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Le mariage du siècle

Money talks ! Il parle tellement fort d’ailleurs, ce sacré argent, que la célèbre formule est déclinée telle quelle dans toutes les langues de la terre, se passant ainsi de toute traduction. Sur le champ de bataille aussi bien que dans les affaires publiques, l’argent est universellement reconnu comme étant le nerf de la guerre ; il peut même tenir lieu, ouvertement, d’idéal politique, comme c’est le cas hélas dans notre pays, où la criante corruption de la classe dirigeante n’a d’égale que son incompétence.

Instrument de paix parfois aussi, l’argent, quand il est manié à bon escient par les puissances ? L’idée n’est guère nouvelle, innombrables sont les programmes d’assistance se fixant un aussi noble objectif ; l’exemple le plus connu en est le plan Marshall initié par les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la pompe à dollars tournant à fond pour aider au redressement de l’Europe occidentale, y compris la République fédérale allemande. Ces largesses n’étaient pas consenties toutefois par pur altruisme : il s’agissait surtout, pour l’Oncle Sam, de faire barrage au communisme, dans un Vieux Continent dévasté par le terrible conflit et devenu l’enjeu premier de la guerre froide opposant, désormais, les anciens alliés américain et soviétique.


La stabilité et la prospérité par la paix ? Voilà soudain que Donald Trump remet ça – mais à sa très singulière manière – avec l’annonce d’une conférence de promotion économique consacrée aux territoires palestiniens occupés, et qui se tiendra les 25 et 26 juin à Manama, capitale de Bahreïn. Pourquoi le choix de ce site pour dévoiler le volet non politique ou sécuritaire du plan de paix élaboré par l’actuelle administration US, qu’elle présente comme le marché du siècle ? Sans doute parce que de tous les royaumes arabes du Golfe, c’est Bahreïn, dont la population majoritairement chiite est particulièrement sensible aux chants de sirène iraniens, qui cultive avec le plus de zèle et de constance des rapports à peine discrets avec Israël. Et parce que c’est encore Bahreïn que les autres monarchies pétrolières, plus riches mais plus frileuses, mettent généralement à contribution pour lancer de hasardeux ballons d’essai. Or hasardeux en diable, car bourré de contradictions, est précisément ce projet d’atelier économique de Manama.


Première aberration : principale concernée pourtant, l’Autorité palestinienne n’est pas conviée à ces assises et n’a même pas été consultée au préalable. Il est vrai toutefois qu’elle boycotte l’administration US depuis que celle-ci a fait cadeau de Jérusalem-Est à Benjamin Netanyahu. Aussi a-t-elle vite fait de rejeter ce qu’elle considère n’être qu’une esquisse de normalisation de l’occupation israélienne par le biais de l’économie : une infamante contrepartie financière, en échange d’un abandon du rêve d’un État palestinien. Commentaire significatif du quotidien de Tel-Aviv, Haaretz : Trump organise un mariage à Bahreïn, mais il a oublié d’inviter le marié.


Deuxième aberration : l’Amérique met la charrue devant les bœufs en lançant en quelque sorte une souscription pour le développement des territoires palestiniens occupés, avant même que d’avoir fait connaître ses propres vues quant au statut futur de ces territoires. C’est sur un règlement global, définitif et innovant du conflit de Palestine qu’affirme plancher Jared Kushner, le gendre de Trump, avec l’aide de l’émissaire présidentiel Jason Greenblatt ; mais la flagrante partialité de la Maison-Blanche en faveur d’Israël laisse peu de place à l’optimisme. Voilà donc qui menace de torpiller à la base toutes les mirifiques promesses de prospérité qui pourraient être faites lors de la conférence de Manama.


Troisième aberration : ce n’est pas avec ses propres billes, mais celles d’autrui, que le meneur de jeu yankee se propose de mener la partie, à laquelle prendront part les ministres des Finances et chefs d’entreprises de divers pays. Les participants seront appelés à sortir leurs carnets de chèques et offrir subventions, prêts à faible taux d’intérêt et autres investissements pour mettre à niveau les infrastructures palestiniennes, promouvoir l’autonomisation et encourager des réformes en matière de gouvernance. Or on voit mal le bon samaritain US mettre la main à la poche, lui qui a considérablement réduit sa participation au budget de l’Alliance atlantique, qui a déserté plus d’une organisation de l’ONU, qui a annulé aussi le maigre programme d’assistance aux Palestiniens. Et on voit encore plus mal Israël se joindre à ce tour de table, ce qui serait en effet un aveu de l’inimaginable dépossession dont a été victime le peuple palestinien.


Suprême, intolérable ironie que celle où l’on verrait des fonds en grande partie arabes servir à classer l’affaire, rien qu’en construisant écoles et hôpitaux dans cette Cisjordanie phagocytée par les colonies juives, rien qu’en posant des égouts dans la misérable bande de Gaza, régulièrement bombardée entre-temps par l’occupant.


Comment croit-on pouvoir ensevelir sous du méchant béton les aspirations nationales d’un peuple infortuné entre tous? Avec l’homme placé à la tête de la première puissance mondiale, on n’a pas encore tout vu…


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Money talks ! Il parle tellement fort d’ailleurs, ce sacré argent, que la célèbre formule est déclinée telle quelle dans toutes les langues de la terre, se passant ainsi de toute traduction. Sur le champ de bataille aussi bien que dans les affaires publiques, l’argent est universellement reconnu comme étant le nerf de la guerre ; il peut même tenir lieu, ouvertement, d’idéal...