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Liban - Patrimoine

Tur Levnon, une association engagée pour la préservation du syriaque au Liban

L’association milite pour réintégrer la langue syriaque dans la messe maronite et dans l’enseignement des établissements scolaires catholiques.

Un livre du XIe siècle écrit en serto syriaque.

Nombreux sont ceux qui utilisent l’expression « nafad bi richo » pour signifier « il a évité de justesse » un danger quelconque Et parmi eux, nombreux, aussi, sont ceux à penser que « richo » vient de l’arabe littéral et signifie « ses plumes ». En réalité, il n’est pas question de plumes dans cette expression. Seuls ceux qui sont familiers de la langue syriaque savent que « richo » désigne la « tête ». Et que cette expression, syriaque à l’origine, signifie : « Il a sauvé sa tête. »

Il existe de nombreux exemples de traductions erronées, d’expressions, de noms de villages ou de noms de famille car associés à l’arabe alors qu’ils viennent, en réalité, du syriaque. Le village de Beit Chabab ne signifie pas la maison des jeunes, mais la maison des voisins. Qornet es-Saouda, le plus haut sommet du Liban, n’est pas noir. Qornet es-Saouda, une libanisation de Qornet Shodo, désigne le « sommet des Martyrs » chrétiens maronites. « Nous sommes en train de modifier notre histoire parce que nous ne comprenons plus notre langue », déplore ainsi Amine Jules Iskandar, président de l’association Tur Levnon pour la préservation de la langue syriaque. « Il faut revenir à la vérité », martèle-t-il.

L’association Tur Levnon (Mont-Liban) a été cofondée par M. Iskandar, le père Jean-Maroun Hélou et d’autres membres, dont certains sont installés en Suède et aux États-Unis. Cette association membre de l’Union syriaque maronite est née en mai 2017 et regroupe plusieurs associations dont certaines remontent à une trentaine d’années. « Cette union compte parmi elle des grecs-catholiques et des grecs-orthodoxes entre autres », s’empresse de préciser M. Iskandar, soulignant, avec une pointe d’humour : « Nous ne sommes pas que des maronites à œuvrer pour la langue syriaque. »

La réintégration du syriaque

L’objectif principal de Tur Levnon est de réintégrer la langue syriaque dans la messe maronite et dans l’enseignement des établissements scolaires catholiques.

« Le syriaque a été enseigné au Liban depuis le christianisme jusqu’en 1943, date de l’indépendance du Liban », indique-t-il. Si l’enseignement de cette langue a pu se poursuivre, ici et là, jusqu’aux années soixante, c’est uniquement parce que les professeurs qui la maîtrisaient exerçaient toujours. « Lorsqu’ils sont partis à la retraite, l’enseignement du syriaque s’est arrêté », ajoute-t-il. C’est pour cela qu’il a fallu arabiser la messe maronite. « Plus personne n’enseignait le syriaque, donc plus personne ne le comprenait », explique M. Iskandar, qui indique que cette transition du syriaque à l’arabe fut compliquée puisque toutes les prières récitées lors de la messe, depuis 1300 ans et même plus, se faisaient en syriaque. « L’arabe ne disposait pas de la terminologie nécessaire ni de l’esprit des prières. Il a fallu préserver des mots syriaques en les arabisant, surtout pour les termes en syriaque qui n’avaient pas d’équivalent en arabe », précise-t-il. Pour M. Iskandar, revenir au syriaque serait beaucoup plus facile que le passage du syriaque à l’arabe. « La langue syriaque, née d’une rencontre entre le grec et l’araméen dans une région cananéenne très hellénisée, est très facile à apprendre et à pratiquer », assure-t-il. Ce passage serait d’autant plus simple, poursuit-il, que « nous utilisons le syriaque aujourd’hui dans notre dialecte libanais ». Pour M. Iskandar, le Libanais est plus un dialecte du syriaque qu’un dialecte de l’arabe.

Comment Tur Levnon œuvre-t-elle pour la réalisation de son objectif principal ? « Nous essayons d’inciter les maronites eux-mêmes à réclamer la réintégration du syriaque dans la messe et dans les programmes scolaires des écoles catholiques », répond M. Iskandar. Les membres de Tur Levnon ont recours aux médias pour sensibiliser sur la question, à des émissions télévisées, des conférences dans les universités notamment et des messes occasionnelles en syriaque. « Nous ne prétendons à aucun moment vouloir remplacer l’arabe par le syriaque, nous œuvrons uniquement pour que le syriaque soit réintégré et enseigné tel que le sont le français et l’anglais, ou alors lors des cours de catéchisme », nuance-t-il.

L’association offre également des cours de langue syriaque en collaboration avec « Friends of the Syriac Language ». Ces cours forment une dizaine de personnes sur une période de six ans. « Mais nous avons jugé que ces cours, qui n’intéressent que les petits amoureux de la culture et de l’histoire, n’étaient pas suffisants, et c’est pour cela que Tur Levnon a été fondé », enchaîne M. Iskandar. Selon lui, la langue syriaque ne sert à rien pour le moment, mais lorsqu’elle sera enseignée dans les établissements scolaires et utilisée lors des messes, elle servira de nouveau à quelque chose. « Les Libanais pourront comprendre l’appellation de chaque petit coin au Liban », assure-t-il.


