À l’heure où le Liban est en train de s’enliser une fois de plus dans des clivages internes qui érodent un peu plus l’État et les institutions, la visite de trois anciens chefs du gouvernement – Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam – en Arabie saoudite revêt une importance particulière, aussi bien dans le fond que dans la forme.
Placée sous le signe de la sauvegarde de la Constitution et la réhabilitation du prestige de l’État que les récents incidents, notamment à Qabr Chmoun, ont achevé de ternir, cette visite est également un message explicite de soutien au Premier ministre Saad Hariri, couplé à un rappel haut et fort de l’arabité du Liban et de son appartenance à la région, qui ne devrait pas cependant se faire aux dépens du principe de la distanciation que le gouvernement s’est engagé à respecter.
Tels sont les principaux points que l’on peut retenir du communiqué conjoint publié par MM. Siniora, Mikati et Salam et des déclarations faites à la presse à l’issue de leur rencontre avec le roi Salmane ben Abdel Aziz, à laquelle ont notamment pris part le ministre saoudien des Affaires étrangères Ibrahim al-Assaf, le conseiller du monarque saoudien Nizar Alaoula et l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban Walid Boukhari.
Retenus à déjeuner par le roi après un entretien qui a duré 35 minutes, les responsables libanais, qui avaient initié cette rencontre, ont obtenu des promesses fermes portant sur une redynamisation de l’engagement de l’Arabie auprès du Liban, après une désaffection relative de Riyad à l’égard des problèmes locaux.
Le message du roi Salmane est venu illustrer la volonté du royaume de soutenir de manière plus tangible le pays du Cèdre et de le préserver aussi bien des défis intérieurs qui minent sa cohésion que de ceux venant du dehors, illustrés principalement par la montée en puissance de l’Iran dans la région et le bras de fer entre Téhéran et Washington et dont le Liban risque de faire les frais.
Le roi Salmane a ainsi exprimé « le souci de l’Arabie saoudite de préserver la sécurité et la stabilité du Liban, et l’importance de maintenir ce pays au sein de son environnement arabe ». Le souverain saoudien a affirmé que Riyad « n’épargnera aucun effort pour protéger l’unité, la souveraineté et l’indépendance » du Liban, et souligné l’importance de « préserver l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre » et dont l’Arabie saoudite est l’un des principaux parrains. Il a également appelé à « rendre sa considération et son respect à l’État libanais et lui permettre d’étendre son autorité entière et par le moyen de ses forces légales sur tout son territoire ».
Cette rencontre à la forte symbolique survient dans un contexte de tension interne accrue, couplée à une guerre de prérogatives entre le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil qui, selon les milieux haririens, cherche à saper l’autorité du Premier ministre ainsi que son pouvoir décisionnel au sein de l’exécutif. Dernière tentative en date, l’insistance de M. Bassil à vouloir inscrire à l’ordre du jour la question de la saisine de la Cour de justice dans l’affaire de Qabr Chmoun, une prérogative qui revient au chef du gouvernement en collaboration avec le président de la République.
Quelques semaines auparavant, une autre crise avait éclaté entre les deux hommes, après que M. Bassil eut tenu des propos qualifiés de scandaleux sur le sunnisme politique qui, selon lui, « est né sur le cadavre du maronitisme politique en arrachant tous ses privilèges ». « Nous voulons recouvrer ces droits intégralement », avait-il ajouté sans ambages.
C’est pour répondre à ces tentatives d’atteinte à la présidence du Conseil que les anciens chefs du gouvernement, qui se sont déjà mobilisés à maintes reprises pour tenter de dresser un rempart autour de Saad Hariri, ont décidé de se rendre à Riyad, invité à se prononcer plus explicitement en faveur de la sauvegarde des institutions libanaises et indirectement du rôle du Premier ministre. Ce dernier avait d’ailleurs donné la veille son feu vert aux trois anciens chefs du gouvernement.
(Lire aussi : Un début d’apaisement, mais pas de Conseil des ministres en vue)
La question des prérogatives
Lors d’un point presse, M. Mikati a démenti les informations qui ont circulé au sujet d’un échange avec le souverain saoudien sur « les prérogatives du Premier ministre ». « Mais nous avons affirmé en tant qu’anciens Premiers ministres notre soutien au poste de chef du gouvernement et à Saad Hariri », a-t-il ajouté.
Interrogé sur la déclaration du roi concernant l’environnement arabe du Liban, M. Mikati a affirmé que « personne ne peut faire sortir le Liban de son environnement arabe et c’est à partir de ce principe que l’Arabie va tendre la main au Liban », une promesse faite lors du déjeuner organisé en l’honneur des trois personnalités libanaises et au cours duquel le roi a donné des directives aux responsables saoudiens présents qu’il a chargés de suivre de près le dossier libanais.
Pour attester cette nouvelle orientation, l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth a de son côté estimé que la visite des trois anciens Premiers ministres « présage un avenir prometteur en ce qui concerne le renforcement des relations bilatérales ». Le diplomate n’en dira pas plus sur la forme que prendra ce renforcement.
La distanciation
Plus explicite encore a été la position de M. Siniora lors d’un entretien accordé à la chaîne al-Arabiya, qui après avoir affirmé que la visite est destinée à « renforcer la position du Premier ministre Hariri », a accusé « certains au Liban de tenter de modifier l’accord de Taëf », comprendre le chef du CPL.
M. Siniora a saisi l’occasion pour marteler l’importance de la politique de distanciation vis-à-vis des conflits dans la région prônée par le Liban mais qui, a-t-il déploré, est « restée lettre morte », en allusion notamment à l’attitude belliqueuse répercutée à travers les propos du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Pour l’ancien député et membre du courant du Futur Moustapha Allouche, cette visite est destinée à rappeler que le Premier ministre n’est pas seul dans sa bataille pour préserver ses prérogatives et la teneur des accords de Taëf, et qu’il peut compter par conséquent sur un soutien tangible.
M. Allouche a rappelé en substance que la présidence du Conseil est depuis un certain temps acculée à une « position défensive », certaines parties (implicitement le Hezbollah et le CPL) ayant instrumentalisé la relation ambiguë qui prévalait entre M. Hariri et l’Arabie, notamment au lendemain de la démission forcée du Premier ministre en novembre 2017.
Le compromis présidentiel conclu entre le chef du courant du Futur et le président Michel Aoun a par la suite achevé de réduire la marge de manœuvre du Premier ministre, acculé à jongler entre les requis du compromis et les positions politiques prônées par sa formation politique, une acrobatie qui l’a souvent contraint à laisser des plumes, le fragilisant face aux coups de boutoir assénés tantôt par le chef du CPL, tantôt, plus subtilement, par le Hezbollah.
Pour mémoire
commentaires (9)
Le jour où nos dirigeants se respecteront alors les dirigeants des pays étrangers les respecteront ainsi que les libanais dans leur ensemble. Tant qu'ils confient nos problèmes aux pays étrangers espérant de l'aide à leur dimemme, ils seront considérés par ces pays comme des crétins sans tête et seront manipulés à volonté. Le Liban doit trouver la solution à ses problèmes chez lui.
Sarkis Serge Tateossian
10 h 00, le 17 juillet 2019