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Société - Crise

À l’hôpital Saydet Zghorta, le calvaire des employés confrontés à une réduction des salaires

L’établissement traverse une crise financière aiguë.

Photo tirée de la page Facebook de l’hôpital Saydet Zghorta.

La crise qui affecte durement un grand nombre d’employés et de travailleurs, devenus plus que jamais vulnérables, n’a pas épargné le personnel de l’hôpital Saydet Zghorta, dirigé par la paroisse de la localité. Sauf que dans cet établissement, la crise a commencé en 2018. Selon plusieurs employés rencontrés par L’Orient-Le Jour et ayant requis l’anonymat, depuis 2018, les salaires étaient payés une fois tous les 45 jours, puis tous les trois à quatre mois en 2019. Toujours selon ce groupe, la direction de l’hôpital, qui se dit elle-même en difficulté financière, doit à chacun un total de neuf salaires.

Vendredi, les employés ont reçu un message téléphonique de la direction, les notifiant qu’elle leur verserait deux salaires s’ils signent un papier dans lequel ils s’engagent à accepter une réduction de 17 % de l’ensemble des neuf salaires cumulés ainsi que de leurs traitements des mois prochains, jusqu’en août 2020. Même s’ils avaient été avertis à l’avance par la direction d’un projet de réduction salariale lors de réunions séparées avec les différents services, les employés ont été quand même outrés par le message reçu.


Le calvaire des salariés
« Un grand nombre de chefs de service exerçaient une pression sur nous », raconte une aide-soignante, avant de poursuivre : « On nous appelait toutes les heures pour nous rappeler de passer par le bureau des ressources humaines afin de signer le papier. » L’employée raconte à L’OLJ qu’il lui a été interdit de prendre une photo du document qu’elle venait de signer pour en garder une copie, alors qu’un autre se plaint de ne pas avoir été autorisé à signer sous réserve.Dans la salle de séjour de son appartement, l’aide-soignante est entourée de sa fille, son fils et son gendre. Fumant cigarette sur cigarette, elle raconte : « Au départ, je ne voulais pas signer parce que je refuse qu’on porte atteinte à mes droits de travailleuse, mais j’ai fini par le faire de peur de tout perdre. » Comment fait-elle pour survivre depuis qu’elle ne reçoit plus l’intégralité de son salaire de 800 000 livres ? « J’ai plus de 50 ans et je dois compter soit sur mes enfants, soit sur mes parents pour subvenir à mes besoins », déplore-t-elle. Et de poursuivre, la mine triste : « Nous ne nous sentons pas respectés. »

Parmi ses collègues, plusieurs ont annulé leur abonnement aux générateurs d’électricité privés, d’autres ne paient plus la scolarité de leurs enfants qui se font renvoyer à la maison à cause d’un cumul de frais non payés. La réduction des salaires, associée à la cherté de vie depuis que la crise financière et économique que traverse le pays s’est aggravée, les a contraints de se fixer de nouvelles priorités, qui ne sont pas toujours dans leur intérêt. « Certains ne prennent plus leurs médicaments parce qu’ils ne peuvent plus se les payer », raconte une jeune employée de l’administration. Un jeune infirmier, interviewé par L’OLJ, confie être dans une situation très difficile : « Je n’assiste plus à mes cours à l’université parce que je n’ai pas de quoi remplir ma voiture d’essence ou de couvrir les frais de transport. » Et de poursuivre : « Une fois, j’ai dû demander à un responsable administratif 20 000 livres pour pouvoir rentrer chez moi mais ma demande a été refusée. »



(Pour mémoire : L’avertissement des « révolutionnaires en blouse blanche » aux « irresponsables politiques »)



La direction et les employés, deux victimes ?
Joint au téléphone par notre journal, Mgr Estephan Frangié, directeur de l’hôpital, dément avoir interdit aux employés de garder une copie du papier signé. « J’ai été obligé de prendre des mesures pareilles pour assurer la survie de l’hôpital et pour ne pas devoir recourir à des licenciements », déclare-t-il. Mgr Frangié reconnaît que les mesures prises par la direction ne sont pas légales, mais souligne que l’hôpital ne se serait pas retrouvé dans cette situation, si l’État lui avait payé les sommes qu’il lui doit. « Le respect de la loi doit aller dans les deux sens, sinon l’hôpital devra fermer ses portes très bientôt », ajoute-t-il.

