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Culture - Exposition

« Une bouteille de vin de trop et voilà le Liban qui perd des milliers de kilomètres carrés »

Les questions des frontières et de la libanité des fermes de Chebaa n’ont jamais été aussi brûlantes qu’aujourd’hui, dans un contexte régional où de multiples conflits asymétriques sont imbriqués. Et Mahmoud Hojeij de se poser la question : mais où donc commencent et s’arrêtent les limites, qu’elles soient géographiques, historiques ou relationnelles...


Photo DR

Il est né au Liban en 1975, a étudié la communication en Suisse, ainsi que la formation aux médias à la New School à New York. Avant de présenter en 2013 son premier long métrage Stable Unstable, le cinéaste libanais Mahmoud Hojeij avait réalisé plusieurs courts, dont les plus acclamés sont Wish You Were Here (2006), Memories of Ras Beirut (2006), ou Tell Me Something (2006). Outre sa carrière dans le cinéma, Hojeij a également édité trois livres sur la photographie, qui sont utilisés dans les cours de plusieurs universités libanaises.

Pour avoir voulu explorer le problème existentiel du « juste milieu » dans les relations et celui des limites à ne pas transgresser ou à ne pas laisser l’autre dynamiter, Mahmoud Hojeij s’est vu projeté sur le chemin des frontières libanaises, celles oubliées, abandonnées ou celles même ignorées de tous (du plus puissant des politiciens au plus lambda des citoyens). Le bilan : plus de 35 parcelles laissées à l’abandon qu’aucun Libanais, ou presque, n’a jamais foulées, ni vu de près ni de loin, et dont le monde entier semble nier l’appartenance, mais qui sont définitivement, telles les fermes de Chebaa, libanaises. Après un an et demi de pèlerinage, de parcours dangereux, et de prises de risques ; après avoir enjambé des terrains minés de haine, traversé la violence érigée en barricades et foulé des sols qui regorgent de sang ; après avoir flirté avec les services secrets, côtoyé l’armée libanaise et s’être pris d’amitié pour des généraux de la Sûreté générale ; après avoir questionné des bergers et des paysans qui, depuis un demi-siècle, ignorent encore si cet olivier est sur leur terre ou sur celle des pays voisins, Mahmoud Hojeij offre au public, à la galerie Agial*, son témoignage en photos et installations, et établit une carte géographique avec les km2 manquant, en revendiquant ce qui est dû à son pays. Pour lui, une limite est une clôture ou un portail, un espace entre soi et une autre personne, un autre pays, une autre culture, une autre mentalité.

En un mot comme en cent, il définit pourquoi et comment l’on décide de la distance à laquelle peut s’approcher cette personne, physiquement ou émotionnellement, en mettant en place des limites, tout en permettant à l’autre de montrer qu’il est digne de confiance avant de le laisser s’approcher de trop près.

Transgression

Les frontières érigées dans le monde entier ont engendré guerres civiles ou régionales, menaces terroristes et épuration ethnique de certaines minorités. Sauf qu’il ne faut pas occulter ce qui fait de la frontière une élaboration propre au monde des humains. Une frontière, c’est d’abord un exil, celui que connaissent les hommes et les femmes qui, par choix ou par nécessité, émigrent, mais qui est également le fait que chacun habite d’emblée dans le lieu de l’autre. Ensuite, il y a la positivité de l’idée de frontière contre les fantasmes d’un monde sans limite(s) et, en même temps, le drame d’une frontière qui sert à construire des identités par différenciation, avec une tendance à persécuter ce qui n’est pas soi. Quoi qu’il en soit, la frontière limite et délimite, elle sépare entre un dedans et un dehors, entre un avant et un après, entre un ici et un là-bas, entre le même et l’autre, ou elle unit pour donner une certaine valeur éthique à l’idée même de transgression.

