Le chef de l'unité d'élite Al-Qods au sein des Gardiens de la Révolution iranienne, le général Kassem Soleimani, en 2016. KHAMENEI.IR/AFP
Le général Kassem Soleimani ne s’imaginait pas mourir ailleurs que sur le champ de bataille. Il l’avait confié dans une vidéo tournée en 2009 à la frontière irakienne en évoquant cet endroit comme « le paradis perdu de l’humanité. Le paradis où la vertu et les actes des hommes sont au plus haut ». Son vœu aura été partiellement exaucé. Le général est mort en « martyr » mais tué par une frappe de son pire ennemi à laquelle personne ne s’attendait.
Vendredi à l’aube, le chef de l'unité d'élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne a été tué par un raid américain à l'aéroport de Bagdad, avec Abou Mehdi al-Mouhandis, chef des Kata’ib Hezbollah, une des milices pro-iraniennes les plus actives en Irak. L’homme fort de Téhéran avait échappé ces vingt dernières années à plusieurs tentatives d'assassinat menées par des services secrets israéliens et arabes.
L’élimination chirurgicale de celui que l’on surnomme le « fantôme » est un véritable coup de tonnerre. Après le guide suprême iranien Ali Khamenei, c’est l’homme le plus puissant de l’appareil iranien, l’un des plus imposants de tout le Moyen-Orient. Le général a œuvré activement à l’affirmation de la puissance iranienne dans la région, au point d’incarner à lui tout seul le symbole de son hégémonie. Au point de se confondre avec la mission et de devenir cette ombre iranienne insaisissable qui plane au-dessus-de la région.
En tant que chef de l'unité d'élite al-Qods, destinée aux opérations extérieures iraniennes, Kassem Soleimani a patiemment consolidé « l’axe de la Résistance » liant Téhéran à la Méditerranée. L’Irak, comme la Syrie et le Liban, étaient ses arènes de combats. Ses royaumes, où il se rendait à sa convenance pour dicter les consignes iraniennes et consolider la stratégie sur le terrain. Le général était la fois le stratège et l’instrument de l’influence iranienne au Moyen-Orient, qui repose sur la capacité des gardiens de la révolution à former des milices qui leur seront fidèles en toute circonstances, à un coût relativement faible.
Ce matin, c’est toute la région qui s’est réveillée avec une drôle d’impression, consciente que l’élimination de cet homme pourrait être l’élément déclencheur d’une escalade sans précédent entre les États-Unis et l’Iran. Et pour cause, le stratège iranien dont on voue les qualités politiques était plus qu’un atout pour la République islamique : il était un symbole de tout ce qu’elle a réussi à construire au cours des quatre dernières décennies. L’histoire de Soleimani et celle de la République islamique se confondent. Dans ses succès comme dans ses atrocités.
(Lire aussi : Pourquoi l'élimination de Soleimani ressemble à une déclaration de guerre)
Le tournant de la révolution
Issu d’un milieu populaire agricole des montagnes de Kerman, dans le sud de l’Iran, il commence à travailler dès l'âge de 13 ans, d’abord dans la construction, puis comme technicien municipal, pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais la révolution iranienne de 1979 lui présage un autre destin. En 1980, il s’engage au sein des gardiens de la révolution pour défendre l’Iran contre la menace d’une invasion par l'armée irakienne du président Saddam Hussein. Il sera profondément marqué par cette guerre qui le consolidera dans ses convictions. Il épouse la cause qu’il ne quittera plus jamais.
Il prend la direction de la force al-Qods après la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan, en 1998.
L’histoire irakienne de Kassem Soleimani se poursuit à la faveur de l’intervention américaine de 2003 et de la mise en place en 2005 d’un gouvernement irakien sur des bases confessionnelles. Ces dernières ouvrent la voie à l’expansion iranienne dans le pays. L’influence de Soleimani s'étend sous la direction des anciens Premiers ministres Ibrahim al-Jaafari et Nouri al-Maliki. L'Organisation Badr, parti politique chiite et force paramilitaire pro-iranienne, devient une branche de l'État suite au placement des ministères de l'intérieur et des transports sous contrôle de l'aile politique du groupe armé. Le général devient le véritable décideur de la politique irakienne.
Longtemps homme de l’ombre, Kassem Soleimani devient, à la faveur de la guerre civile syrienne et de la lutte contre l’État islamique en Irak, le nouveau visage de Téhéran, celui d’une république qui prétend lutter vaillamment contre la barbarie de l’EI. Selon un sondage publié en 2018 par IranPoll et l’université de Maryland, 83 % des Iraniens interrogés avaient, à l’époque, une opinion favorable de lui.
La guerre syrienne constituera un enjeu existentiel pour l’Iran. Dès 2012, Kassem Soleimani ordonne à ses milices de pénétrer en Syrie pour aller à la rescousse du gouvernement Assad et écraser l’insurrection armée contre le pouvoir en place. Dans un discours tenu en 2013 devant l'Assemblée des experts, il déclare, déterminé : « Nous soutiendrons la Syrie jusqu'au bout ». Si le général envoie entre 20 000 et 25 000 combattants soutenir les hommes de Bachar el-Assad, les Iraniens restent minoritaires sur le terrain. C’est le Hezbollah libanais qui fournit le plus gros bataillon. A l’été 2014, les Hachd al-Chaabi, unités paramilitaires chiites soutenues par l'Iran, dont certaines tombaient sous le contrôle de Soleimani, se sont battues aux côtés de l'armée irakienne pour vaincre le groupe jihadiste État islamique.
Héros en Iran, il est détesté par une partie des populations syrienne et irakienne qui voit en lui l’exécutant de la politique répressive menée par Téhéran dans la région. Avant d’être l’ennemi numéro un des États-Unis, le général avait joué la carte de la coopération avec les Américains dans la période immédiate qui suit le 11-Septembre, avançant la nécessité de celle-ci pour renverser les Talibans. Malgré son mépris pour Washington, il fait preuve, dans un premier temps, de pragmatisme après l’intervention américaine en Irak, contraint l'armée Mahdi menée par Moqtada Sadr de cesser ses attaques contre des cibles américaines à Bagdad et fournit aux États-Unis des informations importantes relatives aux positions talibanes en Afghanistan.
Pour le guide suprême de la révolution iranienne, l’ayatollah Ali Khamenei, Kassem Soleimani était « le martyr vivant de la révolution ». Personnage vénéré par de nombreux Iraniens, sa mort fait craindre une véritable guerre par procuration dans la région entre Washington et Téhéran. « Soleimani a rejoint nos frères martyrs mais notre revanche sur l'Amérique sera terrible », a réagi sur Twitter Mohsen Rezai, ancien chef des gardiens de la révolution. Ali Khamenei a, pour sa part, appelé à la « vengeance ».
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commentaires (6)
Ce n'est pas tellement les milices iraniennes qui ont vaincu Daech et les ont chassé de Syrie et d'Irak. C'est la puissance militaire inégalée de la coalition Américano-Européenne qui a mis fin à la présence de l'Etat Islamique. Le Président Aoun n'a pas le droit de condamner l'assassinat de Soleimani au nom du Liban. Une majorité de Libanais est plutôt d'accord avec l'élimination de ce chef de guerre responsable des pires atrocités et symbole à juste titre, de l'ingérence et de l'hégémonie politique et militaire de l'Iran dans la région (Irak, Syrie, Liban, Yémen, Gaza...).
Tony BASSILA
23 h 30, le 03 janvier 2020