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Lifestyle - Coolitude

Quand sourire sur une photo empêchait de paraître intelligent

En revisitant les photos de nos aïeux, bien encadrées et posées sur une table ou soigneusement conservées dans des albums, force est de constater l’expression figée des modèles qui signe l’air de ces temps d’austérité.

Un des selfies les plus partagés, 3.4 million de fois, et liké 2.4 millions de fois, pris à l’occasion de la remise des Oscars en 2014, avec, sur la photo, Jared Leto, Jennifer Lawrence, Channing Tatum, Meryl Streep, Ellen DeGeneres, Julia Roberts, Kevin Spacey, Bradley Cooper (qui a pris la photo), Brad Pitt, Lupita Nyong’o, Angelina Jolie, et d’autres.

À l’ère du 2.0, il n’est plus nécessaire de dire « cheee...se » avant de prendre une photo, avec caméra ou téléphone portable, car le sourire (souvent glamour) se fait naturellement quand un selfie s’impose. Cette génération, à la dentition continuellement blanchie par moult interventions cosmétiques, s’est demandé pourquoi leurs aïeux, fixés sur pellicule sépia, ne desserraient pas les lèvres et avaient l’air toujours sérieux et fermés. Les experts, qui en connaissent les raisons, et de nombreux blogs et sites sur la toile sont remontés à l’origine de ce phénomène. Et particulièrement le Smithsonian Institution (qui chapeaute les grands musées US et autres centres de recherches), qui vient de produire une vidéo intitulée Why Don’t People Smile in Old Photographs ? (pourquoi les gens ne sourient pas sur les anciennes photos ?). Sur fond de tonalité sépia, le narrateur, Eric Schulze, (PhD, expert en science et technologie de l’art et en créativité humaine), entre dans le vif du sujet. À savoir l’apparition en 1839 du daguerréotype, le premier appareil de photographie qui exigeait un long temps d’exposition, environ 15 minutes, pour parvenir à saisir la lumière. On raconte même que 8 heures ont été nécessaires pour prendre la première photo de l’histoire. Pour que le cliché soit réussi et net, les sujets devaient donc rester longtemps immobiles face à l’objectif. Or, comme il est difficile de soutenir un sourire durant tout ce temps, ils avaient opté pour une attitude neutre, souvent grave et sans jeux d’expression du visage.


Une photo pour la vie

Cette attitude était inspirée des portraits exécutés à l’huile, dans lesquels personne ne sourit, et que, par ailleurs, seules pouvaient se permettre les personnes très fortunées. Néanmoins, le prix d’une photo était également assez élevé, raison pour laquelle on se contentait d’une seule représentation de soi pour la vie. D’autant plus que les personnes qui avaient la chance de le faire considéraient ce jour comme un événement important et unique dans leur existence. Certains évoquent aussi une raison moins technique, pour les visages fermés devant la caméra, qui est en lien avec le sens donné au sourire à l’époque. L’écrivain Mark Twain avait même dit : « Une photographie est un document très important, et rien de tel pour la dégrader qu’un stupide sourire immortalisé devant la postérité. » Et Charles Dickens de surenchérir : « Le sourire est réservé aux dames et aux messieurs qui ne se soucient guère de paraître intelligents. »


« Say cheee...se »

Une dernière théorie, plus simple, stipule que les personnes ne souriaient pas alors car leurs dents n’étaient pas blanches. Les soins dentaires n’étant pas facilement accessibles et l’hygiène dentaire pas une priorité. Beaucoup avaient des dents manquantes, laissant des trous béants dans leurs bouches, ce qui les poussait à les cacher. À l’époque aussi, dans le domaine des arts plastiques, il était courant de penser que la meilleure manière de figer le caractère de l’individu résidait dans une attitude surfaite. Par la suite, les techniques photographiques qui se sont perfectionnées ont déridé les visages, et l’objectif a pu ainsi saisir les émotions et les réactions d’un instant donné.

