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Idées - Dette publique

Comment éviter une ponction sur les dépôts bancaires

Photo d’illustration : une ruée de clients à l’entrée d’une agence bancaire à Saïda, le 1er novembre 2019. Archives Reuters

L’ombre d’un « haircut » (décote) plane sur les dépôts bancaires libanais. Ce scénario catastrophe dans lequel les épargnants se réveillent en constatant qu’une partie de leurs économies a été ponctionnée par leurs banques pour sauver l’État de la faillite est certainement l’une des raisons alimentant la panique générale que l’on observe actuellement. Si dans les cercles d’initiés on s’alarme de ce scénario, certes de plus en plus plausible, il est encore évitable. Compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle (explosion des déficits jumeaux, hausse des taux d’intérêt, baisse des réserves de la BDL, etc.), la probabilité que l’État fasse défaut, d’ici à quelques mois, sur sa dette en dollars est de plus en plus importante. Il ne sera donc pas en mesure de payer à temps la totalité du principal (le montant emprunté, hors intérêts) aux détenteurs des eurobonds, notamment la Banque centrale (BDL) et les banques commerciales. Cela conduirait de fait à une restructuration de la dette, laquelle peut être effectuée de plusieurs manières, dont la plus radicale est l’effacement pur et simple d’une partie de sa valeur nominale.


Rééchelonner plutôt que réduire
Dans cette perspective, heureusement encore peu probable aujourd’hui, les banques se verraient sans doute contraintes de compenser leurs pertes en ponctionnant les dépôts dans le cas où leurs fonds propres ne suffisent pas à absorber la réduction du principal. À l’image des pays forcés d’emprunter cette voie (comme Chypre en 2013), une réduction nominale de la dette laisserait donc de lourds stigmates et il faudrait de longues années pour regagner la confiance des déposants et des investisseurs. Surtout, ils seront en droit de se demander si c’est vraiment à eux de payer la facture des échecs de la classe politique actuelle…

Le secteur bancaire et l’économie réelle souffrent d’une crise de liquidités sans précédent. Ce problème s’est manifesté lorsque la balance des paiements est devenue continuellement déficitaire depuis 2011, poussant la BDL à effectuer plusieurs « ingénieries financières » – des opérations complexes d’échanges de titres de dette avec les banques libanaises – pour renforcer ses réserves en devises et aider les banques à se recapitaliser. Ces opérations, qui auraient pu être bénéfiques pour l’économie si elles avaient été accompagnées de réformes structurelles, ont incontestablement aspiré la quasi-totalité des liquidités de l’économie réelle et évincé l’investissement privé du fait de la hausse des taux d’intérêt.

Il est toutefois encore temps d’envisager d’autres moyens, moins radicaux, de restructuration pouvant permettre une stabilisation de la situation financière du pays, en vue d’enrayer la dynamique enclenchée vers l’effondrement et d’ériger de solides bases pour une relance économique. Pour parvenir à réinjecter des liquidités et entreprendre une sortie de crise, il faut en effet se donner les moyens de pouvoir négocier un rééchelonnement de la dette et une baisse des taux d’intérêt, sans être contraint de subir une perte sur le principal de la dette qui se répercuterait sur les dépôts. Une issue d’autant plus envisageable que plus des trois quarts de la dette publique sont détenus par la BDL et les banques libanaises. La circulaire émise la semaine dernière par la BDL et demandant aux banques d’augmenter de 20 % leurs fonds propres est une première bonne initiative, car elle permettra de renforcer leur « coussin de sécurité », ce qui apaisera les craintes des déposants et des clients. Ce premier pas ne sera pourtant pas suffisant, et d’autres mesures immédiates devront être envisagées, tant sur le plan monétaire que budgétaire.



(Lire aussi : Réduire les fonctions de la livre libanaise pour en garantir la parité)



Injecter de la liquidité
Sur le plan monétaire, il est avant tout nécessaire de soulager la demande sur le dollar afin de maintenir l’ancrage de la livre aux alentours de son taux actuel. Cela requiert une meilleure gestion des liquidités en devises circulant dans le pays en encourageant au maximum l’utilisation de la livre dans la plupart des transactions. L’un des moyens privilégiés pour y parvenir serait de revenir sur le système de chambre de compensation des chèques en dollars servant à régler les opérations commerciales entre Libanais, dont le montant total s’élève désormais à plus de 40 milliards de dollars. La pérennité de ce système, instauré au début des années 1990, constitue donc une anomalie – au regard de la plupart des autres pays – particulièrement coûteuse pour la monnaie nationale. Le pays ne peut plus non plus se passer de l’instauration d’un contrôle formel des capitaux. Cela permettra d’établir un cadre précis régulant les transferts à l’étranger, sans impact durable sur les flux entrants (en tout cas fortement réduits actuellement) si son application demeure temporaire. Une politique de baisse des taux d’intérêt devra parallèlement être menée afin d’encourager les banques à réinjecter leurs liquidités dans l’économie réelle.

