L’Iran est dans une situation paradoxale sur la scène internationale depuis le début du bras de fer qui l’oppose aux États-Unis. La politique américaine de pression maximale n’est appuyée par aucun des cosignataires de l’accord nucléaire (Chine, Russie, Allemagne, France, Royaume-Uni), qui appellent au contraire à préserver le JCPOA, que Téhéran respecte selon l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Au niveau des discours, les Iraniens bénéficient d’un appui mesuré de la part des Européens et d’un soutien sans réserve de la part de la Russie et de la Chine. Au niveau des actes par contre, les Iraniens apparaissent nettement plus isolés. L’Instex, le système de troc mis en place par les Européens pour contourner les sanctions américaines, est pour l’instant inefficace. Et les Iraniens ne peuvent pas compter non plus sur des pays qui partagent pourtant la même volonté de remettre en question le leadership américain, la Chine et la Russie.
Téhéran est dans une position d’autant plus délicate qu’à l’instant où il décide de sortir des limitations de l’accord nucléaire, il perd le soutien diplomatique des autres cosignataires de l’accord. En début de semaine, l’Iran a annoncé le dépassement de la limite imposée aux réserves d’uranium prescrite par l’accord de 2015. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a appelé les Iraniens à « ne pas céder à l’émotion et à respecter les dispositions essentielles de l’accord ». La Chine, quant à elle, « a déploré les mesures prises par l’Iran », rapporte le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Si la Chine possède des intérêts essentiellement économiques centrés autour d’achats énergétiques et des exportations vers l’Iran, les relations entre la Russie et l’Iran se sont renforcées depuis l’intervention russe en Syrie en 2015. Malgré leurs intérêts divergents, ils sont unis par la volonté de préserver le régime de Bachar el-Assad. « La Russie a des intérêts militaires et symboliques en Syrie, ce qui explique en partie que, récemment, les relations russo-iraniennes ont été coopératives en ce qui concerne la préservation du régime syrien », témoigne Camille Pescastaing, professeur à l’Université Johns Hopkins.
Ces partenariats, respectivement économique et stratégique, de Téhéran avec Moscou et Pékin embrassaient des promesses d’alliances plus larges et durables qui ne se sont cependant jamais matérialisées. Les discussions menées en 2016 entre l’Iran et la Russie autour de la création d’un canal entre la mer du Golfe et le golfe Persique n’ont, par exemple, jamais abouti.
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Le beau rôle
Outre ces promesses avortées, les deux pays sont restés relativement passifs face à la pression américaine exercée sur l’Iran. Tandis que Pékin s’est docilement soumis aux sanctions américaines, le gouvernement russe – déjà affaibli par les sanctions à son encontre – n’a pris aucune mesure de poids à l’égard des pressions économiques contre l’Iran. Moscou comme Pékin semblent privilégier leurs relations avec Washington au détriment de l’Iran, même si cette crise est un moyen pour eux de jouer le beau rôle sur la scène internationale.
Cela ne remet pas pour autant en question les rapports qui unissent l’Iran à ces deux pays. « Les relations entre l’Iran et la Russie et entre l’Iran et la Chine sont pragmatiques et cloisonnées. Cela signifie que même s’il y a beaucoup de méfiance mutuelle, ils continueront à travailler ensemble, là où leurs intérêts concordent », explique Dina Esfandiary, chercheuse au Belfer Center de la Harvard Kennedy School. « Moscou et Pékin ne condamnent pas l’Iran, ils conseillent cependant une différente stratégie, celle de se soumettre à l’accord afin de ne pas se mettre à dos les Européens. Cela serait plus efficace pour isoler les États-Unis, cependant les Iraniens sont très impatients », ajoute Mark Katz, professeur à l’Université George Mason et spécialiste de la politique russe au Moyen-Orient.
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Eux-mêmes désireux de démontrer leur engagement en faveur de la non-prolifération et du JCPOA, la Chine et la Russie ne possèdent d’autres choix que de critiquer les récentes déclarations du régime iranien, tout en condamnant les efforts américains de l’isoler.
Face aux pressions incessantes exercées par les États-Unis, « les Russes condamneront probablement davantage les Américains, mais ne cesseront sûrement pas leur coopération ni avec les Iraniens ni avec les Saoudiens ou les Émirats arabes unis, alliés de Washington », selon Mark Katz.
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Et si Téhéran franchissait les limites de l’accord sur le nucléaire ?
commentaires (3)
Personne n'aimerait voir L'Iran bombardé par des forces nucléaires pakistanaises , israélienne ou autres forces ... C'est encore et toujours le fragile équilibre de la terreur
Chucri Abboud
14 h 23, le 07 juillet 2019