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Idées - Lutte anticorruption

Il est temps que la CSI et les banques jouent leur rôle

Photo d'illustration Smaglov/Bigstock

La lutte contre la corruption et la restitution des fonds publics détournés est l’une des principales revendications du mouvement du 17 octobre. Face à ces revendications, chaque bord politique propose ses textes de lois – comme celui sur la révision de la loi sur l’enrichissement illicite ou la proposition de loi sur la levée du secret bancaire des agents publics – pour remédier tant bien que mal à cette situation.

Pourtant, il y aurait un moyen d’atteindre dès à présent cet objectif, et ce en appliquant les lois actuelles. Dans les opérations de corruption et de détournement de fonds publics, il est rare, en effet, que les hommes politiques qui seraient empêtrés dans ces affaires apparaissent directement comme les bénéficiaires réels du produit de la corruption. Il est plus probable qu’avec le concours de personnes physiques ou morales, ils fabriquent de fausses justifications visant à masquer la source réelle et illicite de ces fonds et leur recyclage dans des investissements mobiliers ou immobiliers. Ces personnes qui les aident à fabriquer ces fausses justifications font du blanchiment d’argent et tombent donc sous le coup de la loi n° 44 de 2015 relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

La Constitution libanaise ainsi que d’autres textes garantissent aux députés et aux ministres une certaine immunité dans l’exercice de leurs fonctions. La loi sur l’enrichissement illicite promulguée en 1999 était censée faciliter la levée de cette immunité dans les affaires de corruption et de détournement de fonds publics, mais en pratique, cette loi est restée lettre morte car très difficilement applicable, et pour cause, elle ne l’a jamais été.

Déceler les opérations

Contrairement aux députés et aux ministres, les personnes physiques ou morales qui ont participé au blanchiment du produit de la corruption ne sont généralement pas protégées par une quelconque immunité et peuvent donc être poursuivies par-devant les instances judiciaires compétentes comme tout justiciable normal. Elles peuvent encourir jusqu’à sept ans d’emprisonnement et sont passibles d’une amende allant jusqu’à deux fois la valeur des fonds blanchis, bien qu’elles n’en soient pas les bénéficiaires finales ; d’autant plus que le blanchiment est un crime en soi et qu’il n’est donc nul besoin de condamner les auteurs du crime initial pour arriver à condamner les personnes accusées du crime de blanchiment.

Ainsi et à l’occasion de la poursuite des personnes suspectées d’avoir participé à des opérations de blanchiment, la justice pourra démonter ces opérations et parvenir à identifier le corrupteur et le corrompu, pour ensuite les juger selon les lois en vigueur.

Mais avant de pouvoir en arriver là, encore faut-il être en mesure de déceler ces opérations de blanchiment et d’établir le lien avec les personnes impliquées. Or, les montages visant à blanchir les fonds illicites passent dans la plupart des cas à un moment ou un autre par le circuit bancaire.

Dysfonctionnement

C’est là qu’intervient la Commission spéciale d’investigation (CSI), une entité juridique indépendante créée en vertu de la loi n° 318 de 2001 et qui a pour principale mission la lutte contre le blanchiment d’argent. La CSI est habilitée à avoir un accès systématique à tout compte ouvert auprès des banques libanaises, y compris à ceux de l’ensemble des responsables politiques. Elle est censée identifier, enquêter, tracer et geler les fonds suspectés d’avoir fait l’objet d’opérations de blanchiment et dispose, dans ce cas, du droit de lever le secret bancaire et de geler les comptes suspects. Cet organe d’investigation est présidé par le gouverneur de la Banque du Liban et compte parmi ses membres le président de la Commission de contrôle des banques, le juge nommé au sein du Haut Comité bancaire ainsi qu’un membre désigné par le Conseil des ministres.

La CSI déploie son contrôle à travers les banques et institutions financières qui sont tenues, en vertu de la loi 44/2015, de mettre en œuvre des mesures de vigilance à l’égard de leurs clients. Elles doivent ainsi s’assurer que les opérations et transactions bancaires de leurs clients correspondent à une réalité économique et financière et ne dissimulent pas des opérations illicites, et ce en exigeant de leurs clients des documents justificatifs probants. Dans le cas où elles déccéleraient des irrégularités, elles ont l’obligation de les reporter à la CSI. Toute négligence ou défaillance dans cette obligation de contrôle et de report pourrait engager la responsabilité juridique des banques et des institutions financières. C’est pour des motifs similaires que deux filiales de Standard Chartered Bank se sont vu infliger en 2018 par l’Autorité monétaire des amendes totalisant 4,9 millions de dollars, après avoir été accusées de violer les lois contre le blanchiment. Singapour et l’un des pays les moins corrompus au monde, selon l’ONG Transparency International.

