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Liban - Droits de l’homme

Les parents des disparus veulent une commission « à la hauteur » de leur cause

Un rassemblement a été organisé hier devant « la tente du sit-in », appelant le gouvernement à publier les décrets d’application de la loi sur les victimes de disparition forcée. Le premier de ces décrets reste celui relatif à la formation de la Commission nationale indépendante.


Sur le visage de ces femmes se lit la lassitude mêlée à la détermination de connaître le sort de leurs proches. Photo Marwan Assaf

Lasses, le regard hagard, elles se sont réunies hier au jardin Gibran Khalil Gibran, place Riad el-Solh, au centre-ville de Beyrouth, comme elles le font depuis ce 11 avril 2005 lorsque la tente du sit-in y a été dressée pour pousser l’État à reconnaître leur cause, celle des Libanais victimes de disparition forcée en Syrie et au Liban. Munies des photos de leurs proches, dont le souvenir reste vivace malgré les portraits jaunis par les longues années d’attente, elles sont venues une fois de plus afficher leur détermination à poursuivre le combat – que certaines mènent depuis près de quarante-quatre ans déjà – jusqu’à ce que le sort de leurs disparus soit connu.

Un foulard frappé du thème de leur campagne « Notre droit à la vérité » posé sur les épaules, elles s’assoient, silencieuses, sur les chaises disposées dans le jardin pour l’occasion. Sur un écran géant dressé au centre de la place, passent en boucle des vidéos insistant sur le travail de mémoire de la guerre qui doit encore être fait. Elles attendent patiemment le début de la cérémonie du « rassemblement de l’attente ». Une cérémonie d’autant plus importante qu’elle marque le début de la seconde phase de leur lutte qui s’annonce encore longue. En fait, au terme de plusieurs décennies marquées par un déni officiel de ce dossier, la Chambre a adopté le 12 novembre 2018 la loi 105 sur les victimes de disparition forcée, mettant ainsi l’État devant ses responsabilités. Une loi susceptible de panser les blessures de milliers de familles et de les fixer définitivement sur le sort des leurs. Une loi, si elle est appliquée, qui permettra enfin de tourner l’une des pages les plus douloureuses de la guerre du Liban. Et pour que cette loi ne reste pas lettre morte, le rassemblement d’hier a été organisé pour pousser les autorités concernées à publier les décrets d’application, le premier étant relatif à la formation de la Commission nationale indépendante dont les membres doivent être nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, les ordres des avocats de Beyrouth et de Tripoli, le conseil de surveillance de l’Université libanaise, les ordres des médecins de Beyrouth et du Liban-Nord et la commission parlementaire des Droits de l’homme. Ces autorités de nomination doivent proposer des noms au ministère de la Justice, qui va les recueillir et les transmettre au Conseil des ministres.



(Pour mémoire : Mahfoud appelle le CICR à enquêter sur le sort des Libanais en Syrie)



Nous gardons l’espoir…

« Je ne sais pas si on va laisser la commission faire son travail ou encore si nous aurons des résultats tangibles, confie Lina Geadah, dont le père, Kamal, et le cousin, Semaan, ont été enlevés en 1985 au point de passage de Kaskas. Nous gardons l’espoir, poursuit-elle. Après tout, nous ne cherchons qu’à connaître la vérité. »

Un droit sur lequel ont insisté tour à tour les représentants des différentes autorités de nomination présents hier au-devant de l’assistance, mettant l’accent sur la justesse de cette cause et sur la nécessité d’accélérer la formation de cette commission pour consacrer le droit des familles à connaître la vérité.

Étaient notamment présents la députée Bahia Hariri, représentant le Premier ministre, le magistrat John Azzi, représentant le ministre de la Justice, le président de la commission parlementaire des Droits de l’homme, Michel Moussa, l’avocat Walid Abou Diya, représentant le bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Tripoli et du Liban-Nord, Mohammad Mrad, le président de l’Université libanaise, Fouad Ayoub, ainsi que les présidents des ordres des médecins de Beyrouth et de Tripoli, respectivement Raymond Sayegh et Omar Ayache.

« L’adoption de la loi 105 n’est qu’une première étape », confie à L’Orient-Le Jour Christophe Martin, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge. « La constitution de la commission est un travail nécessaire », poursuit-il, appelant à « profiter du momentum politique et de l’importance que ce dossier a sur la scène libanaise » pour former la commission nationale indépendante. Soulignant « les problèmes politiques dans la gestion de tels problèmes », M. Martin affirme que « plus que jamais, on a envie que cette commission se forme ». Mais pour cela, il faudrait, selon lui, « mobiliser toutes les forces, qu’elles soient gouvernementales ou internationales comme le CICR ».

À juste titre, puisque, depuis 2012, rappelle-t-il, le CICR se penche sur la problématique des disparus, que ce soit au niveau de la collecte d’information ante et post mortem, ou encore de la collecte des échantillons de référence biologique qui permettent de comparer les ADN des disparus avec les membres de leur famille, « mais aussi au niveau de l’aide apportée à la société civile dans ses démarches auprès des autorités politiques concernées pour parvenir à la loi ».

« Aujourd’hui, notre engagement reste le même que celui d’hier en termes de soutien à la société civile et de collaboration avec les autorités libanaises, affirme M. Martin. Le CICR estime que ce dossier est une des priorités parmi de nombreuses autres sur l’agenda du gouvernement. Je l’ai d’ailleurs dit au Premier ministre lors de ma récente visite. Le travail est long, difficile et peut-être douloureux, mais on est sur la bonne voie. »


(Notre dossier spécial : Disparus de la guerre civile : S'ils pouvaient témoigner...)


Une cause au-delà du clientélisme politique

Ghassan Moukheiber, ancien parlementaire ayant suivi le dossier de près et l’un des artisans de la loi aux côtés de Ziad Kadri et Hikmat Dib, estime que cette rencontre « est d’autant plus importante qu’elle met les responsables de la nomination des membres au pied de leurs responsabilités ». « Elle traduit une volonté d’aller de l’avant », constate-t-il, faisant remarquer que « l’État devra prévoir un budget d’opération pour cette commission ». « J’ai d’ailleurs soulevé ce point la semaine dernière avec le président de la République, note-t-il à L’OLJ. Le financement de cette commission est le moyen d’évaluer la volonté politique vis-à-vis de ce dossier. Si celle-ci existe, le financement doit s’effectuer quel que soit le niveau de coupes prévues au budget. »

Prenant la parole, Wadad Halaouani, présidente du Comité des familles des disparus et kidnappés au Liban, a affirmé que la seconde phase du combat représente « un grand défi puisque nous voulons le relever avec brio, mais en moins de temps que celui consacré à la première phase », les familles ne pouvant plus attendre quarante-quatre autres années. Réussir cette phase sous-entend, selon Mme Halaouani, que la commission donne des réponses aux familles et fait la lumière sur le sort des disparus. « Notre cause est au-delà du recrutement des membres de la commission sur base du clientélisme politique, martèle-t-elle à l’intention des autorités de nomination. Nous refusons que la commission revête un caractère politique ou confessionnel. Nous voulons une commission qui nous ressemble, qui soit à la hauteur de cette cause et qui soit convaincue de la nécessité de fermer l’un des legs les plus hideux de la guerre. »


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