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Lifestyle - Photo-roman

À toi, mon petit, qui fais ta première rentrée scolaire...

Photo Joana Hadjithomas

Ce matin, très tôt, heure inhumaine, j’ai poussé la porte de ta chambre où s’éclaire la dernière veilleuse, en forme de globe terrestre, qui reste de ta petite enfance. Je t’ai regardé, enseveli dans ton sommeil profond. C’est fou, tu avais encore pris quelques centimètres depuis la veille. Tu n’avais plus le pouce dans la bouche, tu débordais presque de ton lit où jadis s’empilaient, autour de toi, une armée de peluches. À contrecœur, j’ai dû te réveiller. J’ai vu la terreur dans tes yeux plissés de sommeil. C’est ta première rentrée scolaire et tu ne voulais naturellement pas te lever. Et puis, assis sur le rebord de ton petit lit, je t’ai rappelé que tu allais revoir Nicolas, José, Marc, tes « potes » comme tu les appelles à présent, et la belle Karen à qui tu avais pensé tout l’été en secret. Je ne t’ai pas accompagné dans la salle de bains, comme je le faisais d’ordinaire avec ta maman. Tu es un grand garçon ou un petit homme désormais, je ne sais plus. Tu as appris à te brosser les dents tout seul, et tu sais lacer tes baskets qui, à vue d’œil, rétrécissent sur ton pied. À regret, tu n’as avalé que quelques cuillerées de ton lait et tes Lucky Charms, puis tu as rangé ton goûter dans ton cartable à roulettes, entre les cahiers et livres qu’on a passé le week-end à plastifier et sur lesquels on a collé des étiquettes étoilées avec ton nom et ton prénom, que tu ne sais toujours pas épeler. 12e3. Ce tas de choses à apprendre et que tu viendras bientôt nous réciter, avant l’heure du coucher. Tu es prêt pour ton envol, même si tes frêles ailes te résistent encore.


Où est passée ta petite enfance ?

Je t’ai vu traverser la rue ce matin, encombré de ton sac trop lourd, ta voix qui lentement prenait de nouvelles nuances. Je t’ai regardé. C’est incroyable, tu n’étais déjà plus le même. Trois mois seulement se sont écoulés, et c’est toute ta petite enfance qui fout le camp. Me retenant de te saisir la main, comme par réflexe, sinon « c’est la honte ! » comme tu me l’a répété à maintes reprises en chemin, je me suis contenté de t’observer comme le gardien acharné mais impuissant d’un temps révolu. Et je n’ai pu m’empêcher de penser : où sont passés les rondeurs de l’enfance, les plis à la nuque, aux bras et aux cuisses, les fossettes aux joues rosies, celles qui te donnaient des airs de viennoiserie chaude au réveil ? Tes cheveux doux comme des épis de blé pris dans le vent, tes yeux noisette trempés de miel; tes mains qui tenaient au creux de ma paume et cette odeur poignante de biberon et de talc qu’exhalait chacun de tes baisers cotonneux? Et Kim, ton doudou éborgné en forme de kangourou à qui tu murmurais des rêves de soldats de plomb, et sans lequel tu refusais de t’endormir ? Vers quel monde ont dévalé Nicolas et Pimprenelle, Boucle d’or, Chantal Goya, Le Père Castor et toutes ces fables dont on te berçait quand les ombres sur les murs de ta chambre te jouaient de vilains tours ? Qu’en est-il devenu de ton poids d’oisillon lorsque tu grimpais sur mes épaules pour déchiffrer le monde, le dévorer de tes yeux candides ? Et de la sensation de ton petit corps serré contre le mien, dans tes pyjamas en velours après ton bain, le Baby Johnson qui te rougissait les pupilles ? Et l’intonation de ma propre voix qui changeait quand je prenais le rôle de Pierre, puis celui du loup? Ces phrases si dérisoires mais qui suffisaient à te faire rire à pleins poumons, qui t’envoûtaient tant qu’il me fallait les recommencer jusqu’à ce que tu fermes les yeux. Et ton sourire en coin, la plus délicieuse des friandises, quand je faisais le pitre pour te distraire d’un vaccin, ton pire cauchemar, et puis cette satisfaction extraordinaire lorsqu’une fois cela terminé, je t’emmenais chez Zouzou, l’épicier du coin, pour le Merry Cream promis ? Quelle horloge furtive et fugace a englouti ces moments où ta vie ne tenait qu’à nous, nous à ton chevet, nous au bas du toboggan, nous au bord de la piscine, dans les rayons du ce supermarché où tu nous avais perdus, tremblant et plein de larmes, ou dans ce Club Med où, pas plus loin que l’été dernier, tu pleurais sans cesse pour qu’on vienne te chercher ?


