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Lifestyle - La Mode

Roni Helou, la mode en porte-voix

Fin mars, l’événement Fashion Trust Arabia rivalisait en glamour, à Doha, avec l’inauguration du musée national qatari, somptueuse architecture de Jean Nouvel en forme de rose des sables. Même pas impressionné par ces flots de paillettes, Roni Helou, colauréat avec Salim Azzam, qui a fait partie de la deuxième édition de Génération Orient, du prix de la catégorie prêt-à-porter, était venu transmettre un message.

Les vainqueurs libanais de Fashion Trust Arabia : de gauche à droite : Krikor Jabotian, Salim Azzam et Roni Helou entourant les Mukhi Sisters. Photo DR

À l’heure où Doha accueillait les deux événements les plus marquants de la saison, on peut dire que certains soirs, il y avait dans la capitale de l’émirat du Qatar autant d’étoiles sur terre que dans le ciel. La fastueuse agitation permettait de croiser dans les ascenseurs et côtoyer en toute simplicité aussi bien Carla Bruni et Naomi Campbell qu’Olivier Rousteing (Balmain), Pierpaolo Piccioli (Valentino), Peter Dundas (Roberto Cavalli), Diane von Furstenberg (DVF), Farida Khelfa (égérie notamment d’Azzedine Alaïa, Schiaparelli et Jean-Paul Gaultier), Victoria Beckham (Victoria Beckham), Giambattista Valli (Giambattista Valli), Stefano Tonchi (rédacteur en chef du magazine W), Maria Milano (directrice des collections femme chez Harrods), Antoine Arnault (Berluti et Loro Piana), Alexander Wang (Alexander Wang), Edgardo Osorio (Aquazzura), Erdem (Erdem), Caroline Scheufele (Chopard), Remo Ruffini (Moncler), dame Natalie Massenet (Imaginary Ventures), Haider Ackermann (Haider Ackermann), Sara Sozzani (Vogue Italia), Ruth Chapman (Matchesfashion), Zuhair Murad (Zuhair Murad), Rachad Abiaad (Al Othman, Koweït) et bien d’autres personnalités influentes du monde de la mode, toutes à bord du jury ou du comité exécutif qui comprenait également, entre autres, Nadine Labaki et Reem Acra.

Bruits de couloir

Créé à l’initiative de Tania Farès, fondatrice du Fashion Trust du British Fashion Council, l’incubateur à but non lucratif Fashion Trust Arabia – coprésidé par Tania Farès et la mécène cheikha al-Mayassa bint Hamad al-Thani et placé sous le patronage de la cheikha Moza bint Nasser, mère de l’actuel émir du Qatar – a pour objectif d’apporter aux jeunes créateurs du monde arabe une aide substantielle, tant financière, avec des enveloppes environnant les 200 000 dollars, que logistique, avec des formations permettant aux marques débutantes de se développer de manière durable. Une présélection minutieuse avait retenu 24 candidats sur près de 250 postulants de tout le monde arabe, et la grande surprise, à l’arrivée, fut de constater que sur les 24, 11 étaient libanais. Déjà de perfides bruits de couloir laissaient entendre que ce « Fashion Trust Arabia » était en fait un « Fashion Trust Lebanon », et la délégation libanaise avait le pressentiment de devoir être pénalisée par cette suprématie involontaire. De fait, les Libanais étaient présents dans l’ensemble des cinq catégories de la compétition : tenues de soirée, prêt-à-porter, bijoux et accessoires, chaussures, sacs.


L’amitié avant toute chose

« J’ai entendu parler de la compétition par hasard, confie Roni Helou, à travers le photographe Tarek Moukaddem. J’ai voulu m’inscrire sur le site, mais je n’avais que deux ans d’expérience professionnelle, et le règlement en exigeait trois. C’est un autre hasard qui a voulu que j’y revienne, quand les délégués de FTA ont approché Creative Space Beirut où je travaille 18 heures par jour pour les inviter à participer. Ils m’ont dit de tenter ma chance, malgré la clause des trois ans. Un jour, à mon retour de Londres où je participais avec la fondation Starch à l’International Fashion Showcase, je reçois un message m’annonçant que ma candidature était retenue. J’ai pensé à ce que ma participation pourrait apporter à Creative Space, une école de mode gratuite, fondée par Sarah Hermez et Tracy Moussi. Quand je suis arrivé sur place, avec Sarah, j’ai d’abord été ébloui par la force du potentiel humain qui se trouvait là. Je viens d’un milieu modeste, ce qui fait que je suis plutôt terre à terre. Pour moi, les stars sont avant tout des personnes, je n’étais pas du tout impressionné. Je voulais surtout me rapprocher des autres candidats, écouter leur histoire, comprendre leur démarche. Je les ai tous aidés à monter leurs stands. Il allait y avoir des gagnants et des déçus, et naturellement nous voulions tous gagner. L’enjeu était de taille. Mais je voulais surtout que nous restions amis après, et c’est ce qui est arrivé. Il y avait entre nous une ambiance extraordinaire. »


(Pour mémoire : Les créateurs libanais majoritaires parmi les finalistes du FTA)