Pour une génération « d’après-guerres », celle qui n’arrive plus à suivre, celle parachutée dans des années où tout avait déjà été décidé, tranché et imposé, un petit récapitulatif historique s’impose. Il y a un peu plus d’un siècle, le 16 mai 1916 plus exactement, en catimini, les accords Sykes-Picot signés entre un Britannique et un Français « à moitié saouls », dit la légende, traçaient les nouveaux contours d’un Moyen-Orient que les peuples se sont appropriés, et dépeçaient l’Empire ottoman par une simple ligne dessinée dans le sable à l’aide d’un bâton. Les peuples, à l’avenir, devront s’exprimer face à leurs dirigeants pour mettre un terme à ce statu quo mortifère et à l’effondrement des États du Moyen-Orient. Un siècle plus tard, la région est toujours plongée dans un chaos total, posant la question d’une refonte des frontières devenues plus instables que jamais. C’est cette ligne-là que Mahmoud Hojeij a tenté de suivre, de décrypter et surtout de transgresser, quoi que : il était le plus souvent dans son droit et sur le sol de son pays.

Le fleuve Styx

« Cette ligne est la première atteinte à la souveraineté de mon pays », clame l’artiste. « Je veux marcher sur mes terres et filmer comme bon me semble. Quand cette ligne a été tracée en 1916, il semblerait qu’elle ait tout d’un coup dévié de sa trajectoire initiale, pour remonter vers le haut, comme si la promesse de Balfour se profilait déjà, cela tenait à si peu de choses… Comme les Anglais briguaient un port, Mark Sykes décrète qu’il faut tracer une ligne de Akka à Kirkuk... Un verre de plus dans le nez, et Beyrouth se serait retrouvée en Palestine. »

Le travail de Mahmoud Hojeij présenté à la galerie Agial est divisé en quatre parties. D’abord, la ligne Sykes-Picot, qui traverse « avec arrogance et provocation » les terres, la mer et les clichés de Mahmoud Hojeij – des clichés exécutés au risque de sa vie. Ensuite, la ligne Sykes-Picot divise les clichés en deux parties, avec un jeu de niveau, de matières et de rendus, et l’artiste, pour qui poser un pied sur ses bandes interdites (sauf que tous les documents attestent de leur appartenance) devient une obsession, relate toutes les aventures les plus extravagantes et rocambolesques qu’il a connues durant son périple. « J’ai voulu arriver jusqu’au dernier point, confronter les autochtones et avoir des réponses. À la question de savoir à qui appartient ce petit bassin d’eau flanqué au milieu d’un terrain vague, j’avais droit à : « Il n’appartient à personne et à tout le monde, les moutons des uns et des autres peuvent s’y abreuver, mais on ignore s’il est sur des terres syriennes ou libanaises. » Et cet arbre dont les branches de gauche donnent des fruits aux Syriens et celles de droite aux Libanais, a-t-on jamais compris sur le terrain de qui avait-il poussé ? Et le fleuve Wazzani dont les eaux doivent se partager entre le Liban et Israël, peut-on y tremper ses os ? Oui, sauf que s’il venait à l’idée d’un nageur téméraire de dépasser la ligne fictive tracée par les deux soûlards en 1916, voilà le fleuve qui prend les allures du Styx et le nageur est exécuté sur-le-champ. Évidemment, il y a des codes et des règles pour se protéger les uns les autres et ne pas se tirer dessus. »

« La terre est devenue un produit commercial que l’on troque, que l’on achète ou que l’on vend comme une cannette de Coca, ou même une simple transaction imprimée sur papier, une bouteille de vin de trop et voilà le Liban qui perd des milliers de km carrés », dit-il. C’est ce que l’artiste a tenté d’exprimer dans un troisième volet où il a tracé ses propres limites et a subdivisé ses images d’une manière esthétique. Quant à la dernière thématique, elle relève autant de l’onirisme que d’une triste réalité. Non ce ne sont pas de simples oiseaux en liberté qui traversent les frontières sans se préoccuper d’une ligne tracée il y a un siècle, mais des avions-chasseurs qui n’ont de cesse de nous rappeler que ces frontières nous font poser l’ultime question : jusqu’où peut-on aller sans porter atteinte à la liberté et à l’autonomie d’autrui ?

