L’insolvabilité du Liban en butte à des difficultés financières et la corruption qui mine son administration pourraient remettre en cause la construction du barrage de Bisri. Alerté par des lobbyistes libanais œuvrant pour la protection de cette plaine du caza de Jezzine, le parti Vert allemand a attiré l’attention de son propre gouvernement sur le dossier en adressant une lettre au ministre allemand de la Coopération et du Développement (BMZ), Gerd Müller, pour le mettre en garde contre la construction d’un tel ouvrage, l’Allemagne contribuant dans une proportion de 15 % au financement de ce projet contesté, à travers la Banque mondiale. Celle-ci devrait accorder au Liban un crédit de 474 millions de dollars pour la mise en place du plus grand projet d’infrastructure du pays, rejeté aussi bien par de nombreux experts que par les habitants des localités alentour.
Dans leur lettre à Gerd Müller, datée de novembre dernier, les deux députés des Verts allemands, Katrin Goering-Eckardt (chef du groupe parlementaire) et Uwe Kekeritz, soulignent d’emblée leur « grande inquiétude » face aux développements actuels au Liban. « Compte tenu des protestations populaires contre la corruption et la mauvaise gestion (administrative), il faut remettre en question la responsabilité actuelle de la République fédérale au Liban et revoir les points où l’Allemagne peut être plus impliquée », écrivent-elles. La missive rappelle que le député Uwe Kekeritz avait adressé une question écrite au gouvernement allemand concernant la construction du barrage de Bisri fort contesté au Liban et dont l’utilité n’a pas été prouvée.
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Inutile, nuisible et dangereux
« La Banque mondiale n’a pas encore confirmé si elle financera ou non cet ouvrage. Arrêter ce projet inutile est donc toujours possible. Vous avez la possibilité de poser des questions au représentant allemand au conseil d’administration de la Banque mondiale et présenter votre approche alternative à des collègues d’autres pays, ou travailler sur un plan alternatif avec des ressortissants libanais », notent les deux députés qui énumèrent dans leur lettre les raisons pour lesquelles l’Allemagne ne devrait pas soutenir un tel projet. Ils évoquent entre autres « l’insolvabilité du Liban » qui ne pourrait pas rembourser la dette aux donateurs, donc au contribuable allemand. Et ce n’est pas le moindre des obstacles. Selon les deux députés allemands, la corruption constitue également l’un des facteurs qui devrait empêcher la mise en place du projet.
La lettre expose en outre les raisons scientifiques « qui rendent complètement inutile, nuisible pour l’environnement et dangereux avec l’activité sismique dans la région » la construction de ce barrage. Elle présente aussi des solutions alternatives pour que l’État libanais puisse alimenter Beyrouth en eau, en mettant l’accent sur une étude allemande déjà effectuée par des institutions fédérales, prévoyant la réhabilitation des canalisations d’eau potable reliant Jeita à la capitale libanaise.
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Les Verts allemands fournissent des détails sur cette étude proposée par l’agence gouvernementale allemande BGR au cas où le Liban serait insolvable et si des projets de moindre coût devraient lui être proposés à l’avenir : « Un plan de gestion durable de l’eau se concentrerait sur la réparation du réseau de distribution d’eau existant, qui est de mauvaise qualité et qui laisse 48 % de l’eau non comptabilisée. Un tel plan entraînerait moins de corruption et un bon rapport qualité-prix pour les citoyens. » Une autre priorité est d’améliorer la capture de la source de Jeita, qui fournit actuellement 70 % de l’eau du Grand Beyrouth. L’Institut fédéral allemand des géosciences et des ressources naturelles (BGR) a estimé le coût combiné de l’amélioration de la capture de la source Jeita et de la mise en place d’un nouveau convoyeur d’eau à environ 30 à 50 millions de dollars américains. BGR a aussi proposé d’améliorer le rendement de la source de Jeita grâce à la construction de barrages de taille moyenne pour la gestion de la recharge des aquifères. « La réforme du secteur des eaux souterraines, actuellement soumis à une exploitation illégale et abusive, contribuerait également à améliorer l’efficacité de l’approvisionnement en eau de Beyrouth », selon le BGR.
La réponse du ministère allemand de la Coopération et du Développement, datée du 20 janvier, est restée évasive, il est vrai, mais témoigne d’une volonté de réévaluer le projet. Le ministère indique ainsi dans sa réponse aux deux parlementaires que « le gouvernement allemand a reçu des demandes libanaises de soutien financier pour prévenir l’insolvabilité » et que « Berlin veut discuter de l’ensemble du projet avec d’autres bailleurs de fonds de la Banque mondiale ainsi qu’avec cette institution afin de reconsidérer ce projet dans le cadre d’un programme de réformes plus large pour le Liban ».
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20 h 16, le 15 février 2020