selon les différentes estimations qui ont circulé ces dernières semaines mais qui n’ont pas été officiellement confirmées, les réserves disponibles se situeraient dans une fourchette allant de 4 à 6 milliards de dollars.

Dans ce cas de figure, les agences de notation devraient surseoir à une dégradation de la notation souveraine du pays et de ses banques de la catégorie « C » (très risqué, à la limite du défaut) à « D » (défaut) jusqu’à la prochaine échéance.

Troisième scénario : le Liban obtient un sursis sans être contraint de faire défaut. Cela pourrait se faire soit via un moratoire sur sa dette (délai supplémentaire pendant lequel les créanciers acceptent de suspendre les conséquences juridiques d’un défaut), soit via un swap de titres de dette, c’est-à-dire un échange entre les obligations devant être soldées et d’autres à maturité plus longue qui seront émises pour reporter le paiement des échéances.

Il s’agit de l’option la moins brutale à court terme. Elle devrait être néanmoins sanctionnée par les agences de notation de la même manière que s’il s’agissait d’un défaut, ces dernières ayant majoritairement affirmé qu’elles assimilaient cette manœuvre à une « mesure de détresse » au regard des circonstances qui ont favorisé son adoption.


La probabilité que l’un de ces scénarios l’emporte sur les deux autres dépend de la flexibilité des créanciers et du rapport de force entre eux et leurs interlocuteurs au sein de l’État. Les créanciers n’accepteront cette solution que si le Liban a préparé, ou s’engage à présenter dans un délai très court, une stratégie garantissant la mise en place de réformes pour restructurer la dette, assainir les finances publiques et repenser l’économie. L’objectif étant à terme de rendre le pays solvable financièrement et viable économiquement, ce qui lui permettra de recommencer à se financer sur les marchés à des coûts raisonnables. Parmi les réformes les plus délicates figurent notamment celle de l’électricité ou encore des effectifs pléthoriques de la fonction publique par rapport à la taille de la population libanaise.

Se pose également la question du bilan réel de la BDL. Selon plusieurs sources proches du dossier, les réserves de devises nettes de la Banque centrale, c’est à-dire ce qu’elle détient réellement une fois défalqué ce qu’elle doit, en comptant notamment les dépôts et les certificats de dépôts des banques chez elle, sont négatives, comme l’a notamment souligné Fitch en décembre dernier.

Le Liban devra aussi trancher sur le sort de la parité livre/dollar, qui est stabilisée par la BDL au taux de 1507,5 livres pour un dollar depuis 1997, tout en veillant aux répercussions d’une éventuelle dévaluation sur l’inflation. La restructuration du secteur bancaire et sa recapitalisation feront également partie des chantiers majeurs. L’impact d’une décision charnière à propos de la dette sur la vie des citoyens et la valeur de leurs économies dépendra en grande partie de la manière dont ces deux dossiers sont traités.

Les créanciers voudront enfin s’assurer qu’un acteur tiers sera en mesure d’assister le Liban en lui garantissant des financements le temps qu’il effectue sa transition, un rôle que pourraient alors jouer le Groupe international de soutien au Liban ou le Fonds monétaire international.


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commentaires (3)

Un problème aux conséquences difficiles voire désastreuses. Ce n'est pourtant qu'un seul parmi plusieurs que la classe politique nous flanque dans la face. Nous en paierons les coûts alors qu'ils, pour certains, s'étaleront, relax, sur des chaises longues au soleil d'un club sélect loin de nos rivages pollués et pour d'autres, continueront à haranguer une jeunesse perdue la poussant vers des sacrifices héroïques et inutiles... Haram ya lébnèn!!

Wlek Sanferlou

22 h 27, le 06 mars 2020

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Commentaires (3)

  • Un problème aux conséquences difficiles voire désastreuses. Ce n'est pourtant qu'un seul parmi plusieurs que la classe politique nous flanque dans la face. Nous en paierons les coûts alors qu'ils, pour certains, s'étaleront, relax, sur des chaises longues au soleil d'un club sélect loin de nos rivages pollués et pour d'autres, continueront à haranguer une jeunesse perdue la poussant vers des sacrifices héroïques et inutiles... Haram ya lébnèn!!

    Wlek Sanferlou

    22 h 27, le 06 mars 2020

  • PAYER C,EST FAIRE MONTRE DE FAIBLESSE. LES CREANCIERS SERAIENT PLUS EXIGEANTS DANS LA NEGOCIATION. NE PAYEZ PAS ET DISCUTER DE RE-ECHELONNEMENT DE TOUTE LA DETTE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 18, le 06 mars 2020

  • Article simple mais qui explique tout. Bien entendu aucune de ces solutions ne plaira au 8 mars qui vont avoir le choix entre une sortie plus ou moins honorable ou un appauvrissement voir la famine, les fonctionnaires jettes dans la rue et qui viendront grossir le rang des protestataires. Alors je prévois une fin très moche pour eux et hélas pour le pays en entier qui ne s’en remettra pas avant une génération.

    Liban Libre

    16 h 52, le 06 mars 2020

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