L’historique de la langue

Au Liban, les derniers villages à pratiquer le syriaque étaient Bécharré, Hasroun et Bén, dans le nord du Liban, selon les écrits d’Eugène Roger. Ces villages ont probablement continué à utiliser cette langue jusqu’au XIXe siècle. Malgré la transition au dialecte libanais, les villages du Liban-Nord ont gardé un accent syriaque dans leur dialecte et leur prononciation. M. Iskandar explique ce phénomène : « Il existe en réalité deux langues syriaques et non pas une seule : l’orientale et l’occidentale, et ceci par rapport à l’Euphrate. » « En Irak, le syriaque oriental est pratiqué et c’est pour cela que dans leurs messes, les croyants répètent « Qadichate alaha, qadichat hayeltana » au lieu du « Qadichat aloho, qadichat hayeltono », qui est récité par les syriaques occidentaux, notamment au Liban.

« La voyelle “o” dans le syriaque occidental trouve ses racines dans le cananéen, alors que la voyelle “é”, notamment utilisée à Zghorta, est une voyelle phénicienne », explique M. Iskandar avant d’illustrer ses dires par un exemple : « En arabe, le mot Liban est prononcé “Lebnan”, alors que, couramment, et notamment dans les régions du Liban-Nord, il est prononcé “Lebnén”, avec un accent aigu sur le e. »

Dans ce cadre, M. Iskandar rappelle que le peuple syriaque n’est pas une ethnie en soi. « Il est constitué de trois civilisations : les Mésopotamiens, les Araméens et les Cananéens phéniciens. Lorsqu’elles se sont converties au christianisme, elles sont devenues syriaques », précise-t-il, avant de poursuivre : « Seules les communautés christianisées de ces trois civilisations constituent le peuple syriaque. Les Mésopotamiens sont les chaldéens et assyriens de nos jours, les Araméens ne sont autres que les syriaques-catholiques et les syriaques-orthodoxes, alors que les Cananéens sont actuellement les syriaques maronites et les roum (grecs-catholiques et grecs-orthodoxes, NDLR). »

Pour Tur Levnon, trois patriarches maronites sont d’une grande importance : Mar Youhanna Maroun, fondateur du Liban moderne et de la maronité ; le patriarche Estéphan Douayhi, qui a été le premier à avoir écrit l’histoire des maronites depuis saint Maron jusqu’à son époque, le premier à avoir écrit sur l’art maronite (icônes, fresques, etc.) et sur l’architecture maronite, et le premier à avoir défendu la langue syriaque ; et le patriarche Arida, le dernier à s’être battu pour l’identité syriaque des maronites. Quant au père spirituel de l’association, il s’agit de Charles Malek sur lequel l’Union syriaque maronite fonde toute sa vision et tout son combat.


Pour mémoire

Joseph Yacoub : Le Moyen-Orient est arabo-musulman et... syriaque

Voyage au Liban-Nord sur les traces de la langue syriaque

Nombreux sont ceux qui utilisent l’expression « nafad bi richo » pour signifier « il a évité de justesse » un danger quelconque Et parmi eux, nombreux, aussi, sont ceux à penser que « richo » vient de l’arabe littéral et signifie « ses plumes ». En réalité, il n’est pas question de plumes dans cette expression. Seuls ceux qui sont...

commentaires (9)

Pour l'érudit allemand christoph Luxenberg, Qornet es-Saouda signifie en syriaque, le plus haut sommet, ce qui est le cas pour le Liban. Cela n'a donc rien à voir avec les Martyrs, sinon on aurait dit de la Place des Martyrs à Beyrouth : " Sahet es -Saouda " !

MELKI Raymond

13 h 16, le 30 octobre 2023

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Commentaires (9)

  • Pour l'érudit allemand christoph Luxenberg, Qornet es-Saouda signifie en syriaque, le plus haut sommet, ce qui est le cas pour le Liban. Cela n'a donc rien à voir avec les Martyrs, sinon on aurait dit de la Place des Martyrs à Beyrouth : " Sahet es -Saouda " !

    MELKI Raymond

    13 h 16, le 30 octobre 2023

  • Remarquable, Du coup, j'ai fait la "connaissance" de l'association Tur Levnon sur Google, qui en fait une bonne description Dr B. Youssef

    Bassam Youssef

    12 h 49, le 08 août 2021

  • Tres interessant ! Excellente initiative. Je vous souhaite un grand succes .

    Danielle Sara

    03 h 43, le 24 août 2019

  • INTERESSANTE INITIATIVE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 31, le 19 août 2019

  • J'ai été une fois à un concert d'une chanteuse du nom Ghada Shbeir présentée comme spécialiste du chant sacré syriaque, très joli, cela me donnait un peu l'impression de musique byzantine, mais je n'en sais pas beaucoup et je ne comprends pas , mais c'était belle voix et joli musique ...

    Stes David

    17 h 28, le 19 août 2019

  • Très intéressant Important de ne pas oublier nos racines

    Chammas frederico

    15 h 51, le 19 août 2019

  • Bon courage dans son combat qui mérite admiration. Cela dit le libanais n'a jamais vraiment cessé la recherche de ses racines.. Phéniciennes, croisées, arabes, maintenant de Mésopotamie et autres... Cela prouve qu'il n'est pas prêt à assumer sa propre identité libanaise qui ast sûrement tout ceci à la fois... Dans l'esprit du libanais le mot peuple est claire, mais la nation reste flou...

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 15, le 19 août 2019

  • Tres bonne initiative .Merci

    Helou Helou

    13 h 11, le 19 août 2019

  • Bravo! J'ai toujours trouvé invraisemblable que le syriaque ne soit pas enseigné dans les collèges, même pas dans les classes littéraires, alors qu'il était la langue maternelle des libanais, jusqu'à l'invasion arabe. Quelle culture peut-on apporter aux enfants libanais, si on les coupe de leurs racines? Mais peut-être est-ce là le but?

    Yves Prevost

    07 h 16, le 19 août 2019

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