Est-il concevable que dans un pays aussi corrompu que le Liban, la CSI et ses agents de contrôle (les banques), bien qu’actifs sur d’autres dossiers, n’aient jamais pu déceler aucune opération de blanchiment d’argent liée à des hommes politiques ? Nous ne pouvons qu’en déduire que cette inertie relève d’un dysfonctionnement. Toujours sur le terrain de la déduction, ce dysfonctionnement pourrait être dû à deux causes : le manque de compétences des personnes en charge au sein de ces institutions, et/ou une ingérence politique dans le fonctionnement desdites institutions.

Si c’est une question de manque de compétences, il faut impérativement opérer les changements nécessaires à tous les échelons pour mettre en œuvre de manière plus efficace les procédures. Et si c’est une question d’ingérence politique, il faudrait que ces institutions s’en libèrent.

En attendant la promulgation de lois plus efficaces relatives à la lutte contre la corruption et le détournement de fonds publics, la CSI et les banques pourraient devenir des fers de lance dans cette lutte en appliquant avec diligence et zèle les dispositions de la loi n°44/2015.

Par Nabil Zakhia
Avocat au barreau de Beyrouth spécialisé en droit des affaires.

La lutte contre la corruption et la restitution des fonds publics détournés est l’une des principales revendications du mouvement du 17 octobre. Face à ces revendications, chaque bord politique propose ses textes de lois – comme celui sur la révision de la loi sur l’enrichissement illicite ou la proposition de loi sur la levée du secret bancaire des agents publics – pour remédier...

commentaires (5)

Un fléau que la jeunesse montante endolorie combattra de toutes ses forces. Seuls, héritant un lourd fardeau de dette nationale, ils ne ménageront personne.

Esber

16 h 36, le 08 décembre 2019

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Commentaires (5)

  • Un fléau que la jeunesse montante endolorie combattra de toutes ses forces. Seuls, héritant un lourd fardeau de dette nationale, ils ne ménageront personne.

    Esber

    16 h 36, le 08 décembre 2019

  • Il semblerait que la majorité des banques soient impliquées, complices et bénéficiaires du système faisandé mis en place par les dirigeants politiques et la BDL. Une pyramide de Ponzy de cette ampleur ne peut se mettre en place sans une complicité à niveau élevé. En effet il serait normal et bon que le CSI exerce ses prérogatives de contrôle. Mais, peut-on imaginez, face à sa cécité passée et présente et sans faire preuve d’une immense dose de naïveté que le CSI ne fait pas partie du système corrompu en place ? Peut-être faudrait-il nettoyer l’organisme avant de lui demander de faire son boulot, non ?

    Rana Raouda TORIEL

    10 h 22, le 08 décembre 2019

  • LA SEULE ET JUSTE ACTION EST D,APPLIQUER A TOUS LES EMPLOYES DE L,ETAT DU PLUS GRAND AU PLUS PETIT ET DE LEUR ENTOURAGE IMMEDIAT ET AUX AVOCATS ET MEDECINS LE MEN AYNA LAKA HAZA. LES UNS POUR AVOIR VOLE DIRECTEMENT ET LES AUTRES POUR AVOIR VOLE LE FISC.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 04, le 08 décembre 2019

  • je n'ai de cesse d m'etonner que nul ne prend en compte les CORRUPTEURS ! Entrepreneurs, prete noms de representants locaux de Stes etrangeres a qui le gouv concede des contrats mirobolants( en fait des politiciens ) , divers fournisseurs-entre autres ceux des produites energetiques(petrole, essence, gaz fuel ) , enfin proprietaires de locaux de qui le gouv loue des surfaces dignes de pays 20 fois plus importants que le Liban. Facile de trouver les listes de qqs dizaines de noms qui generalement sont les memes a se faire les poches ET celles justement des responsables politiques & leurs associes directeurs divers au sein de l'administration , a tour de role - enfin, comme la foto le laisse deviner, etendre les enquetes aux coffres loues aux banques locales & internationales

    Gaby SIOUFI

    09 h 20, le 08 décembre 2019

  • J'ai une question: si une banque fait faillite est-ce que la BDL couvre une partie de la somme perdue et la restitue au teneur du compte?

    Georges Zehil Daniele

    07 h 58, le 08 décembre 2019

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