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Idées - Commentaire

En Algérie, une seconde lutte d’indépendance

Des Algériens participant à une manifestation à Alger, le 5 avril 2019, pour demander le départ du système mis en place par l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, après la démission de ce dernier, le 2 avril 2019. Photo Ryad Kramdi/AFP

La révolte populaire en œuvre depuis le 22 février en Algérie semble en faire la preuve : face à des défis nationaux importants en termes de politique économique, la myopie peut présenter de sérieux risques pour la survie d’un régime.

Celui du président algérien Abdelaziz Bouteflika, qui a fini par démissionner mardi dernier après vingt ans à la tête du pays, est en effet en grande partie responsable de la faiblesse actuelle de l’économie du pays. À la fin des années 2000, l’augmentation des dépenses de l’État, financée par la hausse des recettes pétrolières, avait redynamisé l’économie après la guerre civile dévastatrice des années 1990. Mais à la suite des printemps arabes de 2011, les dépenses de l’État ont encore augmenté, puis de nouveau en 2014 à l’occasion de la quatrième élection de Bouteflika.

Cette extravagance clientéliste, mise en œuvre à un moment où le budget était déjà déficitaire, a été par la suite aggravée par l’effondrement des prix du pétrole. Depuis, alors que les subventions annuelles à la consommation représentent l’équivalent d’un quart de la production algérienne, les déficits budgétaire et extérieur du pays ont explosé pour atteindre 15 % du PIB. À l’époque, l’effondrement des prix du pétrole avait conduit plusieurs think tanks algériens à appeler à l’abandon d’un modèle d’économie pétrolière ultracentralisée au profit d’une économie de marché diversifiée. En 2016, le gouvernement dévoile ainsi son « nouveau modèle économique », préparant le terrain pour un processus de libéralisation économique graduel.



(Lire aussi : Pour les médias algériens, il y a un « avant et un après-22 février »)


Aspirations démocratiques
Mais l’environnement politique n’y était guère propice : après la victoire controversée d’un Bouteflika déjà amoindri en 2014, les élites politiques du pays sont devenues obsédées par la question de sa succession. Certes, entre 2014 et 2017, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a effectivement initié certains ajustements macroéconomiques à la marge, notamment via une modeste dévaluation de la monnaie nationale, tandis qu’à l’été 2017, son successeur, Abdelmajid Tebboune, a entamé des réformes pour réduire les dépenses de l’État et réduire la corruption. Mais l’élite économique algérienne a farouchement résisté à ces efforts, aboutissant au limogeage de Tebboune. Son successeur, Ahmed Ouyahia (qui a démissionné le 11 mars dernier), ne devait alors se concentrer que sur la question de la succession. Pour autant, face à une opinion de plus en plus mécontente, son gouvernement a utilisé la planche à billets et brûlé rapidement ses réserves en devises (à raison de 20 milliards de dollars par an), afin de geler les déficits internes et externes du pays aux alentours de 10 % du PIB.

Rétrospectivement, il semble désormais évident que les tergiversations du régime face à des déséquilibres macroéconomiques insoutenables étaient une erreur. À en juger par les enquêtes d’opinion menées à partir de 2016 par le centre de recherche Arab Barometer, les Algériens n’ont guère été dupes de ces « réformes Potemkine ». Au contraire, les efforts coûteux déployés par le régime pour imposer une stabilité artificielle semblent s’être retournés contre lui. Entre 2013 et 2016, alors que le gouvernement tentait d’endiguer les secousses, le « sentiment de sécurité économique » de l’opinion, l’un des indicateurs retenus par Arab Barometers, a diminué de 20 points, pour atteindre un score de 37 (sur 100). Au cours de la même période, le niveau de confiance dans le gouvernement s’est également effondré – passant de 70 à 32 –, sans doute parce que le besoin urgent de réformes était devenu évident pour tous. En 2016, le régime algérien comptait ainsi parmi les gouvernements les moins dignes de confiance de la zone MENA et cet indicateur n’a très certainement cessé de se détériorer depuis.

