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Moyen Orient et Monde - Éthiopie

Un an après son arrivée au pouvoir, le plus dur reste à faire pour Abiy Ahmed

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Photo d'archives Zacharias Abubeker/AFP

Paix avec l’Érythrée, libération de prisonniers politiques ou encore assouplissement de la censure : dès sa prise de fonctions, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a voulu incarner la rupture avec l’ancien régime. Sa nomination laissait espérer un apaisement des tensions ethniques, ainsi qu’une pratique du pouvoir moins autoritaire et répressive que sous son prédécesseur Hailé Mariam Dessalegn. Mais l’engouement pour le nouveau leader, qui a suscité au départ une véritable « Abiy Mania », semble s’effriter un an seulement après son investiture.

Malgré sa popularité, Abiy Ahmed doit faire face à de nombreux opposants dans le pays. Traître pour certains, Oromo sécessionniste aux yeux de la minorité tigréenne qui détenait le pouvoir jusque-là, il reste une cible privilégiée pour ces groupes comme l’a montré l’attentat à la grenade auquel il a échappé de justesse le 23 juin dernier. Ces opposants dénoncent pêle-mêle une gouvernance en « one-man-show », un programme vide agrémenté d’effets d’annonces, la perpétuation – sous couvert de changement – du règne politique de l’EPRDF (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien) ou encore le remplacement de la domination tigréenne par une domination oromo. D’autant que les répressions policières sanglantes qui ont fait 58 morts en marge des manifestations en septembre 2018 ne peuvent que rappeler les pratiques des précédents gouvernements. De là à entamer tout son crédit ? « Le choc de la manifestation de septembre est resté limité. Ça n’a atteint ni sa popularité ni sa capacité à rester au pouvoir qui va se jauger à des choses beaucoup plus importantes, et notamment à organiser des élections crédibles l’année prochaine », estime Gérard Prunier, spécialiste de la Corne de l’Afrique.


Tout pour séduire

La nomination, le 2 avril 2018, d’Abiy Ahmed, jusqu’alors haut cadre de l’EPRDF peu connu du grand public, à la plus haute fonction du pays était prometteuse. Issu de l’ethnie majoritaire Oromo, il devenait ainsi le premier dirigeant n’appartenant pas à la minorité Tigréenne, qui détient le monopole de l’appareil d’Etat depuis la fin de la guerre civile en 1991. Le nouveau Premier ministre a suscité un véritable engouement dans le pays mais aussi parmi l’importante diaspora éthiopienne. Cette « Abiy Mania » « n’est pas un culte de la personnalité, c’est essentiellement une manifestation d’espoir après des années d’une dictature qui devenait de plus en plus pesante, ou encore la crainte de voir la rébellion oromo se transformer en guerre ouverte », résume Gérard Prunier.

C’est que la personnalité d’Abiy Ahmed a tout pour séduire. À 42 ans, il est actuellement le plus jeune chef de gouvernement africain, mais il est surtout l’incarnation parfaite d’une Éthiopie multiculturelle et multiconfessionnelle. Protestant, d’une mère chrétienne amhara et d’un père musulman oromo, le nouveau Premier ministre parle couramment les trois principales langues du pays, l’oromo, l’amharique et le tigréen. Il fait de son identité plurielle un vecteur de rassemblement et se dresse à contre-courant des multiples tentations séparatistes qui traversent le pays.

Mais c’est surtout par les actes qu’est véritablement née la popularité d’Abiy Ahmed. En moins de 6 mois, surprenant l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux, il lève l’état d’urgence imposé par son prédécesseur, libère de nombreux prisonniers politiques et journalistes, et met fin au conflit qui opposait le pays à l’Érythrée depuis 1993. Il n’en fallait pas plus pour que le pays retrouve sa place dans le concert des nations fréquentables et que les aides et financements internationaux affluent de nouveau vers Addis-Abeba. Abiy Ahmed s’est aussi engagé pour la promotion des femmes en politique en instaurant la parité dans son cabinet ministériel, ainsi qu’en nommant deux femmes à des fonctions étatiques parmi les plus élevées : présidente de la République et présidente du Conseil constitutionnel.

L’état de grâce semble toutefois fini. Abiy Ahmed est confronté au défi de trouver un moyen d’apaiser les tensions ethniques et de redonner un sentiment d’unité nationale dans un pays multifracturé où la résurgence des violences ethniques depuis sa prise de fonctions a déjà provoqué plus d’un million de déplacés internes, faisant du pays le triste champion en la matière. Car pour l’instant, le Premier ministre « n’a pas pu maîtriser les dizaines de foyers de violences ethniques, et le risque est que cela continue et empire », explique Gérard Prunier, le problème étant que « les chocs ethniques qui se produisent un peu partout dans le pays n’opposent pas un camp à un autre, mais des dizaines de terrains d’affrontement distincts », poursuit le chercheur. Alors qu’il a promis d’organiser des élections « libres et justes » en 2020, le report du recensement national qui devait être la première étape du processus électoral laisse planer le doute sur la réelle tenue de celles-ci à la date prévue.


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