Comme si tous les soucis existentiels qui hantent actuellement les Libanais n’étaient pas encore assez, voici que leur tombent soudain dessus, par voie d’importation directe, deux motifs de préoccupation supplémentaires et rien moins que bénins.
Les épidémies n’ont pas attendu l’ère de la globalisation pour se jouer des frontières, et c’est une urgence planétaire qui vient d’être décrétée par l’Organisation mondiale de la santé, face au coronavirus fraîchement éclos dans la ville chinoise de Wuhan, laquelle n’avait jamais aspiré sans doute à une telle célébrité mondiale. Même si, du fait de la crise politique socio-économique et financière, l’intendance ne suit pas, le Liban continue heureusement de jouir d’un corps médical et hospitalier hautement qualifié et qui se tient sur le qui-vive.
Dès lors, ne lancez pas un regard assassin à toute personne qui aurait le malheur de tousser non loin de vous. Compatissez en revanche avec les quatre étudiants libanais vivant cloîtrés à Wuhan et qui se plaignaient, sur les réseaux sociaux, de n’avoir pas éveillé l’inquiétude, ou pour le moins la curiosité, de leur ambassadrice à Pékin. Méfiez-vous néanmoins de tous les bobards, canulars et autres fake news circulant sur la Toile ; l’un d’eux balançait ainsi le prétendu cas d’un citoyen subitement terrassé par le virus alors qu’il participait à une manifestation. Bien fait, s’est tout de même retenu d’ajouter l’auteur de cette niaiserie. L’arme biologique de démoralisation massive au service de la propagande antirévolutionnaire, il n’empêche que l’on aura tout vu…
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C’est à l’état endémique, par contre, que sévit, dans notre pays, cet autre et pernicieux virus qu’est celui de la surenchère. Surtout quand celle-ci est maniée, comme on le constate cette fois, face au spectre de l’implantation définitive, de l’assimilation, de centaines de milliers de réfugiés palestiniens vivant sur notre sol. Surtout quand le Liban, croulant déjà sous des décennies de mal-gouvernance et de prévarications, souffre, comme aujourd’hui, d’un tel déficit immunitaire, autrement plus grave que celui qui plombe le budget.
Le cauchemar de l’implantation n’est pas né d’hier ; il n’a fait que gagner en acuité avec l’apparition de la résistance armée palestinienne érigée en État dans l’État et qui a causé plus d’une guerre dévastatrice. Cette hantise, on a naïvement cru la conjurer rien qu’en la rejetant, noir sur blanc, dans le préambule de la Constitution. Par pure démagogie ont été torpillées les rares tentatives de réglementation des conditions de vie et de travail des réfugiés. Puis on a persisté à occulter la question, pour ne plus s’en souvenir qu’à chacun des soubresauts du conflit de Palestine.
C’est précisément l’occasion d’un tel concert de protestations indignées qu’offre à l’establishment politique libanais, dans son bel ensemble, le révoltant plan de paix de Donald Trump. Mais quoi encore, hormis le premier bal diplomatique du nouveau gouvernement, sur la piste du Conseil de la Ligue réuni aujourd’hui au Caire ? Autant que des agressions israéliennes, le Liban a longtemps pâti des stériles outrances brandies par certains États arabes, comme de leur obstination à faire de sa frontière sud le seul théâtre actif de confrontation avec l’ennemi. Depuis, ce sont des puissances musulmanes mais non arabes qui se posent en irréductibles championnes d’une cause palestinienne exploitée à mort et puis abandonnée par ses anciens gestionnaires : l’Iran, bien présent au Liban-Sud par le bais du Hezbollah ; et maintenant la Turquie, qui en est à accuser de trahison les royaumes pétroliers du Golfe.
Prenant le relais du soudain et assourdissant silence des Arabes, ce sont deux nostalgiques héritières d’empires que l’on voit désormais accaparer le micro.
Issa GORAIEB