Les dégâts sont colossaux. D’importantes surfaces boisées sont parties en fumée. Joseph Eid/AFP
Jusqu’en début de soirée hier, et avant qu’une pluie bienvenue ne tombe dans plusieurs régions, les efforts pour maîtriser les gigantesques incendies de forêts itinérants – les pires que le Liban ait connus depuis 2007 – se poursuivaient sans relâche dans des conditions météorologiques des plus défavorables. La chaleur, la sécheresse et les vents chauds continuaient de retarder l’extinction de plus de cent feux qui s’étaient déclarés dans la journée de lundi, sous l’effet des masses d’air chaud qui intéressent le bassin est de la Méditerranée, qui avaient été attisés dans la nuit par les violentes bourrasques de vents brûlants. Les surfaces réduites en cendres sont immenses, mais il n’est pas possible de donner une estimation, même approximative, de l’ampleur du désastre écologique qui frappe le Liban dont les forêts ne couvrent plus que 13 % du territoire, selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture pour 2012-2013. La journée d’hier était par excellence celle d’une course contre la montre entre des centaines de milliers de professionnels et de volontaires – qui ont uni leurs efforts pour tenter de maîtriser les feux galopants – et les sinistres qui ne faisaient que gagner du terrain, laissant derrière eux un spectacle de désolation. Un des volontaires, Salim Abou Moujahed, âgé de seulement 32 ans et qui s’était fait récemment opérer du cœur, est décédé d’une crise cardiaque pendant qu’il aidait les pompiers de la DC à Btater, dans le caza de Aley.
(Notre diaporama : Le Liban en flammes : un triste spectacle, en photos)
Dans plusieurs régions du pays, notamment à Mechref et Debbiyé sur le littoral du Chouf, à Denniyé au Liban-Nord, et à Kornet el-Hamra dans le Metn, les incendies se sont étendus aux zones résidentielles, détruisant tout sur leur passage : maisons, commerces, voitures, infrastructures électriques et téléphoniques et provoquant des cas d’asphyxie et d’évanouissement.
En dépit d’une mobilisation générale exceptionnelle, qui a fait que des villes et des municipalités épargnées par les flammes, dont Beyrouth et Tripoli, ainsi que des localités du Liban-Sud ont envoyé leurs équipements et leur personnel vers les régions sinistrées, et que des civils ont prêté main forte à l’armée et aux pompiers, le facteur humain est resté impuissant face à la violence des flammes qui continuaient de progresser et aux caprices de la météo. À peine un feu était-il éteint qu’un autre surgissait du côté opposé au gré du vent qui changeait de direction. Il a fallu évacuer toutes les habitations limitrophes des flammes sur cinq kilomètres à la ronde là où les flammes progressaient. Les écoles ont été fermées, notamment le Carmel Saint-Joseph, situé dans la zone sinistrée à Mechref. Les religieuses en charge de l’établissement ont cependant refusé de quitter les lieux. Les écoliers et leurs parents ont aussi refusé de les abandonner et c’est dans un formidable élan de solidarité que les trois groupes ont tenté inlassablement d’empêcher que les flammes ne s’approchent de l’établissement.
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Absence de stratégie
Face à l’ampleur du désastre, les autorités libanaises, elles aussi mobilisées dans le cadre d’une cellule de crise dirigée par la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan à partir du Sérail, ont dû faire appel à Chypre et à la Grèce qui ont envoyé des Canadair et des hélicoptères bombardiers d’eau pour éteindre les brasiers dans les montagnes. La Jordanie devait également envoyer des appareils plus tard.
Si en soirée, la pluie aidant, certains brasiers ont pu être éteints, les incendies sont loin d’être maîtrisés, surtout s’il s’avère effectivement que certains sont d’origine criminelle, comme l’a affirmé le ministre de l’Environnement Fady Jreissati, qui a appelé à décréter l’état d’urgence avant d’annoncer le prochain achat de deux avions bombardiers d’eau à l’Espagne.
Mais plus que les équipements, c’est surtout d’une stratégie de lutte contre les incendies de forêts dont le Liban a besoin. Le pays s’est certes doté depuis quelques années d’une unité de gestion des catastrophes naturelles, avec l’aide du PNUD qui lui fournit un soutien technique, mais il n’a toujours pas mis en place une stratégie concrète prévoyant, dans le cas spécifique des incendies de forêts, de mettre en place une politique de prévention des feux durant les saisons à risque, un système d’alerte précoce et une infrastructure propice à la lutte contre les brasiers dans les secteurs escarpés et inaccessibles, comme le réclament régulièrement les ONG écologiques.
L’ironie veut que le Liban brûle au lendemain de la date du 13 octobre, décrétée en 1989 par l’ONU Journée internationale de la réduction des risques de catastrophe, à la suite d’un appel lancé par la communauté internationale pour promouvoir une culture de sensibilisation et de prévention aux effets des catastrophes.
L’ironie veut aussi et surtout que la nomination de gardes forestiers, dont le rôle est pourtant fondamental dans le système d’alerte précoce et des premiers gestes d’urgence, soit gelée à cause de considérations communautaires.
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14 h 55, le 16 octobre 2019