Le syndicat de propriétaires de stations-service et celui rassemblant les propriétaires de camions-citernes ont décidé hier de reporter à lundi la grève illimitée qu’ils prévoyaient de lancer pour dénoncer les difficultés qu’ils rencontrent dans le cadre de leur activité suite au resserrement de la circulation du dollar sur le marché local.
« Nous avons reporté le mouvement de trois jours après avoir été contactés par le bureau du Premier ministre, Saad Hariri. On nous a assuré qu’une solution définitive avait été trouvée et qu’il restait quelques détails à régler pour qu’elle soit effective », indique à L’Orient-Le Jour Georges Brax, membre du syndicat des propriétaires de stations-service dirigé par son père, Sami. Une information confirmée à l’Agence nationale d’information par Fady Abou Chakra, le président de l’autre syndicat présent à la réunion conjointe d’hier à l’issue de laquelle le report de la grève a été décidé. « Le syndicat des importateurs de carburant, qui s’était associé à nous au début du mouvement, n’a pas encore communiqué sa position », a précisé Georges Brax. Il y a environ 3 000 stations-service au Liban, selon les estimations du secteur.
« 1 640 livres » le dollar
Les syndicats représentant les différents acteurs locaux du secteur ont commencé à se mobiliser fin août, lorsque les premiers signes de l’actuel resserrement de la circulation du dollar sur le marché libanais sont apparus. L’économie du pays a commencé à se dollariser pendant la guerre civile, dans le sillage du début de l’effondrement de la livre qui a démarré en 1984. Depuis 1997, la parité entre la monnaie nationale et le billet vert est en outre fixée par la Banque du Liban, à raison de 1 507,5 livres pour un dollar. La Banque centrale a maintenu ce taux pendant plus de deux décennies. Mais les difficultés croissantes qu’elle a récemment rencontrées pour maintenir le niveau de ses réserves en devises dans un contexte de dégradation de la situation économique et financière du pays, couplée à une crise de confiance envers les pouvoirs publics, l’ont récemment amenée à limiter la quantité de dollars circulant sur le marché.
Si le taux de change officiel est toujours en vigueur, l’accès au billet vert, qui circulait relativement librement jusqu’ici, est en effet de plus en plus compliqué, que ce soit à cause des limites de retraits imposées par les banques (où il se négocie aux environs de 1 515 livres) ou de sa disponibilité dans les bureaux de change qui le vendaient à « environ 1 640 livres hier », selon Sami Brax. Plusieurs sources concordantes ont par ailleurs indiqué à L’Orient-Le Jour que certaines banques décident au jour le jour, et ce depuis jeudi, d’accepter ou de refuser les opérations de change livre/dollar (même de compte à compte) ou les retraits.
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Part du contrat
Outre le climat anxiogène qu’elle a instauré au sein de la population, cette nouvelle donne pénalise en particulier trois secteurs qui paient leurs marchandises en dollars, mais qui encaissent une importante partie de leurs revenus en livres : les importateurs de carburants – essence, mazout, gaz –, les minotiers et les importateurs de médicaments. « La raréfaction du dollar nous oblige à nous fournir en partie dans les bureaux de change où le prix est plus élevé, et donc à assumer les pertes liées au taux de change. Nous perdons 2 000 livres sur chaque 20 litres d’essence », plaide Georges Brax.
Mardi, la BDL a tenté d’apporter une réponse définitive à cette crise en publiant une circulaire (n° 530) ayant l’ambition de régler la question de l’approvisionnement en dollar pour ces trois secteurs à travers un mécanisme spécifique, autrefois libre, soumettant les importateurs à certaines contraintes (L’Orient-Le Jour a détaillé la procédure dans son édition de mercredi).
« L’adoption de ce mécanisme est un des éléments de l’accord dégagé la semaine qui a précédé la publication de la circulaire entre le secteur du carburant, la BDL et le gouvernement. Or, ce dernier n’a toujours pas rempli sa part du contrat », accuse le membre du syndicat. Selon lui, les dirigeants libanais s’étaient notamment engagés à autoriser, via une décision du ministère de l’Économie et du Commerce, les propriétaires de stations-service et de camions-citernes à régler les commandes de carburant aux importateurs en livres. « Il nous est difficile de pouvoir continuer à travailler sans cette garantie », insiste Georges Brax. Il évoque également un différend entre le syndicat des importateurs de carburant – qui représente une grosse dizaine de sociétés dans le pays – et la BDL sur les modalités de la circulaire n°530. « Les importateurs ne sont notamment pas d’accord sur le fait de devoir bloquer une somme en livres équivalant à 100 % de celle qu’ils souhaitent débloquer en dollars pour chaque commande de carburant, entre autres griefs », explique Georges Brax. Jeudi, le syndicat des minotiers a lui aussi exprimé des réserves vis-à-vis de la circulaire n° 530, qui permet à la BDL de valider ou non en dernière instance tout déblocage de dollars devant financer les importations pour les trois secteurs concernés.
La crise de change actuelle a par ailleurs mobilisé le syndicat des bureaux de change, qui a dénoncé hier « une attaque contre la réputation des agents de change ainsi que des poursuites lancées par plusieurs instances juridiques et sécuritaires en raison du changement des taux ». Le syndicat a, dans ce cadre, annoncé envisager « un arrêt complet du travail dans le secteur et la fermeture des bureaux de change », si les responsables « continuent d’ignorer leur droit à exercer légalement leur activité ». Jeudi, il avait déjà rejeté toute responsabilité dans les variations du taux de change de la livre libanaise contre le dollar sur le marché secondaire.
Pour mémoire
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commentaires (5)
Halte à la dérive! Au lieu de rester muets et insensibles face à une grève des stations d'essence, et en attendant l'entente sur l'application de la circulaire de la BDL,ne serait-il pas logique de permettre aux plaignants de bénéficier et de façon temporaire d'une augmentation de prix équivalente à la somme qu'ils sont entrain de perdre effectivement pour chaque 20 litres de carburant ,et ceci en accord avec le ministère concerné qui devrait imposer la différence à gagner? Ne serait-il pas mieux que l'approche imprévisible de conséquences du " wait and see"?
Esber
21 h 53, le 05 octobre 2019