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Au frigo !

Quel effet pratique peut avoir, dans l’immédiat, le nouveau train de sanctions financières américaines édictées contre de hauts personnages du Hezbollah, sinon de plonger dans l’embarras l’État libanais ?


Annoncées mardi, ces mesures traduisent certes un saut qualitatif dans la campagne de pressions visant l’Iran et ses satellites, puisque se trouvent ciblés cette fois deux députés libanais, en même temps qu’un responsable sécuritaire de la milice. De la sorte, Washington entend souligner l’inanité d’une quelconque distinction entre branches politique et paramilitaire du Hezbollah : message qui s’adresse en priorité aux pays européens, invités à renoncer à une telle utopie.


Pour sa part, le Liban officiel se trouve en ce moment invité, avec insistance, à répondre sur un même ton, d’une seule voix, à l’initiative US : tâche pour le moins malaisée, compte tenu des sempiternelles discordances qui paralysent l’exécutif libanais, qu’il s’agisse de réformes, de budget, de distanciation par rapport aux axes régionaux ou encore de compétences judiciaires en matière d’incidents sanglants à connotation politique. Révélatrices, sur ce plan, sont les réactions, enregistrées à chaud, des trois pôles du pouvoir. Allant crescendo en termes de virulence, et hors de toute préséance protocolaire, on voit là en effet un Premier ministre qui, sans plus d’états d’âme, se borne à prendre acte de ce nouveau développement dans l’affaire des sanctions. L’on voit ensuite un président de la République regretter une décision d’autant plus injustifiée qu’elle suit de peu un certificat américain de bonne conduite délivré au secteur bancaire libanais. C’est cependant le président de l’Assemblée qui donne l’artillerie lourde, dénonçant l’agression commise contre la démocratie locale et l’insulte ainsi faite à tout le Liban. Ce thème, le chef du Hezbollah, principal concerné dans cette affaire, ne manquait évidemment pas de le développer dans son apparition télévisée d’hier soir, non sans tourner en dérision l’efficacité des sanctions.


Sur ce dernier point, on le croit volontiers. Il y a longtemps déjà que les cibles potentielles du Trésor américain se sont délestées de leurs avoirs sensibles au gel en mettant à contribution toutes sortes de prête-noms. Mais à plus longue échéance, et du train où vont les choses, ce sont deux autres tournants, comme dirait Saad Hariri, des tournants autrement plus critiques que les précédents, qui risquent de se présenter. La première menace, déjà agitée par les États-Unis, serait l’extension des sanctions aux personnalités et formations politiques soutenant le Hezbollah : éventualité qui affecterait pas mal de monde dans les plus hautes sphères de l’État.


Encore plus chargée de périls est la philosophie qui sous-tend l’approche américaine du problème et qui consiste à dresser une partie des Libanais contre l’autre, sous couvert de révolte contre l’emprise de la milice (et de son patron iranien) sur les institutions. C’est à une telle exhortation, pouvant, comme on s’en doute, conduire à la guerre civile, que se livrait le secrétaire d’État Mike Pompeo, alors même qu’il effectuait, en mars dernier, une brève visite à Beyrouth.


Pour conjurer le spectre, il ne suffit guère, dès lors, de se gargariser de protestations indignées et de rodomontades. C’est une remise en ordre de la maison libanaise qui s’impose; et, pour cela, il est nécessaire que le Hezbollah y mette du sien. Car, si elle est agressée par la vilaine Amérique de Donald Trump, notre démocratie n’en est pas hélas à sa première humiliation. Un parti lourdement armé, menant sa propre politique étrangère, livrant ses propres guerres hors de tout consensus national et se prévalant néanmoins de la légitimité que confèrent les institutions : voilà bien ce qui s’appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre. Et le beurre, par ces temps de canicule géopolitique que connaît la région, on serait bien inspiré de le mettre au frais.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

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