Parmi la kyrielle de mesures et de contre-mesures préconisées par le gouvernement « au travail » dans sa déclaration ministérielle ayant obtenu la confiance du Parlement, le 13 février dernier, figure une phrase sibylline qui s’est échappée en douce, sans bruit ni tapage, pour aller se loger dans notre inconscient national afin de féconder tranquillement et d’enfanter d’un monstre potentiel. Le gouvernement annonce ainsi « des décisions, des lois et des réformes courageuses et précises qui pourraient être difficiles et douloureuses pour éviter la dégradation de la situation économique, financière et sociale ».
Face à cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les Libanais, le gouvernement souhaite donc préparer ces derniers à des jours difficiles et à des décisions et réformes « éprouvantes et douloureuses ». Lesquelles consisteront très vraisemblablement, même si cela n’est pas annoncé explicitement, à répartir la charge de la dette publique sur l’ensemble de la population résidente, et peut-être même non résidente, dans l’optique de sa restructuration et de la réduction du déficit.
Force est cependant de constater qu’aucune modalité pratique ou procédure de mise en œuvre de ces décisions n’a été dévoilée à ce jour (mis à part la référence à des déclarations d’intention dont on ignore tout de la mise en œuvre – comme celles qui abondent dans le programme d’investissement en infrastructures (CIP) présenté en avril dernier à la CEDRE, ou des recettes importées « toutes faites », comme la légalisation du cannabis à usage thérapeutique (suggérée par le rapport McKinsey) –, ne serait-ce que pour en indiquer les contours et inviter l’opinion publique à un débat d’idées constructif ou au mieux pour s’y préparer.
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Miser sur « l’anesthésie fiscale » ?
Alors, comment comptent-ils s’y prendre? Plutôt : comment faut-il qu’ils s’y prennent ? Augmenter les impôts directs, qui sont déjà assez élevés pour ceux qui les paient, ou en créer de nouveaux ? Ce qui n’aboutirait en cette période de récession qu’à une récidive certaine de l’expérience « funeste » de la loi 64/2017 sur le financement du coût de l’échelle des salaires dans la fonction publique : l’augmentation de la pression fiscale opérée dans ce cadre ayant eu un effet récessif sur l’activité (et in fine sur les recettes fiscales).
Augmenter les impositions indirectes et notamment la TVA et les droits d’accises, comme le préconise le FMI, en jouant sur l’élément psychologique d’anesthésie fiscale, étant donné que les impôts indirects sont plus discrets et moins douloureux pour le contribuable consommateur qui en supporte en définitive le coût sans trop s’en apercevoir et sans avoir réellement le choix ? Ce serait un crime à l’égard des moins favorisés et ils sont légion. Comme le précisait l’économiste classique français Jean-Baptiste Say : « L’impôt (ou la taxe) est une ponction opérée non sur le revenu, mais sur la seule partie du revenu qui excède le minimum vital », or ce minimum vital est déjà au demeurant largement entamé chez les deux tiers de la population, pour ne pas dire plus.
Une autre tentation – il est vrai non encore formulée explicitement, mais demeurant malheureusement envisageable dans le contexte actuel d’absence de transparence sur ces questions – pourrait consister à hypothéquer, ou « titriser » les revenus éventuels des produits pétroliers et gaziers. Ce serait oublier que ces richesses potentielles appartiennent à toutes les générations et ne peuvent donc être dilapidées par une génération d’enfants prodigues pour réparer et colmater toutes les erreurs accumulées. Elles doivent être placées, comme pour la Norvège, dans un fonds souverain et seuls leurs subsides utilisés dans l’intérêt des citoyens.
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Corriger le système
Non, ne nous méprenons pas ! Aucune de ces mesures socialement injustes ne serait apte à régler nos problèmes systémiques ni à endiguer la dégradation de la situation socio-économique et financière. Pour y parvenir, d’autres pistes mériteraient d’être explorées. La première consisterait à « affamer la bête » (Ronald Reagan) en réduisant les impôts afin d’obliger l’État à réduire ses dépenses publiques. Une diminution des dépenses qui passe aussi et surtout par une réforme et une purge de notre administration pléthorique (dont la charge atteint pratiquement la moitié des revenus et plus du tiers des dépenses publiques). Ce qui comprendrait notamment la suppression des emplois fictifs et des tâches improductives, la réhabilitation des fonctionnaires et la réorientation vers des services utiles aux citoyens.
Il conviendrait ensuite de corriger les disparités du système actuel et d’instituer des mesures de nature à prévenir les abus et à supprimer la fraude. Il faudrait pour cela réaménager l’ensemble du système d’exemptions et d’exonérations pour ne garder que celles bénéficiant réellement aux secteurs de l’économie réelle (notamment l’industrie, l’agriculture, l’innovation et la connaissance). Sachant que pendant des décennies certaines catégories sociales se sont appauvries et d’autres injustement enrichies, notamment du fait de politiques monétaires favorisant l’épargne au détriment de la productivité, ou encore de nombreuses exonérations fiscales injustifiées et inefficientes. Les enjeux réels aujourd’hui sont, d’une part, d’imposer les fortunes et les biens cumulés improductifs ou non générateurs de croissance, comme les rentes et les plus-values immobilières, et d’autre part, d’élargir les cotisations et les couvertures sociales pour lutter contre l’exclusion et la pauvreté de manière à réduire les inégalités sociales et accorder à tous une égalité des chances par l’éducation, la formation et l’emploi.
Il conviendra enfin de changer l’image de l’impôt et la perception négative qu’il inspire en mettant en œuvre une fiscalité « à visage humain », et non une fiscalité confiscatoire qui utilise tous genres de stratagèmes et d’appellations afin de collecter le plus d’impôts pour financer les gaspillages. Il est donc essentiel de fixer les priorités et de refonder le concept même du contrat social en cessant de mettre en gage l’avenir de l’ensemble des citoyens et de leur progéniture pour compenser ce qui a été dilapidé et usurpé par une minorité. L’équité dans la perception de l’impôt est un facteur déterminant : plus le niveau de fraude fiscale impunie apparaît élevé, plus l’impôt apparaît insupportable aux personnes qui ne peuvent matériellement frauder. D’où la nécessité d’œuvrer pour une application juste et équitable des lois par le biais de personnes compétentes et intègres pouvant agir de façon impartiale.
Par Karim DAHER
Avocat, enseignant en droit fiscal à l’USJ et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic).
NB: Cet article a été modifié le 18/03 pour corriger une coquille.
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commentaires (10)
Pour trouver une solution à l'énorme dette publique il convient avant tout d'équilibrer le budget au moins sans compter le coût de la dette qui devrait être entre 3 et 4 milliards p.a. Par la suite la BDL devrait reprendre une partie des intérêts créditeurs sur 10 ans des comptes supérieurs à une certaine taille aussi bien des résidents que des étrangers en s'inspirant de la méthode de Piccard qui a récupéré des milliards dans l'affaire Madoff. Quand les banques payent en USD 3 ou 4% de plus que le taux de référence américain il font saigner le cèdre du Liban et les générations à venir. Les taux créditeurs étaient/sont abusifs dans notre pays.
Shou fi
23 h 29, le 29 mars 2019