« Le papier signé par les employés n’est pas conforme à la loi, certes, mais c’est un accord entre la direction et ces derniers. Je suis sûr que les autres hôpitaux seront obligés de prendre des mesures pareilles d’ici à un ou deux mois », dit-il. « Cela fait plusieurs mois déjà que la direction de l’hôpital ne reçoit plus les sommes que le ministre de la Santé et la direction de l’armée libanaise lui doivent, d’où le déficit », explique-t-il avant de poursuivre : « De plus, l’hôpital Saydet Zghorta n’est pas un établissement qui a des rentrées d’argent extraordinaires, comme c’est le cas pour les grands hôpitaux dans les villes et la capitale. »

« La direction et les employés sont tous deux victimes de la situation actuelle », lance-t-il. Selon Mgr Frangié, les employés ayant signé le papier ont reçu lundi deux salaires cumulés. Qu’en est-il de ceux qui ont refusé de signer ? « Il y a quelques jours, la direction a notifié le ministère du Travail de sa décision de fermer plusieurs départements et étages », répond-il. Et d’enchaîner : « Si on a besoin de ces employés, on les gardera, sinon nous ne pourrons pas leur payer des salaires alors qu’ils restent chez eux. »

Selon l’aide-soignante interviewée par L’OLJ, le nombre des employés est continuellement réduit de sorte que les travailleurs du cadre médical sont parfois obligés de s’entraider pour une tâche qui ne relève pas forcément de leur domaine. Pour Mgr Frangié, il s’agit de garantir la survie de l’hôpital ainsi que le travail des employés. « Le montant de leurs salaires inscrit à la Sécurité sociale est toujours le même et n’a pas été touché par la réduction de 17 % », précise-t-il. « J’ai d’ailleurs appliqué la même réduction à mon propre salaire. Nous devons tous collaborer pour le bien et la continuité de cette institution », conclut-il.



(Pour mémoire : Le secteur hospitalier ne tiendra pas plus que quelques semaines)



Des mesures illégales
Karim Nammour, avocat et membre de l’équipe de Legal Agenda, assure que la mesure prise par la direction de l’hôpital va à l’encontre de la loi. « De nombreux patrons se prévalent de la dégradation économique pour soit réduire les salaires de leurs employés, soit les licencier », explique-t-il à L’OLJ, en rappelant que le code du travail libanais impose à un employeur, dans une situation financière difficile, de notifier le ministère du Travail un mois à l’avance, en vue de se mettre d’accord avec lui sur un programme de réorganisation de l’entreprise.

Et Me Nammour de poursuivre : « Le rôle du ministère est de s’assurer que l’employeur est effectivement dans une situation économique mauvaise, soit une situation de déficit. » « Dans ce cas-là, les employés, de leur côté, peuvent déposer plainte auprès du ministère du Travail comme ils peuvent intenter un procès auprès du Conseil des prud’hommes », conclut-il.

Répondant aux questions de L’OLJ, la ministre du Travail, Lamia Yammine Doueyhi, appelle « les employés lésés à déposer une plainte auprès du ministère ainsi qu’auprès du Conseil des prud’hommes ». La ministre du Travail assure que l’activité du comité d’arbitrage affilié à son département (compétent pour juger des plaintes collectives) ainsi que du Conseil des prud’hommes (compétent pour les plaintes individuelles) sera redynamisé étant donné que les plaintes des employés sont de plus en plus nombreuses. « Nous avons réclamé une augmentation du nombre des bureaux du Conseil des prud’hommes pour une plus grande efficacité », dit-elle, ajoutant que le comité d’urgence du ministère du Travail a lui aussi été redynamisé.

La crise qui affecte durement un grand nombre d’employés et de travailleurs, devenus plus que jamais vulnérables, n’a pas épargné le personnel de l’hôpital Saydet Zghorta, dirigé par la paroisse de la localité. Sauf que dans cet établissement, la crise a commencé en 2018. Selon plusieurs employés rencontrés par L’Orient-Le Jour et ayant requis l’anonymat, depuis 2018, les...

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