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Culture - Musique

« Irtijal », tout est permis, tout est possible

Le festival de musique expérimentale joue savamment des différentes ambiances sonores de Beyrouth pour développer une expérience sensorielle qui va bien au-delà de la simple écoute musicale.

Jouant des effets de contraste, la programmation du festival Irtijal bouscule les attentes, secoue et mélange les humeurs. Photo Sama Beydoun

Pour sa quinzième année, le festival de musique expérimentale Irtijal a démarré dans un Metro al-Madina calme et attentif, bien que bondé. Sur scène, les quatre membres du groupe Trigger Happy émettent un à un, lentement, des sons en tous genres. Quelques percussions répondent à un coup de saxophone, une table de mixage accompagne le tout et parsème l’air de pulsions électroniques : en crescendo, le rythme avec lequel chaque artiste répond à l’idée émise par l’autre s’accélère, l’intensité progresse et le volume augmente considérablement. On comprend que les musiciens sont dans la recherche et l’expérimentation, au point de parfois déclencher des rires nerveux et surpris dans la salle. C’est alors que, soudainement, leurs directions sonores respectives s’associent, se superposent, s’accouplent, et la performance se transforme en un concert détonnant. De la même manière, l’association entre le duo libanais Two or the Dragon et les musiciens allemands Joss Turnbull et Pablo Giw est entièrement improvisée. Tout est permis, rien n’est impossible : la quête d’un son puissant et nouveau peut tout prendre sur son passage, même cette bouteille d’eau en plastique que le trompettiste finira par écraser violemment devant son micro. Au terme de ce qui s’apparente à une véritable séance d’hypnose par l’ouïe, le public conclut la soirée par des applaudissements et des cris de joie. Comme libérés d’une expérience à l’intensité insoupçonnée, les spectateurs félicitent abasourdis les artistes, mais aussi eux-mêmes, car sans le savoir, ils ont fait partie intégrante des expérimentations.


Impros blitz

Un autre succès d’Irtijal 2019 à signaler : la cohérence entre les salles choisies et les performances qui s’y déroulent. Pour le deuxième jour, au Ballroom Blitz, le large espace et la grande scène se prêtent à des concerts plus structurés. La voix de Nadah el-Shazly, emmenée par la guitare, la basse et la batterie, poignante et vulnérable, baigne l’audience dans un recueillement solennel et paradoxalement isolant. Alors, au comble de la vulnérabilité, la techno enflammée de l’Allemand Thomas Brinkmann rend au Ballroom Blitz sa nature première : celle d’une boîte de nuit électrisante.

Jouant des effets de contraste, la programmation du festival bouscule les attentes, secoue et mélange les humeurs.

La primauté est donnée au son et à la recherche qui s’opère autour de lui. Le reste, musiciens, spectateurs, ambiance, ne sont que les témoins et les incarnations d’une puissance sonore qui vibre sur eux. Le lendemain, le petit amphithéâtre de Zoukak, plongé dans la pénombre, intimiste, se concentre sur les artistes qui passent l’un après l’autre sous les spotlights. Assis, debout ou agenouillés, le dos courbé sur leurs instruments divers, ils improvisent avec un calme olympien. De leur maîtrise technique émerge un son qu’eux-mêmes ne connaissent pas, ou peu. Le silence en est progressivement rempli, à mesure que l’intensité des crissements électroniques et grondements lourds fait trembler murs et tympans. D’une performance à l’autre, cette intensité varie, et met les spectateurs dans différents états d’esprit. Alors que la douceur ondulante des riffs de guitare modifiée de Fadi Tabbal en berce plus d’un dans un véritable sommeil, les ultrasons du Suisse Christof Migone crispent, tendent le public comme pour lui rappeler que ce moment n’est pas dédié à l’expérience du plaisir, mais au plaisir de l’expérience.


Où règne de l’imprévu...

La musique expérimentale est une performance unique, qui se tient entre un artiste et son public, dans un espace où tous sont absorbés par l’écoute d’un son qui règne, plane et se dessine sans relâche dans l’imprévu.

C’est un échange inhabituel, un rendez-vous secret, où se mélangent initiés et ingénus de tous âges, réunis sous le signe de la découverte et de la stupéfaction.

Le festival Irtijal est ainsi un moment fugace qu’il faut savoir saisir, dont le sens et la portée semblent échapper à tous mais que chacun s’approprie à sa manière. Dans cette expérience collective musicale, chaque spectateur laisse son ouïe voyager et méditer, aux aguets des effets imprévisibles du son sur le corps et l’esprit.

À mille lieues d’un produit de consommation auditive facile et instantanée, la musique expérimentale est un processus direct et improvisé. Quel meilleur contexte alors pour Irtijal, expérience collective cherchant à définir et dépasser sa propre identité, que la ville de Beyrouth ?

Pour sa quinzième année, le festival de musique expérimentale Irtijal a démarré dans un Metro al-Madina calme et attentif, bien que bondé. Sur scène, les quatre membres du groupe Trigger Happy émettent un à un, lentement, des sons en tous genres. Quelques percussions répondent à un coup de saxophone, une table de mixage accompagne le tout et parsème l’air de pulsions...

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