C’est un même cri retentissant d’un « non, nous n’aurons plus peur » que les manifestants ont poussé hier au lendemain d’une longue nuit de violents affrontements qui les ont opposés la veille aux forces de l’ordre, au centre-ville de Beyrouth. C’était quelques heures avant que les accrochages entre des éléments perturbateurs et les Forces de sécurité intérieure, assistées par une brigade antiémeute, ne reprennent.
Vers 20h30, la manifestation qui s’était déplacée de la place des Martyrs vers la rue Weygand – où avaient eu lieu les événements de la veille – et qui se déroulait dans une ambiance pacifique avec des femmes formant un bouclier humain entre les contestataires et les forces de l’ordre pour éviter les accrochages, a rapidement sombré dans la violence, des éléments infiltrés ayant lancé des projectiles sur la police qui se trouvait aux abords de la place de l’Étoile. Celle-ci a riposté en tirant, dans un premier temps, des bombes assourdissantes pour disperser les manifestants, suivies de bombes lacrymogènes et des jets d’eau. En quelques minutes, la rue Weygand ressemblait à une scène de guerre. Des jeunes sont également venus crier allégeance au président du Parlement Nabih Berry, avant de foncer sur les manifestants dont certains leur ont rendu la pareille.
Vers 23 heures, des chemises noires ont mis le feu aux tentes dressées à la place des Martyrs. D’autres brisaient des magasins à la rue Foch. À l’heure d’aller sous presse, les actes de violence se poursuivaient.
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« Ils ont perdu leur légitimité »
Pourtant, la manifestation avait commencé vers 16 heures de manière pacifique. Les protestataires commençaient à affluer par petits groupes à la place des Martyrs pour un rassemblement placé sous le signe de la « dignité ». Certains, drapeau libanais noué en guise de foulard ou brandi à la main, battaient le pavé entre la place des Martyrs et celle de Riad el-Solh. D’autres discutaient entre eux des événements de la veille sur fond de chansons patriotiques diffusées sur des haut-parleurs.
« Nous avons remarqué qu’à chaque fois que le président du Parlement est hué, nous avons droit à un traitement violent », lance Fadi, en référence aux affrontements de samedi soir. D’ailleurs, hier, M. Berry ainsi que le Premier ministre démissionnaire Saad Hariri ont été fortement hués quelques heures avant les accrochages. « Nabih Berry est un voleur, Nabih Berry est un voyou » et Saad « Hariri ne rêve pas de devenir à nouveau Premier ministre », criaient-ils, accusant ce dernier de « corruption ». Ils ont aussi proféré des insultes à l’encontre du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil.
Dans la rue de l’émir Béchir, reliant la place des Martyrs à celle de Riad el-Solh, un groupe de trois femmes commentent les événements de la veille. « Nous essayons de nous débarrasser d’eux (classe politique) et eux de nous, lance Diana. Mais nous sommes redescendus dans la rue. Nos messages leur sont inaudibles. Ils font la sourde oreille. Ils pensent qu’ils peuvent continuer à agir comme bon leur semble. »
« Ils ne savent pas qu’ils ont perdu toute légitimité, du moins à l’étranger, et cela est une nouvelle victoire pour la révolution, renchérit sa fille Céline, 24 ans. À la fin, c’est le peuple qui l’emportera. » Vivant à Lyon, en France, depuis de nombreuses années, elle confie être arrivée « ce matin (hier). J’ai déjeuné en famille, puis je suis venue directement à la place », poursuit-elle, l’émerveillement se lisant sur son visage. « Je retrouve ici toutes les images que je suis depuis deux mois sur les réseaux sociaux, dit-elle. Les expatriés soutiennent inconditionnellement les manifestants que je tiens à remercier pour être descendus dans la rue en notre nom aussi. »
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« Nous ne sortirons pas des places »
Le groupe de femmes est rapidement rejoint par des parents. Pour Mario, les violences survenues la veille « sont un message d’intimidation lancé par les forces de l’ordre et les infiltrés à l’intention des manifestations pour leur dire qu’ils n’existent pas ». « Mais cet étalage de force est aussi rassurant, juge-t-il. Parce qu’à chaque fois qu’ils (les responsables politiques) usent de la force, quelque chose de bien s’annonce. La dernière fois qu’ils l’ont fait, Saad Hariri a démissionné (en référence au 29 octobre, lorsque des chemises noires ont attaqué les manifestants aux places des Martyrs et Riad el-Solh). C’est une sorte de défoulement. »
Au nombre des manifestants hier, un groupe de femmes d’un quartier musulman de Beyrouth, ainsi qu’un groupe venant de la Békaa. Hussein est originaire de Baalbeck. « Ils veulent réprimer les manifestants dans l’espoir qu’ils sortent de la rue et que les consultations contraignantes pour la désignation d’un Premier ministre se passent sans heurts, commente-t-il. Mais ils se trompent. Nous ne quitterons pas les places et la désignation de Saad Hariri ne passera pas. »
Plus loin, Roula montre à un groupe d’amis son nouvel accoutrement : masque et lunettes pour se protéger des bombes lacrymogènes. « Ils ne veulent pas comprendre que depuis longtemps nous n’avons plus peur, avance-t-elle. Malheureusement, ils sont désemparés. Ils ne savent plus quoi faire. » Pour Abdo Chahine, acteur, c’est une façon pour la classe politique et les forces de l’ordre d’exprimer « leur embarras, d’autant qu’ils n’ont pas de solutions ».
Sur la tribune, un DJ anime la manifestation, alors que se succèdent au micro des contestataires qui rappellent les objectifs de ce rassemblement : la liberté et le droit de vivre en toute dignité. Et d’inviter la foule à se diriger vers la rue Weygand et d’approcher de la place de l’Étoile, « parce que la place devant le Parlement est au peuple ». Aussitôt la foule s’exécute, menée par un homme au micro qui scande des slogans essentiellement contre MM. Berry et Hariri. « Les actes de violence sont leur façon de préparer à l’imposition de Saad Hariri, dit une femme sous couvert d’anonymat. Mais je suis confiante pour la finalité. Nous n’allons pas en démordre. »
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COMMENT DETECTER LES VOYOUS INFILTRES ET LEURS INTERDIRE L,ACCES AUX PLACES OU LES CONTESTATAIRES PACIFIQUES MANIFESTENT ? DIFFICILE TACHE MAIS DU RESSORT DES FORCES DE L,ORDRE. ILS SAVENT BIEN D,OU ILS VIENNENT ET SURTOUT QU,ILS TRANSPORTENT AVEC EUX OU SUR LEURS MOTOCYCLETTES DES BATONS ET DES PIERRES SANS MENTIONNER AUSSI LES COUTEAUX. COMMENT ARRIVENT-ILS AVEC DES MOLOTOVS JUSQU,AUX TENTES POUR LES BRULERS DEVANT LES YEUX DES FORCES DE L,ORDRE. IL Y A TROP DE QUESTIONS A ELUCIDER AVEC LES FORCES DE L,ORDRE ET PEUT-ETRE DE COLLABOS A DENICHER.
12 h 07, le 16 décembre 2019