Pour autant, et en dépit de la détérioration de leur sécurité économique, les aspirations déclarées des Algériens en faveur à la démocratie sont restées relativement élevées, à l’instar de celles des Libanais, des Marocains ou des Jordaniens. Généralement, la classe moyenne – qui constitue le principal moteur de libéralisation dans la région – freine la démocratisation lorsque l’insécurité économique augmente. Cependant, en Algérie, le « sentiment de sécurité physique » de l’opinion n’a cessé d’augmenter depuis 2011 (à un score de 60 en 2016, contre respectivement 50 et 56 en 2011 et 2013), reflétant probablement le succès de l’entreprise de pacification du pays menée par Bouteflika au cours de la décennie précédente.

Ces tendances de l’opinion publique algérienne laissent ainsi entrevoir que le pays a atteint un moment quasi révolutionnaire. Les profonds griefs socio-économiques et la perte de confiance dans le gouvernement se sont combinés aux aspirations populaires d’un meilleur ordre politique. Et parce que les Algériens se sentent physiquement en sécurité, ils ne craignent pas de faire pression sur les autorités.



(Lire aussi : Entre amertume et espoir, les Algériens tirent le bilan des années Bouteflika)



Puissant cocktail
C’est ce puissant cocktail qui est à la base des manifestations massives qui ont éclaté le 22 février en réponse à la candidature de Bouteflika pour le cinquième mandat. La combinaison des griefs économiques et sociaux, d’une part, et, d’autre part, des aspirations politiques de la population, suggère que ce soulèvement a de nombreux points communs avec les printemps arabes de 2011. Il s’apparente en tout cas davantage à ce type de révoltes qu’à d’autres épisodes d’agitation populaire antérieurs – tels que les « émeutes de la faim » d’octobre 1988, les révoltes kabyles de 2001 ou les innombrables micro-émeutes localisées qui se sont déroulées pendant les années 2000 – qui étaient, eux, essentiellement motivés par des griefs économiques. En soi, ce cocktail s’avère davantage propice à l’action populaire qu’au désespoir. Alors qu’en 2011, les velléités de contestation se sont rapidement estompées à la suite de la hausse des dépenses publiques et des timides réformes constitutionnelles concédées par le régime, il est cette fois permis d’espérer que cette nouvelle occasion de changement de cap fondamental ne sera pas gâchée.

Malgré ses faiblesses économiques, l’Algérie dispose toujours d’avantages précieux qui créent un terreau favorable pour un processus d’ouverture politique. Outre une population instruite, des réseaux d’infrastructure récemment modernisés, une bureaucratie dévouée et des recettes pétrolières toujours considérables d’environ 35 milliards de dollars par an, le pays dispose de réserves en devises fortes d’environ 80 milliards de dollars et d’une dette peu élevée. Les Algériens sont donc bien armés pour mener ce qui s’apparente à une « seconde guerre d’indépendance » : cette fois, il ne s’agit plus de se battre contre un pouvoir colonial, mais pour soustraire démocratiquement le pouvoir à une élite politique qui a gaspillé les richesses pétrolières du pays pour assurer sa propre survie aux dépens du progrès social.


Copyright : Project Syndicate, 2019.


Par Ishac DIWAN

Professeur d’économie à l’université Columbia (New York) et titulaire de la chaire socio-économie du monde arabe de l’Université Paris-Sciences et lettres.


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commentaires (1)

On ne dit pas "seconde lutte d'indépendance" , quand on explique que c'est pas une guerre de libération d'une puissance coloniale, on dit avec finesse et intelligente bonne foi que c'est une libération d'une gouvernance locale aigrie et désuète. Les mots ont un sens sans langue de bois. Décidément se recycler serait une bonne chose pour pas mal de journaleux.

FRIK-A-FRAK

18 h 01, le 06 avril 2019

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Commentaires (1)

  • On ne dit pas "seconde lutte d'indépendance" , quand on explique que c'est pas une guerre de libération d'une puissance coloniale, on dit avec finesse et intelligente bonne foi que c'est une libération d'une gouvernance locale aigrie et désuète. Les mots ont un sens sans langue de bois. Décidément se recycler serait une bonne chose pour pas mal de journaleux.

    FRIK-A-FRAK

    18 h 01, le 06 avril 2019

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