Ces mesures immédiates, accompagnées d’une aide financière internationale prenant la forme d’une injection supplémentaire de liquidités, permettront une restauration relative de la confiance, une stabilisation de la situation financière et le lancement des réformes structurelles, maintes fois repoussées par la classe politique au pouvoir. Mais la probabilité de mise en œuvre de ces mesures immédiates tout comme de l’accès à cette aide internationale dépendra fortement de la formation d’un gouvernement qui saura rassurer les citoyens et la communauté internationale.

Ce nouveau gouvernement ne pourra pas non plus faire l’impasse sur les réformes budgétaires s’il souhaite être en mesure de négocier un rééchelonnement de la dette publique plutôt qu’un « haircut ». Comme inlassablement préconisées depuis deux décennies, ces réformes doivent se concentrer sur la réduction de la taille du secteur public, à travers la suppression des emplois fictifs notamment, afin d’augmenter sa productivité. Le problème de l’électricité devra être résolu une bonne fois pour toutes. L’évasion fiscale et douanière efficacement combattue. Une baisse de la pression fiscale devra aussi être accordée aux secteurs productifs pour encourager l’investissement. Le futur exécutif devra également moderniser les modalités d’élaboration du budget, en fixant des plafonds de dette (comme par exemple aux États-Unis) pour faire respecter les engagements qui y sont fixés et incluant une vision sur trois ans ayant pour objectif l’atteinte d’un surplus primaire (hors service de la dette) à 4-5 % du PIB, pour réduire le ratio d’endettement à moyen et long terme.

Économiste et président du conseil économique et social du parti Kataëb.



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commentaires (6)

Article de fantasmes journalistiques

Lecteur excédé par la censure

10 h 21, le 17 novembre 2019

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Commentaires (6)

  • Article de fantasmes journalistiques

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 21, le 17 novembre 2019

  • Aujourd'hui, nous avons deux partis politiques "propre" au Liban: Les Kataëb, et les Hezb Tous les autres sont trop pourrit. Malheureusement le Hezb joue la carte étrangère! Peut-être une solution a notre pays serait une réelle coopération entre ces deux parties et mettant a l'écart tous les autres? Une sorte de solution a l'alternance?

    Aboumatta

    08 h 20, le 17 novembre 2019

  • Les seules mesures encore possibles ont fait l'objet de mon commentaire du 6 novembre 2019 sur un autre article: MESURES D’URGENCE 1. Adopter le Dollar US comme monnaie officielle du pays pour ne pas être confrontés à des futures dévaluations et pour forcer les gouvernements à avoir des budgets équilibrés., 2. Fermer les banques pendant une semaine pour leur permettre d’ajuster leurs comptes conformément aux décisions suivantes. 3. Rééchelonner la dette publique et convertir en dollars (à un taux de change à fixer ) la dette libellée en livres libanaises. Réduire les taux d’intérêts appliqués sur l’ancienne dette aux taux du marché de la dette américaine. 4. Convertir en dollars les éléments du passif et de l’actif des banques qui étaient anciennement libellés en Livres Libanaises au cours de change appliqué par le trésor public. 5. La portion supérieure à USD 50.000,00 des dépôts bancaires sera convertie en dépôts à terme selon des pourcentages à déterminer (exemple 10% à 3 mois, 20% à 1 an, 20% à 3 ans et 50% à 10 ans). Ces dépôts, à la demande des déposants, pourront faire l’objet de certificats négociables. Les intérêts créditeurs sur les dépôts et les intérêts débiteurs sur les crédits bancaires seront réduits en conséquence. 6. Les livres libanaises seront graduellement retirées de la circulation. 7. Changer le statut de la Banque du Liban

    Moussalli Georges

    02 h 13, le 17 novembre 2019

  • PONCTION SUR LES DEPOTS = MORT CERTAINE DU SECTEUR BANCAIRE. PLUS DE TRANSFERS DE DEVISES VERS LE LIBAN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 09, le 16 novembre 2019

  • suis étonné que cet article ait passé avec succès les maillons de contrôle du contenu des articles de votre journal. Les banques ne peuvent pas en dehors de la loi, compenser comme bon leur semble, leurs éventuelles pertes par les dépôts des clients.

    Shou fi

    15 h 31, le 16 novembre 2019

  • Papier qui a le mérite de rappeler les méfaits de la politique actuelle (une non politique en réalité). Je salue en passant le fait que le parti Kataëb ait intégré des spécialistes de haut niveau. Je n'ai pas lu grand chose des "spécialistes" des FL, du PSP, du Futur et autres CPL.

    Marionet

    11 h 21, le 16 novembre 2019

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