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Liban - La carte du tendre

La malédiction de l’aviso Grille

Georges Arida sur l’aviso Grille, 1948. Copyright Philip Arida

Il est temps de dénoncer une imposture : jusqu’ici j’ai tout inventé… ou presque. En décrivant les photos objets de cette rubrique et en l’absence d’informations vérifiables, j’ai très probablement projeté mon propre état d’esprit sur ces héros sans nom. Pour faire vraisemblable, j’ai mis en valeur les quelques repères identifiables mais pour le reste, la photo et son interprétation ne sont que le reflet de l’humeur de l’observateur après avoir été une composition de photographe. Double supercherie donc.

Parfois, la réalité qui se cache derrière l’image peut être radicalement différente : le cliché d’aujourd’hui en est une illustration. L’image est celle d’un homme dans la force de l’âge, impeccablement coiffé à la mode de la fin des années 1940, vêtu d’un superbe costume, manucuré jusque dans la pochette et le nœud Windsor. Détail étrange, il est équipé de jumelles et se tient sur la hune d’un navire dont on aperçoit l’imposante cheminée à l’arrière : on imagine qu’il tente d’observer quelque dauphin ou baleine au cours d’une croisière. La pose est conquérante, ce monsieur ne se prend pas pour n’importe qui, il rappelle immanquablement

Gatsby le magnifique ou le dernier chah d’Iran au temps de sa gloire, il fait comme s’il était chez lui et domine la scène comme le roi Lion sur sa falaise.

Eh bien oui, figurez-vous, il est chez lui, mais à son corps défendant. Et il n’a absolument rien d’un m’as-tu-vu, il déteste la publicité. Une fois n’est pas coutume, nous connaissons la réalité de cette photo grâce à son petit-fils Philip Arida. Voici Georges, né le 23 avril 1891 à Liverpool de parents libanais qui vont émigrer au Mexique en recherche d’un avenir meilleur. À la suite de la révolution mexicaine de 1917, Georges rentre au Liban pour fonder une usine de textile à Bohsas : la Arida Brothers Corporation devient en quelques années la plus importante de la région. Disposant de solides relations avec les Britanniques qu’il soutient en finançant deux avions de combat Spitfire au début de la Seconde Guerre mondiale, il fournit, après la défaite des troupes de Vichy au Levant, les tissus de tentes et uniformes que les alliés vont utiliser lors des batailles d’Afrique du Nord contre Rommel.

Peu après la victoire contre l’Allemagne nazie, un de ses amis, l’illustre Lord Mountbatten, attire son attention sur un bateau de légende proposé à la vente. Ce navire au passé chargé n’est autre que celui d’Adolf Hitler, que le dictateur le plus sanglant de l’histoire utilisait lors de ses représentations officielles – une photo le montre même faisant le salut nazi de cette même hune.

Voici l’aviso Grille, 135 mètres, 3430 tonneaux, 26 nœuds de vitesse maximale, 17 600 km de rayon d’action, une prouesse technologique employant 248 membres d’équipage, un monde. Après avoir été le navire officiel du chancelier du IIIe Reich, il a été transformé, à partir de septembre 1939, en poseur de mines – il peut en transporter 228 à la fois – et il en posera des centaines entre les côtes françaises et la mer Baltique.

Le 1er mai 1945, c’est de ce même pont que l’amiral Dönitz annonce la mort du Führer. Débute alors la seconde vie du Grille. Réquisitionné par les forces britanniques, il va être vendu à un homme d’affaires canadien pour 125 000 £ avant d’être acquis par Georges Arida pour près de trois fois ce montant, dans ce qui sera la transaction la plus malheureuse de sa vie. Il agit en fait pour le compte du roi Farouk d’Égypte mais celui-ci va changer d’avis au dernier moment en laissant bateau et facture à Georges, alors que celui-ci n’a que faire du Grille !

