Ce fut une longue journée hier à Mansouriyé-Aïn Najm. Alors que les travaux se sont poursuivis hier pour l’installation des câbles à haute tension si controversés, les premiers heurts entre la population et les forces de l’ordre ont été observés dès la matinée, alors qu’un groupe avec à sa tête le curé de la paroisse, le Père Dany Ephrem, muni d’une grande croix, a tenté de se diriger vers le pylône sur lequel s’activent les ouvriers pour « prier », selon les témoignages. Des vidéos tournées sur place témoignent d’une bousculade provoquée par les forces de l’ordre, qui voulaient à tout prix leur interdire d’arriver jusqu’aux équipes d’installation, ce qui a fait dire au bureau du Parti national libéral du Metn que « la méthode policière » a été employée hier à Mansouriyé. D’ailleurs les mots « État policier » ont été très souvent prononcés par les manifestants. Plusieurs blessés légers sont tombés, selon les habitants.
La journée s’est illustrée par des mouvements de foule visant à empêcher l’entrée des équipes d’installation et des forces de l’ordre sur le terrain de l’église Sainte-Thérèse, qui appartient à l’archevêché maronite (les travaux avaient jusque-là eu lieu sur le terrain d’un particulier).
Pour le second jour consécutif d’ailleurs, les plus hautes autorités religieuses maronites, notamment le patriarche maronite Mgr Béchara Raï et l’archevêque de Beyrouth Mgr Boulos Matar, ont réitéré leur refus des violences contre la population de Mansouriyé et le refus du passage par les terrains de l’archevêché. La journée s’est terminée par un grand rassemblement sur la place de l’église, en présence du député Samy Gemayel, président du parti Kataëb, qui a, ainsi que le confirme le député Élias Hankache à L’OLJ, lancé une initiative adoptée aussitôt par les habitants : la création d’une commission d’experts de l’AUB et de l’Université Saint-Joseph qui examinerait la question et présenterait un rapport susceptible de convaincre l’une des deux parties, et de trancher le débat. Cette initiative, M. Gemayel la présentera aujourd’hui lors d’une réunion avec le patriarche Raï à Bkerké, en présence de la ministre de l’Énergie Nada Boustani (Courant patriotique libre), mise en cause par la population et les détracteurs du projet pour son insistance à vouloir installer des câbles aériens alors que les habitants, craignant pour leur santé et celle de leurs enfants de la proximité de lignes, insistent pour que les câbles de 220 kilovolts soient enterrés sous la chaussée. Mme Boustani s’est déjà déplacée hier à Bkerké pour y rencontrer le patriarche, et elle a réitéré à sa sortie son refus de la violence, mais la nécessité d’installer cette ligne qui, selon elle, ne constitue pas un danger pour la santé des habitants, d’autant plus qu’elle est répartie sur l’intégralité du territoire. À noter que le député Ibrahim Kanaan, qui est du même parti politique que la ministre mais qui serait favorable à l’enfouissement des lignes, est lui aussi convié ce matin par le patriarche pour une réunion sur la question, selon la LBCI. En soirée, une information est tombée au sujet d’une réunion entre M. Kanaan et une délégation des habitants, en présence du Père Dany Ephrem, preuve de l’intensité des contacts.
La croix brandie
Auparavant dans la journée, la ministre Boustani avait eu l’appui du Conseil des ministres (la décision d’installer les câbles est en effet une décision du gouvernement). Le ministre de l’Information Jamal Jarrah est sorti au beau milieu de la réunion gouvernementale sur le budget 2019 pour communiquer une réaction sur les incidents à Mansouriyé. « Le Conseil des ministres assure que scientifiquement rien ne prouve qu’il existe un risque sanitaire d’une installation de la ligne de Mansouriyé, sachant qu’il ne s’agit pas de la seule région concernée, a-t-il dit. Beaucoup d’études internationales démentent ce risque. Les critères que nous avons adoptés sont encore plus stricts que les critères européens. »
Il va sans dire que ces déclarations ont été critiquées par les représentants de l’opposition, les environnementalistes et les habitants. Le député Élias Hankache ne se dit même pas étonné par de telles déclarations, étant donné l’attitude qui a déjà mené à l’agression contre la foule en colère.
Le militant Raja Noujaim souligne quant à lui plusieurs incohérences dans le discours officiel. « Quand la ministre parle d’une norme d’exposition à 100 microteslas alors que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, datant déjà de 2009, les limitent à 0,2 ou 0,3 microtesla dans les maisons, on se demande si ces responsables lisent bien ce qui leur est présenté, dit-il. Même selon les recommandations de l’OMS pour le Liban, il faudrait que les habitations soient éloignées de 50 mètres au moins dans le cas des lignes de 110 kilovolts, donc au moins un rayon de cent mètres dans le cas des 220 kilovolts. » Et à l’adresse du ministre Jarrah, il rappelle que « le Premier ministre Rafic Hariri (fondateur du parti auquel il est affilié, le courant du Futur) avait décrété l’enfouissement des lignes à haute tension avant son assassinat en 2005 ». Les représentants du parti Kataëb n’étaient pas les seuls présents hier parmi les manifestants. Le député du Kesrouan Farid Haïkal el-Khazen a fait le déplacement, déplorant que l’avis du patriarche maronite n’ait pas été entendu et adoptant la revendication des habitants pour un enfouissement des lignes.
Durant le sit-in, le nombre de jeunes était beaucoup plus remarquable que la veille. La présence d’une grande croix en bois brandie par les manifestants a suscité certaines réserves chez ceux qui craignent que le conflit ne soit « confessionnalisé », ce qui a été démenti par le Père Dany Ephrem, qui a évoqué devant les médias une simple « prière ». D’autres, comme Sandy, une habitante de la région, ont manifesté leur désapprobation, estimant que la situation nécessite plus d’action que de prières.
Certes, le sujet principal ne quittait pas les esprits, et les regards se tournaient avec angoisse vers le haut du pylône où les travaux ont lieu. « J’ai acheté un appartement dans ce nouvel immeuble juste sous le pylône, mais on m’avait dit que les câbles ne passeront pas, comment ont-ils délivré un permis pour une telle construction ? » s’interroge un habitant. « Ils veulent nous expulser, mais ils n’y arriveront pas », assure un autre.
Malgré toutes les réunions qui auront lieu aujourd’hui, il est prévu que les travaux se poursuivent et que le sit-in se reforme dès les premières heures du matin.
Pour mémoire
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commentaires (6)
On manifeste contre une installation dont les conséquences sur la santé sont infimes et prouvées scientifiquement, alors qu'on laisse la cigarette et le narguilé dans tous les restaurants. Ces gens qui manifestent savent très bien quel est l'effet du tabac sur la santé et je suis certain que plus de la moitié des manifestants sont fumeurs et refusent la loi antitabac. Arrêtons donc cette mascarade.
Citoyen
11 h 16, le 09 mai 2019