Après ce 22 novembre qui a vu le peuple recouvrer la symbolique de l’indépendance, dans une ambiance tout en couleurs, pendant que l’État était contraint de se cacher pour célébrer la plus morose des fêtes nationales, le mouvement de contestation libanais est à un tournant décisif. Face à la contre-révolution qui commence à s’installer de manière tantôt franche, tantôt sournoise, il va falloir décider de la suite : continuer et enregistrer de nouvelles victoires ou bien céder devant les tentatives de jeter le discrédit sur le soulèvement, le chantage à l’effondrement économique et financier, et la menace de dérapages sécuritaires, si ce n’est davantage.
Nul ne contestera la volatilité de la situation actuelle, tant sur le plan politique qu’économique. Mais si la responsabilité d’avoir mené les choses jusqu’à ce point incombe, d’une façon ou d’une autre, à tout le monde au sein de la classe politique et au-delà, il est clair que ceux qui, aujourd’hui, s’estiment directement ciblés par le mouvement, ceux-là mêmes qui s’efforcent de contrer les demandes des protestataires, d’abord la formation d’un gouvernement de spécialistes indépendants et, dans un second temps, la tenue d’élections législatives anticipées, devront désormais être seuls comptables des désastres à venir.
Au nom de quoi refuse-t-on de se soumettre à des exigences aussi modérées, régénératrices et salvatrices que celles de la contestation ? Des équilibres politiques nés des élections de 2018 ? La belle affaire ! Comment peut-on, en démocratie, invoquer les résultats d’un scrutin qui paraît aujourd’hui ridiculement antédiluvien au vu de l’ampleur qu’a prise la révolte ? D’aucuns, il est vrai, contesteront cette ampleur, confirmant ainsi les diagnostics de cécité qu’on dresse à leur sujet. Ils n’iront pas loin comme cela, car continuer à se parer des habits de la légalité à l’heure où leur légitimité s’est effondrée à ce point les conduirait de déconfiture en déconfiture. Et le pays tout entier avec eux.
Que cherche-t-on donc à perpétuer malgré les cris de dégoût et de révolte des protestataires? Les innombrables réussites du mandat et du gouvernement sortant ? La saga de l’électricité ? Le statut anormal du parti-État ? La pérennité de l’axe iranien ? Les chances de succès à la prochaine présidentielle de l’homme politique le plus impopulaire de la République, celui-là même qui vient d’être le plus grand non-ministre des Affaires étrangères de l’histoire de la diplomatie libanaise ?
Et voici que le Hezbollah nous rejoue le refrain américain ! La règle du jeu se fonde chez lui sur un syllogisme élémentaire, pour ne pas dire autre chose : 1) Le mouvement de contestation réclame un gouvernement de technocrates indépendants. 2) Les États-Unis, semble-t-il, le souhaitent aussi. 3) Conclusion : le mouvement de contestation est inféodé aux États-Unis… Voilà avec quoi on prétend gouverner les Libanais !
La révolution a ses failles, ses zones d’ombre, ses faiblesses, ses erreurs, ses malentendus et ses mésententes. Elle n’en est pas moins une naissance, celle d’un peuple, d’une idée, d’une nation. Et comme certaines naissances, elle se fait au forceps. Si la sève qui la nourrit depuis le 17 octobre venait à s’assécher, le résultat pour le Liban serait de loin plus noir à long terme que la plus sévère des crises économique et financière. Voilà pourquoi il est de l’intérêt de tous, y compris, dans le fond, de ceux qui cherchent à la contrer, qu’elle se poursuive et continue d’enchaîner les victoires. Même si, pour que la vie ne s’arrête pas, il faudra nécessairement que le mouvement prenne des formes différentes. La formidable créativité dont les Libanais ont fait preuve depuis le début de la révolte permettra certainement d’y parer.
commentaires (6)
Un grand bravo à la détermination de la population libanaise qui se révolte contre la situation économique et financière catastrophique dans laquelle les politiques ont entrainé le pays par manque d'esprit patriotique et recherche d'intérêts personnels ou désir de servir le clientélisme. Cependant il faut que les manifestants persistent dans la non violence comme ils l'ont démontré depuis le début et cela risque de s'avérer difficile vu les provocations violentes des contre-manifestants qui appliquent les consignes imposées par leurs partis. Le seul moyen d'obtenir satisfaction sur leurs revendications est de rester dans l'ordre républicain en réclamant aux instances politiques actuelles l'application stricte de la constitution libanaise, notamment la suppression du confessionalisme qui est décrite à l'article 95 depuis 1926 et qui n'a jamais été mise en oeuvre depuis cette date. Pour ce faire les manifestants devraient désigner un comité populaire qui les représente qui pourrait faire pression sur les politiques afin que le parlement accepte de changer la constitution pour qu’elle favorise la désignation de ministres qui ne soient pas inféodés à des partis politiques ou confessionnels mais que leur seule motivation soit l'intérêt du pays et du peuple libanais en mettant en oeuvre leurs compétences et leur spécialisation.
Jacquiot Bernard
21 h 05, le 25 novembre 2019