Bateau maudit, le Grille a déjà subi un sabotage, probablement perpétré par son équipage allemand, lors de sa traversée de la Méditerranée vers le Liban et a dû être réparé à Gênes. Parvenu à Beyrouth, il devient le lieu de réceptions mondaines, mais la première guerre israélo-arabe éclate au moment où cette photo est prise.

Dans un Orient à nouveau en guerre, le Grille reste un navire nazi pour des Israéliens qui poursuivent leurs anciens tortionnaires à travers le monde entier. Et les Libanais sont désormais des ennemis déclarés de l’Etat hébreu : le Grille est donc doublement une cible de choix à forte valeur symbolique. Le 29 novembre 1948, les hommes-grenouilles de la Haganah accrochent deux mines à proximité des réservoirs du Grille avec l’intention de le couler. Pour une raison obscure, les mines n’exploseront que deux semaines plus tard mais avec sa coque épaisse, le navire ne sombre pas.

Que faire du bateau dont le coût de fonctionnement est exorbitant ? Financièrement bousculé, Georges Arida conduit le Grille à New York en 1949 dans l’espoir de le transformer en navire de croisière ; après tout, il dispose de 35 cabines de luxe. Il y organise des visites dont les bénéfices sont reversés à des œuvres de charité, y compris à un hôpital dont il découvre trop tard que le capital est en partie détenu par des Israéliens, ce qui lui vaut une violente animosité arabe, sans compter que son usine, qui emploie 1 600 ouvriers, subit concurrence acharnée et ralentissement économique. Totalement dégoûté, Georges finit par se débarrasser à la casse de son navire pour à peine 10 % de son coût initial. Le Grille restera ancré dans le port de New Jersey jusqu’en 1951 avant d’être découpé et refondu, non sans avoir été pillé jusqu’aux toilettes par des collectionneurs en quête de sinistres souvenirs.

Du bateau d’Hitler, il reste cette étonnante épopée dont se souviennent les Arida ainsi que les descendants des membres d’équipage libanais, et cette photo où Georges semble proclamer sa réussite à la face de l’humanité quand en réalité il ne sait plus quoi faire du bateau le plus hanté et le plus encombrant de la planète.



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Il est temps de dénoncer une imposture : jusqu’ici j’ai tout inventé… ou presque. En décrivant les photos objets de cette rubrique et en l’absence d’informations vérifiables, j’ai très probablement projeté mon propre état d’esprit sur ces héros sans nom. Pour faire vraisemblable, j’ai mis en valeur les quelques repères identifiables mais pour le reste, la photo et...

commentaires (2)

En de qui concerne le yacht de Hitler le Aviso Grille. Ce bateau a ete vendiue par ce que tous lchantiers naval American etait requisitionse' debut de la guerre de Korea Il n'avait acune raison de le garder il l'a vendiue a la casse. Eddy Arida

Eddy Arida

23 h 25, le 05 août 2019

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Commentaires (2)

  • En de qui concerne le yacht de Hitler le Aviso Grille. Ce bateau a ete vendiue par ce que tous lchantiers naval American etait requisitionse' debut de la guerre de Korea Il n'avait acune raison de le garder il l'a vendiue a la casse. Eddy Arida

    Eddy Arida

    23 h 25, le 05 août 2019

  • Histoire intéressante sur ce "aviso" ou « patrouilleur hauturier » navire de guerre rapide ... Le nom "Grille" est d'après wikipedia pas un hazard car un nom historique de la marine borusse (prusse) de l'amirauté prussienne. Son nom (qui signifie grillon en allemand) serait une référence directe vers un bateau plus ancien le SMS Grille le yacht de la famille royale de Prusse à partir de 1858. Quand nous parlons de nos jours de l'Allemagne il ne faut pas oublier qu'à l'époque il y avait le royaume de Prusse, ce n'est pas évident la "réunification" de nos jours de l'Allemagne car historiquement je pense que la Prussie se situe plus au moins à 7 pays différents dont principalement la Pologne.

    Stes David

    14 h 24, le 05 août 2019

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