La ministre de l’Énergie Nada Boustani et le patriarche maronite Béchara Raï, jeudi 9 mai 2019 à Bkerké. Photo postée par la ministre sur son compte Twitter
Rien n’y fera. Ni mouvement de contestation, ni intervention ecclésiastique, encore moins des réunions au sommet ne pourront dissuader, semble-t-il, le ministère de l’Énergie de poursuivre les travaux d’installation des câbles à haute tension à Mansouriyé, un projet largement décrié par les habitants vivant à proximité des pylônes qui craignent pour leur santé et leur sécurité.
Hier, une mégaréunion à Bkerké rassemblant, outre le patriarche, Mgr Béchara Raï, la ministre de l’Énergie, Nada Boustani, le directeur d’EDL, Kamal Hayek, deux des moukhtars des localités voisines concernées, Aïn Saadé et Roumié, représentant les habitants, ainsi que le chef des Kataëb Samy Gemayel et un député de la même formation, Élias Hankache, s’est soldée par un échec, aucune des propositions avancées par la partie lésée n’ayant été retenue par les représentants de l’État.
Parmi les suggestions, la création d’une commission d’experts de l’AUB et de l’Université Saint-Joseph qui examinerait la question et présenterait un rapport susceptible de convaincre l’une des deux parties, une idée à laquelle Mme Boustani est restée « complètement sourde », d’après plusieurs participants à la réunion.
Lors des échanges au cours desquels les moukhtars, soutenus par les Kataëb, ont fait valoir leur point de vue et réitéré leurs craintes, la ministre de l’Énergie a clairement fait savoir que le projet controversé d’installation de câbles dans la région résidentielle de Mansouriyé n’allait pas s’arrêter.
« Le travail d’installation des lignes à haute tension à Mansouriyé ne s’est pas arrêté et ne s’arrêtera pas », a déclaré Mme Boustani quelques heures plus tard, à l’issue du Conseil des ministres.
(Lire aussi : Haute tension à Mansouriyé : nouveaux heurts entre population et forces de l’ordre sous les pylônes)
La confessionnalisation du conflit
Le patriarche, qui a entendu les arguments avancés par l’une et l’autre partie, aurait avalisé à un moment donné la solution proposée par la ministre de l’Énergie, consistant pour l’État à racheter les logements considérés à risque à ceux qui le désirent. Une suggestion qui a été rejetée en vrac à ce jour par les habitants. La question de la relocalisation des résidents a d’ailleurs suscité un tollé lors de la réunion de Bkerké et aiguisé les sensibilités au plus haut point, les moukhtars présents ayant été jusqu’à répercuter, au nom des habitants, « la peur de voir les chrétiens une nouvelle fois poussés à l’exode », selon le témoignage d’un des participants.
Une remarque qui vient accentuer le caractère confessionnel que commençait déjà à prendre le conflit – purement technique au départ et portant sur une question de santé publique –, notamment depuis que le curé maronite de la paroisse de Mansouriyé, le père Dany Ephrem, a brandi, lors de la mobilisation des habitants mardi dernier, une grande croix en bois, alors que les forces de l’ordre malmenaient les protestataires. Un geste que le père Ephrem avait alors justifié par l’intention des manifestants d’unifier leur voix dans « la prière ».
C’est ce qui aurait d’ailleurs poussé le patriarche maronite à lancer un appel au calme, invitant les protagonistes à se réunir sous sa houlette pour trouver une solution, qui n’a pas eu lieu au final, Mgr Raï ayant « fait preuve d’une neutralité désarmante au cours de la réunion, pour finir par soutenir la proposition de vente formulée par la ministre », commente pour L’OLJ l’un des participants.
Dans un communiqué publié à l’issue de la réunion, Bkerké a dénoncé les violences à Mansouriyé et appelé au retour au calme, une proposition avalisée par les parties présentes.
Le texte, dont le responsable de l’information à Bkerké, Walid Ghayad, a donné lecture, souligne que les participants ont discuté « des études en possession du ministère de l’Énergie et qui ont été effectuées il y a plus de 15 ans. Des remarques ont été soulevées. Les autorités concernées doivent être consultées afin qu’une issue à la crise permettant à la fois de mettre en œuvre le plan sur l’électricité et de dissiper les craintes des habitants soit trouvée ». « Le patriarche et la ministre de l’Énergie vont procéder à ces consultations », poursuit le texte, qui ne semble toutefois pas avoir convaincu les Kataëb, encore moins les moukhtars présents.
Pour les Kataëb, qui se sont mobilisés aux côtés des habitants, « tous les recours ont été épuisés ».
(Pour mémoire : À Aïn Najm, l’EDL reprend en catimini l’installation des lignes aériennes à haute tension)
La boîte de Pandore
Pour Élias Hankache, une seule et unique raison peut expliquer « l’entêtement » du ministère de l’Énergie à ne pas considérer d’autres solutions : la peur que ne s’ouvre la boîte de Pandore si les habitants de Mansouriyé devaient obtenir gain de cause, poussant ainsi les habitants d’autres régions touchées par le même problème à protester et à réclamer que les installations soient démantelées, « ce qui torpillerait un large pan du projet de réforme du secteur de l’électricité enclenché ».
Le député du Metn a critiqué par la même occasion l’esprit dans lequel s’est déroulée la réunion de Bkerké qui, a-t-il dit, s’est tenue alors que de nouvelles échauffourées opposaient les manifestants qui protestaient pour le troisième jour consécutif aux forces de l’ordre déployées dans le secteur.
Alors que les protestataires avaient réussi la veille à empêcher l’accès des ouvriers au chantier, une opposition qui avait fait des blessés suite à la réponse « musclée » des forces de l’ordre, hier, les manifestants ont été pris de court par l’accès prématuré sur le site des ouvriers qui se sont présentés dès l’aube, entamant sur-le-champ le travail.
Dans la matinée, les habitants ont été surpris par une présence imposante de membres des forces de sécurité déployés dans la zone de l’église Sainte-Thérèse où doivent être installés des câbles, bloquant le passage à ceux qui souhaitaient assister à la prière matinale. Un étalage de force qu’a aussitôt dénoncé l’archevêché maronite de Beyrouth.
« Nous avons été surpris à l’aube par les forces de sécurité en train d’entrer de force sur le terrain du waqf qui relève de nous. Les forces de sécurité n’ont pas attendu que la porte leur soit ouverte et l’ont cassée et défoncée. Ils ont également coupé les routes menant à l’église et empêché les croyants d’entrer pour prier », a signalé un communiqué publié par l’archevêché qui a déploré par la même occasion la scène des forces de sécurité en train de malmener un serviteur de la paroisse grecque-catholique de Daychouniyé, le père Salim Bitani.
« C’est une manière de dire que la réunion parrainée par Bkerké n’aura aucun impact sur la détermination du ministère à aller de l’avant », commente pour L’OLJ M. Hankache.
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21 h 08, le 10 mai 2019