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À La Une - religion

De la difficulté d'être femme imame en France

Pour la première fois à Paris, deux femmes imames ont dirigé un temps de prière dans une salle louée pour l'occasion, devant une soixantaine de fidèles, femmes et hommes, côte à côte sans distinction.

Deux femmes imames, Anne-Sophie Monsinay (à droite) et Eva Janadin, dirigeant un temps de prière, samedi 7 septembre, 2019, dans une salle louée pour l'occasion. Photo AFP / Lionel BONAVENTURE

Réunir des fonds, trouver un local, se faire accepter par une communauté, faire fi d'éventuelles menaces : devenir femme imame d'une mosquée "progressiste" en France est un parcours semé d'embûches.

Samedi à Paris, pour la première fois, deux femmes imames, Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, ont dirigé un temps de prière dans une salle louée pour l'occasion. Sur les tapis de prières, une soixantaine de fidèles, femmes et hommes, étaient côte à côte sans distinction, a constaté une journaliste de l'AFP. "Que la paix, la miséricorde et les bénédictions de Dieu soient sur vous", a déclamé en arabe puis en français Eva Janadin, suivie par l'appel à la prière entonné par Anne-Sophie Monsinay.

Certaines fidèles portaient un voile. D'autres non, notamment les deux imames. Le sermon était en français et les formules arabes systématiquement traduites. Salutations, prosternations, incantations des noms divins, chants... l'assistance a suivi les mouvements et les voix de ces deux femmes de 29 et 30 ans, converties à l'islam il y a dix ans.
Un ami rabbin, des invités protestants ou encore l'Américano-malaisienne Ani Zonneveld, présidente de l'association Muslims for Progressive Values, aux Etats-Unis, étaient aussi présents. L'imame de la mosquée de Berlin, Seyran Ates, était aussi venue encourager ce projet "moderne et progressiste".

Le vœu d'Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, toutes les deux enseignantes: traduire par des actes concrets leur vision d'un islam "spirituel", "progressiste" et "éclairé", qui s'inspire, entre autres, du soufisme, une branche mystique de l'islam.

En France également, Kahina Bahloul, 40 ans, diplômée en islamologie de l'Ecole pratique des Hautes études, vient de lancer une campagne de crowdfunding pour mener à bien un projet quasi similaire. Elle aimerait ouvrir une mosquée "libérale" où elle interviendrait en tant qu'imame, avec son associé, Faker Korchane, devant une assemblée mixte. "Il faut trouver les fonds et un local", raconte-t-elle à l'AFP, confessant avoir reçu des soutiens mais aussi "quelques menaces". Jusqu'ici, ses demandes de location n'aboutissent pas.

"La grosse difficulté a été de trouver un lieu", confirme Mme Monsinay. "Il y a peut-être un souci avec le terme +mosquée+ et ce à quoi il renvoie. Pourtant, c'est juste un lieu où l'on prie", relève-t-elle.

"C'est compliqué parce qu'aucune municipalité ne veut les aider", souligne Didier Leschi, président de l'Institut européen en science des religions (EPHE).

Les trois femmes "imames" affirment que rien, dans les textes de la religion musulmane n'interdit l'imamat des femmes.



(Pour mémoire : Deux projets de mosquées progressistes à Paris, avec des prêches de femmes imams)


"Lecture patriarcale" 
Kahina Bahloul explique: "il y a une lecture patriarcale, misogyne des textes, qui s'est perpétuée à travers les siècles. Ce sont toujours des hommes qui se sont appropriés la légitimité de pouvoir lire et interpréter les textes et de dire la norme religieuse". En outre, "la diffusion à grande échelle du salafisme, qui prône une vision encore plus conservatrice et radicale de l'islam (...) permet à cette lecture de se maintenir", déplore-t-elle.

Pour l'imam de Bordeaux (sud-ouest), Tareq Oubrou, "les textes de la tradition ne sont pas contre l'imamat de la femme". "C'est la compétence qui compte, pas le genre", remarque-t-il. Mais, selon lui, "la sociologie des mosquées reste très conservatrice".
Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris et président (par intérim) du Conseil français du culte musulman (CFCM), assure : "nos imams sont en train d'étudier le texte, pour voir s'il y a des bases solides au souhait exprimé par des femmes de pouvoir diriger la prière".

La France accuse un certain "retard" par rapport aux autres pays occidentaux, relève le président de la Fondation de l'Islam de France Ghaleb Bencheik. Notamment à cause d'"une atmosphère globale polluée par la violence et le terrorisme" ces dernières années.


(Pour mémoire : La France, puissance musulmane ?)


Les Etats-Unis ont déjà des femmes imames depuis la première prière d'Amina Wadud à New York en 2005. Au Danemark, l'imame Sherine Khankan a créé la mosquée Mariam. Le Canada, Londres ou encore Berlin, comptent des femmes dirigeant la prière devant des assemblées mixtes.

Les trois femmes imames françaises sont certaines de la demande : "il y a une minorité silencieuse, peut-être pas si minoritaire que cela, de musulmans progressistes, qui ne fréquentent plus les mosquées traditionnelles et se retrouvent à pratiquer tout seuls, et qui attendent ce projet", souligne Mme Monsinay.

"J'ai beaucoup aimé l'ouverture de cette prière", a témoigné Afida, 41 ans, à la sortie de la prière de samedi. "Traditionnellement dans une mosquée, on doit trouver la salle pour les femmes, on sent plein de regards, de jugements. C'est un frein pour moi (...) Là, c'est la première fois que je me suis sentie au bon endroit".
Pour Mustapha Chaqri, 35 ans, "cet événement symbolise le retour à l'islam d'origine". Car selon lui "l'islam ne fait aucune différence entre homme et femme".

Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay viennent d'avoir les fonds pour pouvoir prêcher une fois par mois pendant un an, dans un lieu qui sera amené à changer. Leur objectif désormais : trouver des mécènes pour avoir un lieu de prière fixe.


Pour mémoire
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