Sauf décision imprévue de dernière minute, les consultations parlementaires auront lieu aujourd’hui et en fin de journée, un nouveau Premier ministre devant être officiellement désigné... qui ne serait autre que l’actuel chef du gouvernement démissionnaire.
Dans ce contexte, deux éléments seront déterminants pour la nouvelle étape qui commencera après la désignation. Le premier, purement politique, consistera dans le nombre de députés qui nommeront Saad Hariri pour former le nouveau gouvernement. Quant au second, il est populaire et il concernera la réaction de la rue, en particulier le mouvement de protestation, à la désignation d’un Premier ministre qui est, en principe, inclus dans le fameux slogan de la révolte : « Tous, cela veut dire tous ».
Concernant le premier élément, les contacts des derniers jours entrepris sous l’impulsion du président de la Chambre Nabih Berry ont certainement joué un rôle important pour dessiner les contours de la désignation. Il y a eu ainsi d’abord la rencontre mercredi entre M. Berry lui-même et le chef du CPL, Gebran Bassil. Selon des sources proches de ce dernier, la rencontre entre les deux hommes, qui n’avaient pourtant pas la réputation d’avoir beaucoup de sympathie l’un pour l’autre, était très positive. Elle est même annonciatrice d’une nouvelle phase de coopération entre MM. Berry et Bassil, selon les mêmes sources. C’est d’ailleurs suite à cette réunion que le lendemain, lors de sa conférence de presse, à l’issue de la réunion du bloc du Liban fort, Gebran Bassil a baissé le plafond de ses positions, se contentant d’annoncer l’intention de son camp de ne pas participer à un cabinet de technocrates présidé par Saad Hariri, dans un souci, comme il l’a dit lui-même, de faciliter le processus de formation du gouvernement. Selon les sources proches de Aïn el-Tiné, M. Berry a aussi qualifié la rencontre de positive, répétant que les deux formations chiites ne participeront pas au gouvernement si le bloc du Liban fort ne le fait pas aussi. En même temps, Nabih Berry a poussé, par le biais de contacts discrets, le Premier ministre démissionnaire à se rendre à Baabda pour assurer un climat aussi positif que possible aux consultations qui se tiennent aujourd’hui. Il a donc réussi à convaincre Saad Hariri de se rendre dans la plus grande discrétion samedi soir chez le président Michel Aoun.
(Lire aussi : Indigne pouvoir libanais, l'édito d'Emilie Sueur)
Toutefois, selon les milieux politiques, le succès des efforts du président de la Chambre pour réduire les antagonismes ne signifie pas que le processus de formation du gouvernement ne sera pas truffé d’obstacles.
D’abord, si le bloc de M. Berry compte désigner Saad Hariri pour former le gouvernement, pour lui assurer un minimum de couverture chiite, le Hezbollah et le bloc du Liban fort n’en feront pas de même. D’autres blocs comptant moins de députés pourraient suivre cet exemple, comme celui du PSNS. Par contre, selon des sources proches du courant du Futur, le bloc des Forces libanaises aurait décidé de désigner Saad Hariri, quitte à ne pas accorder sa confiance au gouvernement, lors du vote parlementaire, si la formule qu’il présentera ne correspond pas aux critères que ce parti a définis. Sans entrer dans les détails des choix de tous les députés, les estimations donnent à Saad Hariri une majorité plutôt étroite, comparativement à ses autres désignations en 2016 et en 2018 (111 et 112 députés l’avaient choisi). On parle d’un score tournant autour de 70 députés. Ce qui pourrait pousser le Premier ministre à se récuser, poussant à la tenue de nouvelles concertations parlementaires.
Si, au contraire, Saad Hariri acceptait la désignation, le processus de formation devrait commencer. Les différents milieux politiques estiment qu’il sera long et semé d’embûches. En fait, il se heurtera à de nombreux obstacles dont le moindre n’est pas la position des deux formations chiites qui continuent de réclamer un gouvernement techno-politique. Si Saad Hariri décidait de passer outre et de présenter une formule de ce qu’il appelle des « experts », le chef de l’État pourrait d’abord ne pas signer le décret, et s’il le faisait, le gouvernement ainsi formé pourrait ne pas obtenir la confiance du Parlement. Ce qui aurait fait perdre au Liban de précieuses semaines. L’autre scénario, c’est que M. Hariri prenne son temps dans la formation (le gouvernement démissionnaire avait mis un peu plus de neuf mois pour naître) en misant sur le pourrissement pendant une longue période pour arrondir les angles. Mais la situation économique et financière du pays ne supporterait pas un aussi long délai de gestation. Le troisième scénario est celui d’un compromis entre Saad Hariri et les deux formations chiites au sujet de la formation d’un gouvernement techno-politique. C’est certainement celui que préfèrent Amal et le Hezbollah. D’abord parce qu’ils sont convaincus que dans une période aussi délicate, la solution la plus adéquate consiste dans un compromis, et ensuite parce que les deux formations insistent pour que M. Hariri soit leur partenaire dans l’étape à venir, d’une part pour éviter que le pays bascule dans une discorde confessionnelle, et d’autre part parce qu’elles estiment que le courant du Futur assume une certaine responsabilité dans l’état actuel du pays et ne peut pas par conséquent se retirer de la scène publique.
(Lire aussi : Hariri assuré d’une majorité mais le problème du cabinet reste entier)
Toutefois, dans l’état actuel des choses, rien n’indique que Saad Hariri soit prêt à un compromis, et selon les sources proches des deux formations chiites, la visite annoncée de l’émissaire américain David Hale à Beyrouth ne devrait pas pousser dans ce sens.
L’autre inconnue qui pèsera ce soir, c’est la réaction de la rue à la probable désignation de Saad Hariri pour former le gouvernement. Le mouvement de protestation se trouvera devant un test important. Est-il prêt à accepter cette désignation, sachant que le chef du courant du Futur est une figure politique qui a joué un rôle important sur les scènes politique et économique au cours des dernières années ? Le mouvement, dans toute sa diversité, parviendra-t-il à adopter une position unifiée au sujet de cette désignation, ou bien les divisions commenceront-elles à apparaître ? Enfin et surtout, ce qui s’est passé samedi soir au centre-ville de Beyrouth était-il un indice avant-coureur ou un dérapage qui ne se reproduira plus ? Autant de questions qui attendent des réponses à partir de ce soir...
Lire aussi
commentaires (8)
DE LA MASCARADE !
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 07, le 16 décembre 2019