Le Liban a adopté vendredi son budget pour 2019, après plusieurs mois de discussions entre les partis politiques représentés au Conseil des ministres, à la commission parlementaire des Finances et enfin au Parlement. Le texte était très attendu par le Groupe international de soutien au Liban, composé des donateurs présents lors de la conférence de Paris d’avril 2018 (la CEDRE) et envers lesquels les dirigeants libanais se sont engagés à lancer d’importantes réformes structurelles.
Dans un communiqué publié peu après l’adoption du budget, le groupe a appelé ses interlocuteurs à se pencher désormais sur un autre chantier majeur, en plus de l’assainissement des finances publiques et de la réforme de l’électricité : le renforcement de la transparence et la lutte contre la corruption. Début juillet, le Conseil économique et social (CES) a rassemblé plusieurs experts à Beyrouth autour de cet enjeu, à l’occasion d’un séminaire organisé en coopération avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
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Peu de progrès
« Abus de pouvoir exercé à des fins privées », selon la définition de Transparency International (TI), la corruption est très présente au Liban qui occupe le 138e rang sur 180 au dernier classement mondial de l’indice dédié établi par l’ONG basée à Berlin. Selon la ministre d’État pour le Développement administratif, May Chidiac, le phénomène, qui affecte la gouvernance des institutions, l’environnement des affaires et les finances publiques du pays, a coûté plus de 5 milliards de dollars en 2018.
La corruption au Liban prend plusieurs formes, rappelle à L’Orient-Le Jour Ghassan Moukheiber, ancien député et président du groupe des parlementaires contre la corruption (LebPac), citant les pots-de-vin, le favoritisme, les détournements de fonds ou encore le détournement des prérogatives accordées aux membres de la fonction publique. « La corruption coûte cher à l’État et à la société, freine le développement, remet en cause le principe d’égalité entre les citoyens et mine leur confiance dans les institutions », souligne-t-il.
La situation est d’autant plus critique que le Liban est lié par plusieurs engagements internationaux en matière de transparence et de lutte anticorruption et a déjà lancé certaines initiatives dans ce domaine.
Bien avant la CEDRE, le pays avait par exemple adhéré, le 22 avril 2009, à la convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption, qui le contraint à mettre en œuvre certaines mesures. C’est pour se conformer à l’article 5 de ce texte que l’ancienne ministre d’État pour le Développement administratif, Inaya Ezzedine, a lancé le 22 avril 2018 une stratégie nationale pour la lutte contre la corruption imposant notamment d’impliquer les institutions publiques dans sa mise en œuvre. « C’est un outil de pression sur les politiciens », estime Natacha Sarkis, agent anticorruption du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et fonctionnaire du ministère d’État pour le Développement administratif.
Mais un an et demi plus tard, les progrès ne sont pas significatifs. « Bien que ce plan ait été le fruit de dix ans de travail, il a été considéré comme une atteinte implicite à l’ensemble des politiques au pouvoir. Il a finalement été convenu (au printemps, NDLR) d’en confier l’examen à une commission ministérielle ad hoc présidée par le Premier ministre, Saad Hariri », ajoute Natacha Sarkis.
Parmi les autres tentatives récentes, le pays a adopté, en 2017, la loi relative au droit d’accès à l’information – qui permet en principe à tout citoyen de prendre connaissance des données relatives aux dépenses engagées par les différents ministères et institutions publiques. Mais l’application de ce texte laisse, elle aussi, à désirer.
En juin, le Parlement a enfin adopté une loi sur la lutte contre la corruption dans le secteur public. Le texte institue notamment une commission spéciale indépendante chargée de définir et de trouver les moyens légaux de sanctionner les infractions entrant dans cette catégorie. L’efficacité de cette instance pourrait toutefois pâtir de certaines de ses caractéristiques imposées par le législateur, comme le fait qu’elle ne puisse se substituer aux instances de contrôle existantes ou que la nomination de ses membres doive être avalisée par le Conseil des ministres.
(Pour mémoire : Justice, finances, forces de l'ordre : la lutte contre la corruption se poursuit dans les institutions)
Exemples grec et marocain
Pour M. Moukheiber, les normes internationales en matière de transparence se heurtent à la réalité libanaise, le pays vivant depuis la fin de la guerre civile au rythme des luttes d’influence entre les différents partis politiques, ou encore des crises liées à l’instabilité politico-sécuritaire chronique au niveau régional. Mais des solutions existent, et dans certains pays méditerranéens, des progrès tangibles ont été enregistrés.
C’est par exemple le cas en Grèce, représentée au séminaire par l’associé du secrétariat général grec contre la corruption, Antonios Baltas. Selon lui, Athènes a réussi a garantir un certain niveau d’indépendance au niveau de ses autorités de contrôle (le Parlement et la Cours des comptes, principalement) via le mode de désignation de ses membres, basé sur le mérite. Ces instances sont en outre tenues de veiller à la mise en place de la stratégie nationale puis d’en publier les résultats annuels.
Le Liban pourrait, par ailleurs, suivre l’exemple marocain, a suggéré Diane Pallez, analyste à l’OCDE qui est également intervenue lors du séminaire organisé au CES. Pour l’experte, le royaume a enregistré des progrès grâce aux actions collectives lancées par les membres de sa société civile. Selon la Banque mondiale, ces actions incarnent « un processus concerté et soutenu de coopération entre plusieurs parties prenantes de nature à renforcer l’impact et la crédibilité d’une action individuelle ». S’étalant sur trois ans, ce processus comprend plusieurs phases : identification des risques, sensibilisation et mise en place d’une méthodologie par un expert (ou facilitateur).
« Chaque action collective détermine ses objectifs en fonction d’un problème spécifique, et met en place un processus qui peut aboutir à un code de bonne conduite, à une déclaration anticorruption ou une charte de normes à suivre », explique Mme Pallez. Elle ajoute que les citoyens de la région MENA sont très sensibles à ce concept, surtout en Égypte, en Tunisie et au Maroc – où ces initiatives ont été mises en place dans le cadre du lancement de la stratégie nationale contre la corruption en 2016, et ont principalement ciblé trois secteurs-clefs : l’énergie, le transport et la santé.
S’il a commencé à se développer en 2015 – avec le début de la crise des déchets –, le concept d’action collective prend encore trop peu de place dans le paysage libanais. Pour M. Moukheiber, cette « timidité » s’explique par la faiblesse des coalitions entre les différentes associations libanaises, qui ont tendance à être en compétition sur les aides financières. L’ancien député révèle néanmoins que des efforts sont mis en œuvre en ce moment pour créer une coalition de plusieurs ONG et associations spécialisées dans la lutte contre la corruption.
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commentaires (6)
hahaha, hahahaha, hahahaha...
LeRougeEtLeNoir
22 h 10, le 22 juillet 2019