Enfin, pour garantir une photographie vivante, est venu s’ajouter un déclic ne relevant d’aucune technique : le fameux et magique « Say cheee...se » qui, à peine prononcé, détend automatiquement l’expression du visage. Explication morphologique : le son « ch » positionne les dents et le « ee » ouvre les lèvres. Ce serait là une trouvaille du président américain Franklin D. Roosevelt (1933 à 1945), popularisée par l’un de ses ambassadeurs, Joseph E. Davies, qui l’avait employée en posant pour une photo avant de prendre son poste à Moscou.


« Say... prunes », un timide sourire victorien

Auparavant, à l’époque victorienne où l’étiquette et l’approche de la beauté standard étaient différentes de celles de ce siècle, on avait trouvé une astuce, également vocale, pour animer quelque peu l’expression du visage face à la caméra. Il était préconisé de dire « prunes », ce qui provoquait un timide sourire, juste ce qu’il fallait pour paraître élégant car, en ces temps-là, les larges sourires étaient également mal vus.

Aujourd’hui, autres temps, autres mœurs. Les selfies servent à étaler sa joie de vivre en dévoilant un sourire immaculé. Un véritable phénomène socioculturel souvent targué de narcissisme et synonyme de « m’avez-vous bien vu »…


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À l’ère du 2.0, il n’est plus nécessaire de dire « cheee...se » avant de prendre une photo, avec caméra ou téléphone portable, car le sourire (souvent glamour) se fait naturellement quand un selfie s’impose. Cette génération, à la dentition continuellement blanchie par moult interventions cosmétiques, s’est demandé pourquoi leurs aïeux, fixés sur pellicule sépia,...

commentaires (3)

Vous écrivez : ""Et particulièrement le Smithsonian Institution (qui chapeaute les grands musées US et autres centres de recherches), qui vient de produire une vidéo intitulée Why Don’t People Smile in Old Photographs ? (pourquoi les gens ne sourient pas sur les anciennes photos ?)"" Le présentateur sur la vidéo paraît très bien documenté, bien inspiré, surtout de Wikipédia. Abou Dhabi, la lune etc, etc, ouf… Quelle histoire ! Avec l’avancée technologique des appareils numériques, quelques marques détectent le sourire pour déclencher l’appareil. Et quand on n’a pas le sourire, que fait l’appareil ? Article très intéressant à développer encore plus … C.F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

10 h 20, le 23 juillet 2019

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Commentaires (3)

  • Vous écrivez : ""Et particulièrement le Smithsonian Institution (qui chapeaute les grands musées US et autres centres de recherches), qui vient de produire une vidéo intitulée Why Don’t People Smile in Old Photographs ? (pourquoi les gens ne sourient pas sur les anciennes photos ?)"" Le présentateur sur la vidéo paraît très bien documenté, bien inspiré, surtout de Wikipédia. Abou Dhabi, la lune etc, etc, ouf… Quelle histoire ! Avec l’avancée technologique des appareils numériques, quelques marques détectent le sourire pour déclencher l’appareil. Et quand on n’a pas le sourire, que fait l’appareil ? Article très intéressant à développer encore plus … C.F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 20, le 23 juillet 2019

  • Vous écrivez : ""L’écrivain Mark Twain avait même dit : « Une photographie est un document très important, et rien de tel pour la dégrader qu’un stupide sourire immortalisé devant la postérité. » Et Charles Dickens de surenchérir : « Le sourire est réservé aux dames et aux messieurs qui ne se soucient guère de paraître intelligents. »"" Vous oubliez le sourire de la Joconde, mais bon, on ne peut pas tout aborder… Citer ces deux écrivains est excellent, mais mon avis compte un peu plus. Un "stupide sourire", et "paraître" intelligent, et c’est là où vous touchez le fond du problème. Comment "avoir l’air" intelligent ? Avoir l’air, c’est donc le miracle … J’ajouterai à votre article une citation de Barthes, sur un portrait de Piet Mondrian, par A. Kertész : ""Comment peut-on avoir l’air intelligent sans penser à rien d’intelligent ?"" Barthes abordait également l’humour, qui ne va pas de soi en Photographie…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 17, le 23 juillet 2019

  • SI ON SOURIT COMME UN IDIOT... ALORS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 48, le 23 juillet 2019

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