Bientôt, très vite…

Ce matin, tout cela est tout d’un coup remonté à la surface, ces sentinelles si précieuses d’un autre toi et maintenant toi, ce nouveau toi grandi trop vite. Ce premier jour, cette première fois d’une longue série, et ta fierté de petit homme qui se tient de fléchir et contient ses larmes. Je sais que même si tu n’as pas voulu me l’avouer, ton estomac s’est noué en te demandant ce qui peut bien t’attendre de l’autre côté de cette barrière où je t’ai déposé. Il y aura ta nouvelle classe qui sent la craie et la colle, de nouveaux visages qui, vite, se formeront en bandes, ceux que tu conserveras toute la vie, ceux qui te trahiront ou te décevront inévitablement, et d’autres auxquels je pourrais crever les yeux s’ils te malmenaient. Il y aura, érigée sur son estrade, cette maîtresse au ton revêche qui t’apprendra à arrondir tes B et tes angles, t’adapter, vivre en communauté tout en y trouvant ta place. Et sur laquelle, un jour peut-être, tu fantasmeras en détaillant ses jupes courtes l’été et ses bas résille les jours de pluie.

Bientôt, tu liras des poèmes désuets en arabe qui te raconteront mon Liban, celui d’un temps que tu n’as jamais eu la chance de connaître. Et tu sauras, à la faveur de tes livres de sciences, comment on fait vraiment des enfants, toi qui crois encore qu’ils arrivent à dos de cigognes. Bientôt, tu devras manger à la cantine des plats que tu n’aimes pas forcément. Tu comprendras, dans la cour de récré, comme les enfants peuvent être cruels et tu seras contraint, loin de ta mère et moi, d’apprendre à sortir tes griffes pour te défendre. Tu mesureras la différence entre un genou écorché et un cœur brisé.

Bientôt, très vite, tu diras man, quel bad, je trip, et tu trouveras que tout est nul, nous inclus. Tu auras de l’acné, des poils sous les aisselles, une amoureuse ou un amoureux, de la rage dans les cordes vocales et une collection de livres j’espère aussi conséquente que celle de tes films porno. Tu voudras qu’on te laisse tranquille, te faire tatouer, sortir le soir, fumer du shit dans les toilettes, boire en cachette, une voiture, une carte de crédit, et tu refuseras de te décoller de ton écran. Et plus tard, lorsque tes dernières désillusions auront volé en éclat, que tu seras cynique et souvent blasé comme moi, tu liras peut-être ce texte qui te ramènera à cet âge inestimable de l’innocence, quand rien ne valait une partie de foot remportée ou une piètre gommette sur une copie de grammaire. Tout aura passé en un clin d’œil. Car déjà aujourd’hui, c’est ton premier jour d’école et je réalise à quel point le temps est assassin, comme chante Renaud. Aujourd’hui, tu déploies tes ailes mon chéri, et de là où je t’attends, caché derrière la porte de ta classe, je te promets que je serai là pour te rattraper quand tu tomberas…

Chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ est une photo. C’est un peu cela, une photo-roman : à partir de l’image d’un photographe, on imagine un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c’est selon...


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Ce matin, très tôt, heure inhumaine, j’ai poussé la porte de ta chambre où s’éclaire la dernière veilleuse, en forme de globe terrestre, qui reste de ta petite enfance. Je t’ai regardé, enseveli dans ton sommeil profond. C’est fou, tu avais encore pris quelques centimètres depuis la veille. Tu n’avais plus le pouce dans la bouche, tu débordais presque de ton lit où jadis...

commentaires (7)

Sublime! Quel bonheur de vous lire!

Michele Aoun

22 h 28, le 17 septembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Sublime! Quel bonheur de vous lire!

    Michele Aoun

    22 h 28, le 17 septembre 2019

  • DU QUOI QUE CE SOIT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 29, le 16 septembre 2019

  • Blague scolaire de Télé Poche : Julien a une bonne idée pour sécher l'école : - Allô, c'est la maîtresse ? Je vous téléphone pour vous dire que Julien est malade. - Et qui est à l'appareil ? - C'est mon papa !

    Un Libanais

    17 h 19, le 16 septembre 2019

  • C'est la plus belle periode de la vie ....mais putain que ca passe vite...

    Houri Ziad

    16 h 46, le 16 septembre 2019

  • PA-THE-TIQUE ! les tremolos de l'am d'un pere destine a etre over-powering. pauvre gamin

    Lebinlon

    14 h 54, le 16 septembre 2019

  • Fifi sors de ce corps! Lol

    Tina Chamoun

    14 h 02, le 16 septembre 2019

  • ......une amoureuse ou un amoureux.... Pas mal.

    Eddy

    12 h 49, le 16 septembre 2019

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