Passionnantes et éternelles interrogations...

*Galerie Agial

Hamra, rue Abdel Aziz. « Undocumented » de Mahmoud Hojeij. Du lundi au samedi de 10h à 18h.

Jusqu’au 13 avril 2019. Tél. 01/345213.

Il est né au Liban en 1975, a étudié la communication en Suisse, ainsi que la formation aux médias à la New School à New York. Avant de présenter en 2013 son premier long métrage Stable Unstable, le cinéaste libanais Mahmoud Hojeij avait réalisé plusieurs courts, dont les plus acclamés sont Wish You Were Here (2006), Memories of Ras Beirut (2006), ou Tell Me Something (2006). Outre sa...

commentaires (4)

Il faudrait probablement aller en arrière un peu plus loin que 1916. Chaque fois qu'un empire s'est amusé à conquérir des régions, ils les divisent, les rebaptise, leur déplace leur populations à sa façon etc. car en ce moment précis de l'histoire c'est lui qui règne! Les pharaons, les perses, les babyloniens, les juifs, les Grecs, les romains, les Mayas, les chinois,les romains, les arabes,les Incas, les Mongols, les turcs les anglais, les français les soviétiques, les américains, et j'en passe et j'en passe...un verre de vin ou tout une carafe et puis quoi? Le citoyen moyen est celui qui a besoin du vin pour pour oublier les coupures de courant, les écoles qui ferment, ses enfants sans écoles, ses jeunes qui se font recruter pour faire des guerres de fanfarons pour lui faire oublier sa misères ... Vin!? Vous divaguez! Envoyer Karak m'talat, calva bien fort et whisky 120 proof!

Wlek Sanferlou

13 h 50, le 09 avril 2019

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Commentaires (4)

  • Il faudrait probablement aller en arrière un peu plus loin que 1916. Chaque fois qu'un empire s'est amusé à conquérir des régions, ils les divisent, les rebaptise, leur déplace leur populations à sa façon etc. car en ce moment précis de l'histoire c'est lui qui règne! Les pharaons, les perses, les babyloniens, les juifs, les Grecs, les romains, les Mayas, les chinois,les romains, les arabes,les Incas, les Mongols, les turcs les anglais, les français les soviétiques, les américains, et j'en passe et j'en passe...un verre de vin ou tout une carafe et puis quoi? Le citoyen moyen est celui qui a besoin du vin pour pour oublier les coupures de courant, les écoles qui ferment, ses enfants sans écoles, ses jeunes qui se font recruter pour faire des guerres de fanfarons pour lui faire oublier sa misères ... Vin!? Vous divaguez! Envoyer Karak m'talat, calva bien fort et whisky 120 proof!

    Wlek Sanferlou

    13 h 50, le 09 avril 2019

  • A côté des fermes de Chebaa dont la Syrie refuse obstinément de reconnaître officiellement la libanité, il existe plusieurs centaines de km2, tout à fait officiellement libanais, mais occupés par la Syrie.

    Yves Prevost

    07 h 33, le 09 avril 2019

  • ET SI C,ETAIT UNE BOUTEILLE D,ARAK... COMBIEN DE KM2 GAGNERONS-NOUS EN PAROLES VIDES ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 19, le 08 avril 2019

  • Ce n'est pas tout à fait faux... Il en est ainsi les plans et frontières d'autres peuples et pays ... Bien sur c'est regrettable et les conflits d'aujourd'hui ne sont pas le fruit d'une pure coïncidence. Le lien de causalité est plus que évident.

    Sarkis Serge Tateossian

    03 h 34, le 08 avril 2019

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