La compagnie pétrolière grecque Energean a annoncé hier avoir fait une vaste découverte de 28 à 42 milliards de mètres cubes de gaz naturel sur le champ nord de Karish au large de la côte nord-ouest d’Israël, non loin de la frontière Sud de la Zone économique exclusive (ZEE) libanaise. « Le premier forage d’exploration, après des années de stagnation, s’est soldé par une découverte pour Energean. Félicitations !
De nouvelles découvertes suivront et transformeront Israël en un hub régional », s’est réjoui le ministre israélien de l’Énergie Yuval Steinitz après l’annonce. « Cela pourrait être une découverte intéressante pour Energean, car cela lui permettrait de consolider sa position en Israël. Mais ça reste une découverte modeste », a pour sa part commenté auprès de L’Orient-Le Jour Mona Sukkarieh, consultante en risque politique et cofondatrice du cabinet Middle East Strategic Perspectives.
La découverte se situe à proximité de l’unité de stockage et de déchargement de la production flottante de la société, qui vise une capacité d’exportation totale de 8 milliards de mètres cubes par an. Energean a déjà vendu une partie de ce gaz au producteur d’électricité israélien indépendant IPM Beer Tuvia dans le cadre d’un accord devant durer 19 ans, et qui a permis à Energean d’engranger quelque 900 millions de dollars. Le puits d’exploration de Karish North a atteint une profondeur totale de 4 880 mètres, environ 7 jours avant la date prévue. Le forage des trois principaux puits devra se poursuivre pour explorer davantage de ressources.
Quelques heures après l’annonce de cette découverte au large d’Israël, le cours des actions d’Energean à la Bourse de Londres a bondi de 10 %. Energean est cotée aux Bourses de Londres et de Tel-Aviv, et détient depuis 2016 les droits d’exploitation de la licence de Karish de Tanin. Elle opère également en Grèce et dans la mer Adriatique.
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Quelles implications pour le Liban ?
« Cette découverte pourrait soulever des inquiétudes, qu’elles soient justifiées ou non, au Liban en raison de sa proximité avec la frontière libanaise. La découverte du gisement principal de Karish en 2013 a déjà suscité des craintes quant à la possibilité que son développement conduise à un vol du gaz libanais. Or Karish North est encore plus proche de la frontière », a souligné Mona Sukkarieh. Elle dit s’attendre à ce que son développement soit suivi de près par la partie libanaise et certainement commenté de manière approfondie par la classe politique et les médias. « Mais toute tension devrait rester d’ordre rhétorique tant que le champ découvert ne s’étend pas dans la ZEE libanaise », nuance-t-elle. Le président du Parlement, Nabih Berry, avait plusieurs fois alerté sur l’imminence du début des activités d’exploration en Israël par Energean. « Il faut agir rapidement car il y a de grandes probabilités d’avoir des réservoirs communs » au Liban et à Israël, « afin d’empêcher toute violation des droits du Liban », avait-il prévenu M. Berry. Pour le moment, aucune des informations divulguées par la compagnie grecque ne permet de confirmer ou d’infirmer l’existence de ces réservoirs communs.
Outre ces risques de nouvelles tensions, Mona Sukkarieh estime que cette découverte bien que modeste pourrait relever le profil des blocs libanais avoisinants et qui ont été ouverts pour le deuxième round d’attribution des licences d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore du Liban lancé en début du mois. D’autant plus « que deux des cinq blocs libanais ouverts pour ce nouveau round se trouvent à proximité de cette nouvelle découverte », a-t-elle indiqué. Un litige frontalier opposant le Liban à Israël découle du fait que l’État hébreu a décidé en 2011 d’officialiser sa ZEE en empiétant d’environ 850 km² sur celle du Liban – totalisant 22 730 km² – déclarée un an plus tôt par Beyrouth à l’ONU. La dernière tentative de médiation américaine entre Beyrouth et Tel-Aviv avait été menée l’an dernier par le sous-secrétaire d’État américain pour le Proche-Orient, David Satterfield, mais s’était soldée par un échec. Les responsables libanais se sont montrés fermes face aux demandes israéliennes et aux propositions de compromis énoncées par M. Satterfield. Le chef de l’État, Michel Aoun, s’est néanmoins prononcé en faveur d’un arbitrage international sur ce litige. De son côté, le ministre israélien de l’Énergie, Yuval Steinitz, avait déclaré qu’« une solution diplomatique est préférable pour les deux parties ». Lors de sa dernière visite au Liban le mois dernier, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a tenu à faire savoir que les États-Unis sont toujours prêts à aider à régler ce contentieux, avec l’aide de l’ONU.
De son côté, le groupe pétrolier français Total, qui mène le consortium Total-ENI-Novatek ayant obtenu en février 2018 les licences d’exploration et de production des hydrocarbures offshore pour deux blocs libanais (n° 4 et n° 9), avait déclaré qu’il allait éviter de forer dans la zone contestée par Israël, dont une partie se trouve au sud du bloc 9 de la ZEE du Liban. Le consortium prévoit de creuser son premier puits dans le bloc 4 fin 2019, et un deuxième en mai 2020 dans le bloc 9, avait annoncé, il y a une dizaine de jours, la ministre de l’Énergie Nada Boustani.
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Alors on fait quoi là a part ergoter et fumer le narguilé ? On attend qu’Israël pompe les nappes israéliennes et libanaises à la fois ?!
23 h 35, le 16 avril 2019