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Liban - Prisons

Confinés et désœuvrés, souvent battus, « alors parfois les détenus explosent ! »

À l’initiative du bâtonnier Melhem Khalaf, 729 avocates et avocats ont essaimé hier les centres de détention du pays pour dresser un état des lieux de la réalité carcérale. Une première au Liban.

Le bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf, également fondateur de l’association Offre Joie, arrive dimanche à l’aile hautement sécurisée de la prison de Roumieh. À ses côtes, le général Farès Farès, dépêché par la ministre de l’Intérieur, et le représentant du Barreau auprès du Palais de justice, également membre du conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth, Nader Gaspard. Photo FSI

Dans une petite cellule proprette et bien rangée, un détenu d’une soixantaine d’année s’entretient avec deux avocats. Tout de blanc vêtu, l’homme à la longue barbe blanche se présente comme un professeur universitaire. Omar Bakri Fustok, condamné à la perpétuité pour terrorisme, s’exprime d’une voix calme et posée. Raconte les relations rompues avec son avocat, sa déchéance de la nationalité britannique. L’étroite pièce sent bon la menthe. Elle est équipée d’un coin salle de bains-cuisine, d’un réfrigérateur et d’une télévision. Les avocats posent des questions et prennent des notes. Ils accompagnent le bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf dans sa tournée des 25 prisons du pays, à laquelle ont pris part 729 avocats bénévoles, ce dimanche 22 décembre. Parmi eux, 65 % de femmes. L’un se penche sur le dossier judiciaire, l’autre sur les conditions de vie du détenu. L’imam radical, né en Syrie et détenteur du passeport libanais, fait partie des quelques privilégiés qui ont droit à leur espace personnel, à une défense digne de ce nom. Nous sommes dans le secteur carcéral de haute sécurité, dans la prison de Roumieh, dit bâtiment J. L’accès aux femmes y est fortement découragé. Les avocates seront donc dirigées vers les quatre autres bâtiments, réservés aux mineurs, aux condamnés, aux personnes arrêtées ou aux islamistes. Car les prisonniers les plus dangereux sont enfermés dans le secteur hautement sécurisé, les islamistes les plus radicaux notamment. Nombre d’entre eux ont été condamnés à mort, comme le cheikh Ahmad el-Assir. Le bâtonnier lui rend personnellement visite, s’informe de son dossier, du respect de ses droits, comme il le fait avec n’importe quel autre détenu qu’il rencontre.


La lenteur des procédures

Quelques cellules plus loin, des détenus s’estiment, eux, « victimes d’injustice ». Condamnés à mort pour terrorisme, installés à deux ou trois dans une petite pièce sombre et humide à la limite de l’insalubrité, ils ont vu leur peine commuée en détention à perpétuité, mais ne manquent pas de s’interroger sur le caractère définitif de cette peine. « En Europe, la perpétuité est désormais limitée dans le temps. Qu’en est-il au Liban ? » s’interroge un détenu. Les condamnations discriminatoires sont aussi décriées. « Nous avons eu les peines maximales parce que nous sommes palestiniens, s’insurge un prisonnier qui affirme avoir fait appel. Les Libanais, eux, ont tous été acquittés ou n’ont pas été arrêtés. » Les habitants de Nahr el-Bared, dont certains ont combattu dans les rangs de Fateh el-Islam, dénoncent cette politique des deux poids, deux mesures, « cette volonté de faire assumer aux Palestiniens des camps » la responsabilité entière des erreurs commises. « Nous avons été contraints de donner nos dépositions sous la torture et sous la menace de faire du mal à nos familles », ajoute-t-il. Certains purgent leur peine depuis plus de 15 ans. D’autres dénoncent des procédures biaisées, voire des aberrations. Un jeune Libanais se demande où trouver les 47 millions de LL dont il devra s’acquitter, en guise d’amende, à sa libération. Anwar A., un cheikh de Dar el-Fatwa, est incarcéré depuis huit ans, mais son dossier n’a toujours pas été ouvert. « L’acte d’accusation n’a même pas été publié », raconte l’un de ses proches.

Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas. Les avocats ne peuvent que constater la lenteur du travail de la justice, les reports inexpliqués d’audiences. S’ils avouent être « agréablement surpris » par les conditions de vie des détenus dans ce bâtiment hautement sécurisé, le plus neuf de la prison de Roumieh, il n’en reste pas moins qu’un prisonnier qui a purgé la totalité de sa peine et qui devait être remis en liberté a récemment été hospitalisé pour avoir contracté la tuberculose. Sur la porte de sa cellule interdite d’accès on a bien pris la peine de le mentionner. « Il fait si humide dans nos cages qui ne voient pas la lumière du jour », déplore un détenu. Sans oublier que « les prisonniers n’ont droit à la promenade sur le toit du bâtiment que deux à trois fois par semaine », reconnaît un agent des Forces de sécurité intérieure, en charge des prisons. Et puis « l’eau chaude est une denrée rare, pour ne pas dire inexistante », observe un avocat. Quant à « l’eau potable, elle est souillée », révèlent les détenus.


(Lire aussi : Melhem Khalaf à « L’OLJ » : Je me considère comme un cri d’espoir)


Parfois, ils explosent !

