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Liban - Reportage

Les vétérans de l’armée en colère contre « l’État qui bafoue leurs droits »

Les militaires retraités ont bloqué l’accès au bâtiment de la TVA pour protester contre les retards dans le paiement des indemnités de fin de service, des allocations scolaires et des factures médicales.

Photo ANI

Devant l’entrée principale du bâtiment de la TVA, dans le quartier de Adliyeh, ils veillent à ce « qu’aucun fonctionnaire ne pénètre dans cet antre de la corruption », comme ils l’ont rebaptisé, déterminés à « empêcher l’institution de fonctionner pour la journée ». Ils ne sont pas très nombreux, juste une poignée de gars bien bâtis, particulièrement déterminés et pleins de rancœur. Les vétérans de l’armée libanaise sont en colère contre « l’État qui bafoue leurs droits ». Et ce, une nouvelle fois après les nombreux mouvements de protestation qu’ils ont organisés au cours de l’été dernier, pour protester contre le budget 2019 qui prévoyait de ponctionner mensuellement 3 % de leurs pensions de retraite pour financer leur couverture maladie. Ils avaient alors réussi à faire plier les autorités. Celles-ci avaient revu leurs ambitions à la baisse et fixé à 1,5 % le prélèvement mensuel sur les pensions de retraite des anciens militaires.

La route du Musée fermée à la circulation

En ce mercredi 9 octobre, les manifestants sont postés depuis 6h aux diverses entrées du bâtiment de la TVA, histoire d’empêcher quiconque d’y accéder. Et pour mieux se faire entendre et mettre en garde les autorités, ils n’hésitent pas à bloquer la route du Musée, pour quelques minutes, tout en menaçant d’escalade si leurs revendications ne sont pas prises en considération.

Leurs revendications, ils les égrènent à qui veut bien les entendre, dans le désordre ambiant. Mais ils sont rapidement rappelés à l’ordre par leur ancien chef, le général Hassan Hassan, qui prend la parole, cigarette à la main. « Nos collègues retraités depuis un an déjà n’ont toujours pas encaissé leurs indemnités, dit-il à L’Orient-Le Jour. Pour notre part, nous n’avons pas encore été crédités des maigres allocations scolaires pour l’année 2018-2019. Sans compter que nos dépenses de santé n’ont pas été remboursées depuis un an et demi. » L’officier dénonce aussi « la politique discrétionnaire » de l’État dans le versement des retraites, qui avantage des vétérans au détriment d’autres. Il rappelle que les anciens paient leurs taxes et qu’avec le nouveau budget, une taxe de 1,5 % est désormais prélevée de leurs indemnités mensuelles. « Une telle pratique est pourtant illégale. Car nous avons alimenté la caisse d’indemnités tout au long de notre carrière militaire pour en bénéficier à notre retraite. Mais l’État a mis sa main dessus », accuse-t-il.

Autour de l’ancien officier, le ton monte. On acquiesce. On commente. On explique. Mais on ne décolère pas. Certains arborent fièrement le T-shirt noir de leur ancienne unité de « discipline (indibat) ». D’autres portent l’uniforme, car soutiennent-ils, ils sont toujours réservistes. D’autres encore sont en habits civils, mais dans l’âme et l’esprit, leur engagement au service de la patrie est infaillible. « Ils ont pillé notre caisse de retraite. Qu’en ont-ils fait ? » demandent la poignée de manifestants, qualifiant l’État de « voleur ».


(Lire aussi : Série de manifestations contre la crise économique à Beyrouth, Tripoli et Baalbeck)


Les enfants transférés à l’école publique

Les protestataires sont convaincus de la justesse de leurs revendications et de leur capacité à faire plier le gouvernement. Ils sont prêts à tout pour ce faire. « Nous avons atteint notre premier objectif il y a quelques mois. Nous étions prêts à nous battre et à faire couler le sang. Nous attendons à présent que le Parlement rectifie le tir dans le prochain budget », explique encore le général Hassan. « Rectifier le tir », une condition sine qua non pour qu’ils mettent fin à leur campagne de protestation qui s’annonce longue, « même si les autorités n’en ont rien à faire de leurs revendications », observent-ils. Car nombre d’entre eux n’ont toujours pas inscrit leurs enfants à l’école, alors que l’année scolaire est déjà entamée. « Nous attendons que nous soient versées les aides scolaires », affirme un ancien soldat. « Je n’ai eu d’autre choix que de transférer mes enfants de l’école privée à l’école publique », renchérit Mohammad Faytrouni, un drapeau libanais noué autour de la tête. Sans l’aide scolaire, il affirme « ne plus avoir les moyens d’assumer les frais d’inscription, les manuels et le transport scolaire ».

Nagi Ahmoudiyeh crie sa « frustration », au point d’en avoir « mal au cœur ». « J’ai servi pendant 25 ans, et aujourd’hui j’ai des difficultés à boucler mes fins de mois. La classe politique, elle, continue de se remplir les poches et d’alimenter ses comptes bancaires en Suisse », hurle-t-il, réclamant que « soit appliquée la loi sur l’enrichissement illicite ». « D’où tenez-vous votre fortune, vos belles maisons, vos luxueuses voitures ? » demande-t-il, apostrophant les dirigeants « qui s’acharnent à puiser dans les poches des citoyens à revenu modeste ». L’homme peine à se calmer. Dans ses yeux, les larmes du désespoir. Dans ses propos, la rancœur d’un peuple qui désavoue sa classe politique.

La matinée touche à sa fin. Les protestataires montrent des signes d’énervement. Ils regrettent l’absence de collègues qui n’ont pas fait le déplacement. Quelques dizaines tout au plus demeurent mobilisés, face à un groupe de policiers qui protègent, bon enfant, l’entrée du bâtiment rattaché à la direction générale des Finances. « Nous ne sommes certes pas nombreux, mais nous avons atteint notre objectif. Nous avons réussi à bloquer les entrées de l’institution. Nous sommes surtout éparpillés aux huit portes et aux deux entrées souterraines », précise le général Hassan. Mais il est aussitôt interrompu par le soldat Nagi Ahmoudiyeh. « Ce sont des pressions politiques qui ont empêché les trois quarts des vétérans » de sa région du Koura « de rejoindre la manifestation », assure-t-il. « Ils souffrent pourtant eux aussi de cette situation », affirme-t-il. Dans les rangs, alors qu’un manifestant met en garde contre un suicide collectif, un vétéran lâche : « Il ne nous reste plus qu’à partir et à demander l’asile politique. »


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commentaires (1)

Chère collègue, bon article sur le 'vécu' du rassemblement... sauf qu'il tait un pan important de l'histoire: Quels sont les privilèges des militaires à la retraite? Une fois listés, laissons au lecteur le soin de décider si c'est un 'droit' d'en avoir autant ou non.

Nicolas Sbeih

10 h 22, le 10 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • Chère collègue, bon article sur le 'vécu' du rassemblement... sauf qu'il tait un pan important de l'histoire: Quels sont les privilèges des militaires à la retraite? Une fois listés, laissons au lecteur le soin de décider si c'est un 'droit' d'en avoir autant ou non.

    Nicolas Sbeih

    10 h 22, le 10 octobre 2019

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