Dik el-Jinn, qui êtes-vous ?
Un traducteur.
Comment êtes-vous venu à la traduction ?
Par hasard. On aime un texte, on se le redit. À force, un jour, on l’entend dans une deuxième langue, et voilà. La traduction, en tout cas telle que je la pratique, convient parfaitement aux paresseux, c’est-à-dire à ceux qui ne voient pas bien ce que l’effort a de glorieux. Les luthiers, les copistes, les hakawatis – Belacqua, Bouvard et Pécuchet, Bukhari – c’est ma guilde.
(Lire aussi : Lorsque Beckett s’exprime en libanais)
Quels textes avez-vous traduit jusqu’à aujourd’hui ?
Outre le canon tardif de Beckett, puis un peu de son théâtre, et outre certaines pièces que je fis secrètement pour mon seul plaisir (je suis particulièrement content de mes Michaux, et d’un petit Mallarmé), j’ai ouvert un atelier de traduction dont je suis pour l’instant l’unique résident. Nous avons en chantier la République de Platon vers le libanais, et au-delà tout Platon. Nous avons aussi le dernier Tractatus de Spinoza, l’Évangile de Jean, et les Dits de lumière et d’amour de saint Jean de la Croix. À chaque fois, nous essayons de créer un patron. Ainsi à partir des Beckett qui existent on pourrait, si l’on voulait, faire une version libanaise de sa première trilogie. Pour nous, c’est comme si c’était chose faite. Nous entendons procéder pareillement pour Platon et passim.
Le livre que vous rêvez de traduire ?
Shams el-haqq, de mawlana Jalal Eddine Elroumi.
Comment s’est fait le choix des textes de la représentation « Oh to End » ?
Ce sont des piécettes émouvantes qui, pour des raisons que je suis bien incapable d’expliquer, m’ont toujours fait penser aux miens – à ma grand-mère, à ma maman, à moi. Les traduire m’a permis de ne plus « commisérer » – activité pénible, surtout quand on est, je vous le disais, paresseux.
La traduction de Beckett nécessite une connaissance de ses deux textes anglais et français, affirment des linguistes. Êtes-vous d’accord ? Pourquoi ? Et comment peut-on faire de deux textes, une seule traduction ?
Je ne connais pas ces linguistes mais je suis entièrement d’accord avec eux. Un chef-d’œuvre est une parcelle qu’un écrivain a pu saisir, au prix d’un effort presque surhumain, de l’esprit de Dieu. Quand cet écrivain nous ramène cette parcelle en deux exemplaires, il choisit de nous en dire plus sur l’origine. Or la tâche du traducteur n’est rien d’autre que de retourner vers l’origine pour voir s’il n’y avait pas là par hasard « aussi » une version dans sa langue. Pour nous, la moindre indication sur l’origine est précieuse, elle facilite l’accès, elle diminue l’effort. Entre nous, Beckett ne tenait nullement à nous faciliter la tâche. Au contraire, à de rares exceptions près qui firent sa célébrité, il était herméticien. Mais, prudent, il détestait les mauvaises interprétations. Il faisait donc des choses illisibles en deux exemplaires.
Benjamin écrit que la traduction est la seule raison plausible de répéter plusieurs fois la même chose. Beckett, dont la poétique est basée sur la répétition, retrouve dans la réécriture une façon de dire, de répéter la même chose, tout en l’enrichissant. Est-ce le propos de la traduction ? De votre approche de la traduction ?
C’est exactement cela. Je dois à Benjamin tout ce que je sais de la tâche du traducteur.
Quels sont les plus grands challenges d’une traduction en général ?
Je ne connais pas du tout le domaine de la traduction en dehors des œuvres littéraires.
Et celle de Beckett en particulier ?
Beckett a fait pour l’âme ce que le marquis de Sade faisait pour les corps : primo, on les met dans une certaine position, très précisément décrite, et vraiment horrible ; deuzio, on contemple le résultat, avec le même mélange de docte attention et d’ivresse que les anciens sacrificateurs prêtaient aux ultimes heures de leur victime ; tertio, on documente. Il faut bien connaître ces choses, pour traduire Beckett.
En traduisant vers le libanais, vous avez inclus des adaptations à la culture du pays, comme l’accent ou le nom de villages libanais. Et quelques incursions en arabe littéraire... Explications ?
J’ai traduit dans ma langue, le libanais. Je considère toutes les facettes du libanais (y inclus ce que vous appelez l’arabe littéraire ; y inclus les accents de Beyrouth, de la montagne, du Sud, puis même de Yafa et d’Alep ; et jusque ce français que nous parlons présentement vous et moi) comme des prises de guerre de la langue libanaise. Elles nous appartiennent. En tout cas je les prends pour miennes.
Khidna bi hilmak Michel, défi c’est mieux que challenge, nous sommes francophones.... n’est ce pas? Et coq c’est mieux qu’autre chose... c’est Marianne qui me l’a soufflé
02 h 17, le 05 mai 2019