Il faut aussi dire que ce bâtiment qui n’abrite que quelque 58 prisonniers des plus dangereux, libanais, syriens, palestiniens, soudanais, égyptiens ou indiens, est considéré comme à haut risque. Les portes blindées ne s’ouvrent... que sur d’autres portes blindées. « Les prisonniers ne sont pas là pour être réhabilités, mais sanctionnés », laisse échapper un gardien. Ce qui explique la tension palpable entre certains détenus et des membres des forces de l’ordre. « Allez-donc voir les sous-sols ! Nous sommes souvent battus et confinés dans des pièces exiguës », crache aux défenseurs un prisonnier de Ersal, qui ne cache pas sa colère. « Leur situation n’est pas enviable, commente un surveillant comme pour atténuer les propos du jeune détenu. Ils sont enfermés dans leurs cellules et ne font rien de leurs journées, car il n’existe aucun programme de réhabilitation. Alors parfois, ils explosent. C’est ainsi qu’ils ont cassé les caméras de surveillance, les alarmes anti-incendie, les vitres des fenêtres et même les portes électroniques ». Et d’avouer : « Ils sont si violents parfois, que nous prenons peur. »

Quelque 7 000 détenus sont incarcérés dans les 25 prisons du pays. Et à elle seule, la prison de Roumieh en héberge 4 000, pour une capacité de 1 200 détenus. C’est dire la surpopulation et la promiscuité qui règnent dans les centres carcéraux du pays, alors que les autorités annoncent en vain et depuis des décennies une réforme imminente du système carcéral. C’est donc pour « dresser un état des lieux de la réalité carcérale sur l’ensemble du territoire » que le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, a organisé cette journée de bénévolat, en concertation avec l’ordre des avocats de Tripoli. Une journée qui a permis à 729 avocates et avocats de se rendre dans les prisons de Beyrouth, du Mont-Liban, du Nord, du Sud et de la Békaa, sans le moindre accroc, comme le constate le bâtonnier, et en « totale coopération » avec les forces de l’ordre. L’événement a notamment vu la participation du représentant du Barreau auprès du Palais de justice, également membre du conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth, Nader Gaspard, et de la directrice de l’Institut des droits de l’homme au sein de l’ordre, Elizabeth Sioufi.


Au service de la société

« Notre vision est d’accomplir notre mission, de faire respecter les droits de l’homme et de prendre la défense des plus défavorisés », affirme à L’Orient-Le Jour le bâtonnier proche du mouvement de contestation populaire. En lançant cette initiative, Me Khalaf entend redonner aux avocats leur image initiale : « Se mettre au service de la société. » Pratiquement, quatre objectifs clairs se dessinent. « Dresser un état des lieux doit permettre d’identifier les détenus qui bénéficient ou non de l’aide d’avocats, et de leur fournir au besoin une assistance judiciaire », explique le bâtonnier. Il entend, de plus, « aider les détenus à s’acquitter de l’amende qu’il leur reste à payer à la fin de leur peine de prison, grâce à la contribution de la caisse de solidarité de l’ordre ». Melhem Khalaf estime par ailleurs nécessaire de « hâter la paperasserie administrative, lorsque le détenu a purgé sa peine, pour accélérer sa remise en liberté ». Enfin, il insiste sur la nécessité de « faire appel à toutes les professions libérales dans le cadre d’une stratégie nationale pour le système carcéral ». Ce qui permettrait aux détenus de bénéficier de soins médicaux et de vivre dans des conditions moins pénibles.



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commentaires (3)

POURQUOI NOUS N'AVONS PAS UN MELHEM KHALAF A CHAQUE POSTE DE MINISTRE ET DE DEPUTE DANS CE PAYS? CELA NOUS AURAIT EPARGNE BEAUCOUP DE MALHEURS ET AURAIT FAIT DE PAYS UN PARADIS SUR TERRE BRAVO MR KHALAF ET MESSIEURS LES AVOCATS POUR VOTRE GESTE UNIQUE ET TRES PUISSANT

LA VERITE

11 h 23, le 23 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • POURQUOI NOUS N'AVONS PAS UN MELHEM KHALAF A CHAQUE POSTE DE MINISTRE ET DE DEPUTE DANS CE PAYS? CELA NOUS AURAIT EPARGNE BEAUCOUP DE MALHEURS ET AURAIT FAIT DE PAYS UN PARADIS SUR TERRE BRAVO MR KHALAF ET MESSIEURS LES AVOCATS POUR VOTRE GESTE UNIQUE ET TRES PUISSANT

    LA VERITE

    11 h 23, le 23 décembre 2019

  • Garder à l'esprit le rôle humanitaire de réinsertion ( pour certains) de notre société. Fabriquer des bombes à retardement dans nos prisons n'est pas la solution.

    Citoyen

    10 h 27, le 23 décembre 2019

  • UNE TRES BONNE INITIATIVE POUR CONFIRMER LES FAITS ET VOIR COMMENT ET CE QUI SE PASSE REELLEMENT DANS CES LIEUX DE DETENTION A LA REPUTATION PAS TRES PROPRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 35, le 23 décembre 2019

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