Passion, compassion et bienveillance

À tout juste 26 ans, Roni Helou est un des benjamins de la scène de la mode libanaise. Il véhicule à ce titre les valeurs d’une nouvelle génération : l’implication des communautés, la durabilité, le soutien aux artisans, la communication de messages bienveillants, la protection du vivant, de l’héritage, de la Terre. Enfant, il avait une passion pour les textures et les textiles. « J’enveloppais ma sœur de 12 ans dans des sacs poubelles et je tentais de les souder au feu pour créer des formes », confie le styliste. Mais le sens du devoir occulte en lui l’artiste. Ce qu’il veut déjà, c’est intégrer, pour aider sa famille, l’obsessionnelle trilogie de l’ascension sociale : droit, médecine ou ingénierie. Mais les moyens lui font défaut, et il rate son inscription à l’USJ à cause d’une bourse qui tarde à arriver. Le hasard le conduit finalement à des études en management à l’Université antonine. « Je réussis, mais je suis malheureux. » Le hasard encore le met sur la voie de Creative Space Beirut, une école de mode gratuite créée par Sarah Hermez et Tracy Moussi, avec pour marraine Caroline Simonelli, l’un des piliers de Parsons où Sarah a fait ses études. « J’ai mis mes plus beaux habits de chez Zara et je suis allé les voir, raconte Helou. Je leur montre mes croquis, elles m’acceptent (plus tard, elles me diront que mes croquis étaient exécrables, mais qu’elles ont aimé mon attitude). » « À l’époque, je n’ai pas l’intention d’abandonner mes études universitaires. Je travaille comme serveur chez Lina’s ABC et j’occupe mon temps libre à guider des brigades de sauvetage d’animaux errants. Tout l’argent que je gagne est investi dans cette mission. Cette expérience m’apprend le leadership. Elle m’apprend surtout la compassion, la valeur de la vie, l’urgence d’aider ceux qui sont dans le besoin, humains ou animaux. Je mûris vite, en 5 ans. Je deviens végane par besoin de cohérence. Mon travail à CSL n’est pas fameux, mais il me fait du bien. Je demande à garder la clé. Je me rends à l’atelier le soir et je travaille jusqu’à pas d’heure. Je progresse rapidement. Une première exposition où la plupart de mes pièces sont vendues attire l’attention de Tala Hajjar et je suis enrôlé dans l’incubateur Starch. Sarah Hermez investit avec moi 5 000 dollars et ce petit capital se multiplie rapidement. Je quitte évidemment l’université et je m’engage à plein temps à CSB où j’enseigne gratuitement. J’enseigne aussi à l’Alba où la vision de Tony Delcampe et Émilie Duval m’aide à affiner mon identité. »


Basketball et irisations de la gadoue

« Mon identité a été façonnée tant par mon engagement que par nécessité. Je n’avais ni les moyens d’acheter de beaux tissus ni le désir de travailler avec des textiles de masse de petite qualité et issus de l’industrie la plus polluante de la planète. Je me suis mis à la recherche de stocks d’avant-guerre, connaissant le raffinement de cette période prospère. J’en ai trouvé un peu partout, surtout, curieusement, sur les lignes de démarcation. J’effectue ensuite un sondage pour détecter ce qui peut, parmi les 18 communautés confessionnelles du Liban, servir de dénominateur commun entre les gens. Je constate que la cohésion a connu un pic entre 1998 et 2004 grâce… au basketball ! C’est ainsi que j’intègre le vocabulaire du basket dans ma première collection. L’automne-hiver 2019 a été shooté dans la décharge de Saïda. C’était une décision un peu téméraire et en tous cas à la fois difficile et gratifiante. Nous avons découvert des communautés qui vivent sur place avec les animaux errants. J’ai découvert aussi que cette pollution produisait des couleurs extraordinaires. On n’imagine pas les irisations qu’on peut trouver dans les ruissellements, ni la couleur du coucher de soleil au-dessus des déchets. Un journaliste m’a reproché de véhiculer une image négative du Liban. Mais j’appartiens à une génération qui ne veut plus escamoter la réalité. Nous devons faire face. Si cette collection et ce message peuvent attirer l’attention de quelqu’un qui pourrait nous aider à régler ce problème endémique, pourquoi pas ? »


Trois prix sur cinq attribués aux Libanais

« Pour en revenir au FTA, quand les résultats ont été annoncés, j’étais à la fois confiant et incrédule. Krikor Jabotian a remporté le prix “tenues de soirée”. Salim Azzam et moi-même avons gagné le prix “prêt-à-porter”. Mukhi Sisters ont obtenu le prix “accessoires”. Cela fait quatre Libanais pour trois prix sur cinq ! Les géniaux Égyptiens Sabri-Maarouf ont reçu le prix “sacs” et les Marocaines Zyne le prix “chaussures”. Quand j’ai été invité sur scène avec Salim pour recevoir notre trophée, Salim a pris la parole pour annoncer qu’une fête avait lieu en ce moment même dans la montagne libanaise. Lui qui fait travailler une vingtaine de brodeuses de sa région en est devenu l’un des principaux pourvoyeurs d’emploi pour les femmes. » « J’ai reçu 400 demandes de personnes qui souhaitent travailler avec nous elles aussi, a-t-il confié. Il m’arrivait de pleurer d’impuissance en lisant leurs lettres. Grâce à ce prix, nous allons pouvoir faire davantage. » Roni Helou, dont les rêves sont multiples, souhaite par-dessus tout aider CSL à continuer à offrir une éducation gratuite aux jeunes talents et plus tard créer un sanctuaire offrant aux personnes démunies et aux animaux errants une vie décente. Pour sa part, il a simplement dédié son prix à Sarah Hermez, présente dans la salle, et qui n’a pas pu retenir ses sanglots. Non seulement l’initiative FTA a-t-elle rendu les rêves possibles, mais le prestigieux jury a eu la subtilité de reconnaître aussi bien le talent des candidats que leur inestimable contribution, à travers la mode, à l’amélioration des conditions de vie de leurs communautés.



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