Tolérance, fait de respecter la liberté, les opinions, l’attitude... d’autrui. Synonymes : largeur, indulgence, respect, compréhension. On en est bien loin. Loin des fondements d’une démocratie que nous ne sommes plus. Loin des fondements mêmes des religions qui prônent la tolérance.
La tournure qu’ont pris les événements autour de « l’affaire Mashrou’ Leila » en est la preuve. La haine s’est déversée sur ce groupe et leurs fans, tour à tour accusés d’être des dévots du diable, d’encourager les propos blasphématoires qui au final n’en n’étaient pas. L’art est interprétable et c’est là son essence. Mais la lecture qui a été faite de leurs paroles a dépassé tout entendement. Citer le Père, le Fils ou la Trinité ne sont pas des insultes. Comme l’avaient chanté avant eux Queen, les Rolling Stones et d’autres. Mais cela en a blessé plus d’un. La tolérance s’inscrit ici aussi. Respecter leur blessure, même si, pour certains, elle n’était pas vraiment fondée. Sauf que la tolérance n’a pu trouver sa place dans cette cabale digne d’un autre temps lancée par une personne qui avait décidé de faire parler d’elle. L’incompréhension s’est installée, et avec elle la haine et la violence.
La tolérance a volé en éclats. Le respect également. Et maintenant, les gens sont déchaînés autour de ce qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Surtout pas chez nous. Jusqu’à aujourd’hui, nous étions considérés comme le pays le plus ouvert de la région. Un pays où la liberté d’expression demeurait encore intouchable. Un pays où les communautés vivaient entre elles sans grand couac. Et presque 30 ans après la fin de la guerre fratricide qui avait écrasé le pays sous les décombres, la haine s’est exacerbée. Ce pays du Moyen-Orient envié pour sa tolérance n’est devenu rien d’autre qu’un dépôt de haine. Les gens se haïssent. Haïssent l’opinion des autres, la liberté des autres, l’attitude des autres. Haïssent l’autre tout simplement. Ils ne se comprennent plus et chacun y va de son jugement, pensant qu’il a raison, qu’il a la science infuse. C’est ce que cet épiphénomène a démontré. Il a confirmé ce qu’on craignait : le Liban de nos ancêtres n’est plus. Et même s’il a connu conflits, guerres et occupations, il n’a jamais été aussi divisé. À tous les niveaux. Et même s’il y a toujours eu plusieurs Liban, sa pluriculturalité et sa diversité étaient sa plus belle définition.
Que sommes-nous devenus ? Et surtout pourquoi ? Des questions aux réponses floues. La crise, la faim, la corruption, l’allégeance aux zaïms, la pollution, la peur ? Que sommes-nous devenus ? Pourquoi une partie de la population est-elle devenue aussi raciste, tellement homophobe, si intolérante ? Et surtout, pourquoi ces sentiments ont-ils pris le pas sur ce qui faisait le charme de ce pays ? Pourquoi sommes-nous de moins en moins nombreux à nous accrocher aux derniers lambeaux de la liberté ? Ces questions nous pourrissent l’existence. Elles nous éloignent les uns des autres. Elles nous confinent dans des espaces de plus en plus petits. Elles nous poussent à déserter les rivages de ce qu’on appelait le pays du miel et de l’encens. Le miel a désormais un goût amer et l’encens n’a plus la même odeur. Pourtant, au-delà de l’œuvre sucrée des abeilles et des effluves du bakhour, nous avions tant créé. Au fil des siècles, de la couleur pourpre aux lettres de l’alphabet, nous avons été à la fois enviés, jalousés, admirés et respectés. Et il n’en n’est plus rien. Ailleurs, on nous regarde avec pitié et mépris. Avec tristesse aussi parfois.
Nous sommes un des seuls peuples au monde à avoir autodétruit son pays. Nous sommes un des seuls peuples à avoir marché à reculons. À ne pas avoir appris les leçons de cette guerre que personne n’a gagnée. À s’être disjoints comme jamais. Et cette grande mascarade autour de Mashrou’ Leila a sonné le glas du peu de liberté(s) qui nous restai(en)t. Cela n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais ça le fut. On dit que l’on divise pour mieux régner. Mais aujourd’hui, régner sur qui ? Et sur quoi surtout.
commentaires (6)
La tolérance, il y a des maisons pour ça .. ( Georges C. )
CHARLES OBEGI
23 h 17, le 10 août 2019