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Monde - Diplomatie

L’ONU tente de reprendre la main en Libye

À Genève, les camps rivaux acceptent de transformer « la trêve » en un « cessez-le-feu durable ».

Des militaires des forces du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale, hier, à Misrata. Ayman al-Sahili/Reuters

Une brèche est-elle en train de s’ouvrir sur le plan sécuritaire en Libye? Les hauts responsables militaires du Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par la communauté internationale et dirigé par Fayez el-Sarraj, et de l’Armée nationale libyenne (ANL) menée par le maréchal Khalifa Haftar, en pourparlers à Genève depuis lundi, ont accepté de transformer la « trêve » en un « cessez-le-feu durable », a déclaré hier l’émissaire de l’ONU dans le pays, Ghassan Salamé.

L’annonce survient après une escalade des combats au cours de la semaine dernière, allant à contresens de la déclaration commune adoptée au sommet international de Berlin le 19 janvier encourageant à un « cessez-le-feu permanent ». Le texte appelait également à « s’abstenir de toute ingérence dans le conflit armé » et à relancer le « processus politique ». Multipliant les efforts pour ramener le calme dans le pays, l’ONU s’était vue contrainte de reporter cette première réunion qui devait d’abord avoir lieu le 28 janvier, confrontée au refus du maréchal Haftar d’y participer. La tenue de négociations indirectes dans la capitale suisse cette semaine constitue donc une petite avancée pour l’ONU, alors que Ghassan Salamé s’était rendu samedi dernier à Benghazi afin de convaincre le maréchal Haftar d’y prendre part.

« Les deux parties sont venues à Genève et nous avons commencé à discuter hier (lundi) avec elles de la longue liste de points à notre ordre du jour, en commençant par la tentative de transformer (...) cette trêve en un véritable accord sur un cessez-le-feu durable », a indiqué l’émissaire de l’ONU. « Le principe a été adopté au cours de la première session et la question est de savoir quelles en sont les conditions », a-t-il précisé. Confirmée lors du sommet de Berlin, la commission militaire conjointe est composée, selon le format dit « 5+5 », de 5 membres représentant le GNA et 5 autres le maréchal Haftar. Le flou persiste toutefois sur les modalités de ce cessez-le-feu tandis que sa durabilité est déjà mise en doute par de nombreux observateurs.

« Il va être difficile de trouver un accord sur l’emplacement des forces de l’ANL : le maréchal Haftar ne va pas accepter qu’elles reculent tandis que les forces alliées au GNA ne vont pas accepter qu’elles soient aussi proches », estime Emadeddin Badi, chercheur non résident sur la Libye au Middle East Institute, interrogé par L’Orient-Le Jour. En décembre dernier, le maréchal Haftar annonçait une nouvelle « bataille décisive » sur Tripoli, aux mains du GNA, alors que les forces de l’ANL mènent les combats pour la prise de la capitale libyenne depuis avril 2019 et se situent désormais aux alentours de la ville. « Il y a un vrai problème de confiance entre les parties, et ce n’est pas sans raison », ajoute-t-il. Ghassan Salamé a toutefois souligné lors du point presse hier qu’il existe « une véritable volonté des deux parties de s’asseoir ensemble et de commencer à négocier », spécifiant toutefois qu’elles ne discutent pas encore directement.

Ces pourparlers « ne sont pas vraiment comparables aux sommets qui se sont déroulés à Berlin, Abou Dhabi, Paris ou Palerme, car il s’agit plutôt de se concentrer sur des aspects techniques sur le plan militaire », nuance Emadeddin Badi. « Le problème cependant est que les décisions techniques ne sont pas complètement faites par les personnes à Genève ni par celles qui sont en Libye », poursuit-il.



(Lire aussi : En Méditerranée orientale, une nouvelle géopolitique se dessine)



Scandale
Compliquant un peu plus l’équation politique et sécuritaire, le terrain libyen fait l’objet non seulement d’une bataille de pouvoir entre les différents acteurs locaux depuis la chute du « guide » libyen Mouammar Kadhafi en 2011, mais aussi l’objet des velléités des puissances régionales. La Turquie et le Qatar soutiennent le GNA tandis que le maréchal Haftar est appuyé par la Russie, les Émirats arabes unis, l’Égypte et, dans une certaine mesure, la France. Au cours de ces derniers mois, Ankara et Moscou ont un peu plus cherché à se positionner comme médiateurs dans le conflit alors que des négociations en vue d’un cessez-le-feu avaient eu lieu dans la capitale russe au début du mois dernier sous leur parrainage ; court-circuitant le processus onusien et en présence de Fayez el-Sarraj et du maréchal Haftar. Si le cessez-le-feu a été annoncé, le document n’avait été signé que par le Premier ministre libyen alors que le dirigeant de l’ANL a quitté Moscou sans explications. Peu après, des mercenaires de la compagnie privée russe Wagner, qui appuient Haftar, avaient amorcé leur retrait partiel. La Russie avait toutefois envoyé 200 mercenaires entre octobre et novembre derniers, selon le New York Times, tandis que le gouvernement libyen a comptabilisé entre 600 et 800 Russes en Libye. Des combattants auxquels s’ajoutent un millier de mercenaires soudanais. La Turquie aurait pour sa part envoyé 2 000 combattants syriens en Libye au cours du mois de janvier, a rapporté le quotidien britannique The Guardian.

Ghassan Salamé a dénoncé à nouveau hier les violations continues des engagements pris lors du sommet de Berlin pour arrêter les ingérences et les livraisons d’armes aux belligérants. « Nous sommes inquiets parce que nous considérons que des résolutions assez claires prises à Berlin ne sont pas respectées par les deux parties en conflit et nous voyons que de nouveaux mercenaires et de nouveaux équipements sont en train d’arriver aux deux parties », a-t-il déclaré, exhortant le Conseil de sécurité à adopter rapidement une résolution pour créer une nouvelle dynamique vers une fin de conflit. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a pour sa part dénoncé hier un « scandale » à ce sujet.

Les 15 membres du Conseil de sécurité continuent de discuter d’un projet de résolution mais sans parvenir jusqu’à présent à un accord sur un texte ouvrant la voie à une mise au vote. Le dernier projet réclame le retrait des mercenaires déployés en Libye au profit des deux parties, mais la Russie serait opposée à toute mention à leur égard, selon des diplomates.

En parallèle aux pourparlers militaires à Genève, l’ONU a lancé un autre volet de discussions autour de sujets économiques et financiers et un premier cycle de discussions s’est tenu à Tunis le 6 janvier. Un deuxième round est prévu dimanche au Caire, a indiqué Ghassan Salamé. Il espère également que les parties vont entamer des discussions politiques, « probablement dans deux semaines (...) à Genève ».



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