En annonçant, lundi soir, sa démission sur Instagram, Mohammad Javad Zarif n’en a pas détaillé les raisons. Tout porte néanmoins à croire que cette décision s’inscrit dans le cadre d’un violent bras de fer avec des "durs" du régime.
Dans la journée, Mahmoud Vaézi, directeur de cabinet de M. Rohani a affirmé, sur Instagram, que le président se tenait derrière le ministre des Affaires étrangères. Il a également démenti que le président ait accepté la démission. "Les paroles du président aujourd'hui faisant l'éloge du ministre montrent clairement que le représentant du peuple iranien est satisfait du travail, de la sagesse et de l'efficacité du Dr Zarif. C'est aussi une réponse à certaines interprétations erronées et tendancieuses", a écrit Mahmoud Vaezi sur Instagram.
Dans la soirée, un message a été posté sur un compte Instagram au nom de Rohani avec les hashtag #Zarif n'est pas seul" et #Zarif reste". Il semble néanmoins que ce compte ne soit pas authentifié.
Un proche de M. Zarif a ainsi indiqué que le ministre a présenté sa démission sous la pression des "durs" du régime mécontents des résultats de l'accord international de juillet 2015 sur le nucléaire iranien. "Il y a eu toutes les semaines des réunions à huis clos où de hauts responsables l'ont bombardé de questions sur l'accord (de 2015) et sur ce qui allait se passer maintenant", a déclaré à Reuters ce proche de Zarif qui a requis l'anonymat. "Il y avait une pression énorme sur lui et sur son patron (le président Hassan Rohani)", a-t-il ajouté. Les composantes les plus anti-occidentales du pouvoir iranien ont vivement critiqué Rohani et Zarif après le retrait en mai dernier des Etats-Unis de l'accord international sur le nucléaire et le rétablissement de sanctions économiques par Washington.
M. Zarif a, pour sa part, déclaré mardi espérer que sa décision de renoncer à ses fonctions permettrait à son ministère de retrouver son "statut légal", sans élaborer à ce sujet. "J'espère que ma démission agira comme un coup de trique qui permettra au ministère des Affaires étrangères de retrouver son statut légal en matière de relations internationales", a dit M. Zarif en s'adressant au personnel de son administration, selon Irna.
Selon le média en ligne Entekhab, celle-ci serait liée à la visite surprise lundi à Téhéran du président syrien Bachar el-Assad. Ce dernier s'est entretenu avec le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, et M. Rohani. M. Zarif n'était présent à aucune de ces deux rencontres, selon l'agence Isna, et il est notablement absent des photos de l'entrevue entre MM. Khamenei et Assad. Après l'annonce de sa démission, Entekhab assure avoir essayé de joindre M. Zarif et reçu de sa part le message suivant: "Après les photos des rencontres d'aujourd'hui, Javad Zarif n'a plus aucune crédibilité dans le monde comme ministre des Affaires étrangères!"
Les luttes intestines en Iran sont un "poison mortel" dans la formulation de la politique étrangère, a également déclaré le ministre des Affaires étrangères dans un entretien publié mardi par le journal Jomhuri Eslami, au lendemain de l'annonce de sa démission. "Nous devons d'abord débarrasser notre politique étrangère de la question des luttes entre partis et groupes", déclare Mohammad Javad Zarif dans l'interview. "Le poison mortel pour la politique étrangère est que la politique étrangère devienne un problème de luttes entre partis et factions", a-t-il ajouté.
Rohani "satisfait" du travail de Zarif
C'est dans ce contexte de bras de fer qu'une majorité de parlementaires iraniens ont signé mardi une lettre au président Hassan Rohani lui demandant le maintien de Mohammad Javad Zarif à son poste, rapporte l'agence de presse iranienne Irna. Selon une rumeur, un grand nombre de diplomates iraniens s'apprêteraient à en outre démissionner si son départ était accepté par le président. Réagissant sur ce point, M. Zarif a appelé mardi les diplomates du ministère des Affaires étrangères à rester en poste. "Je vous conseille à tous, chers frères et sœurs au ministère des Affaires étrangères ou en poste dans des ambassades de vous atteler résolument à votre tâche consistant à défendre notre pays et à vous abstenir de tels actes" (de démissionner, ndlr), a-t-il déclaré, cité par l'agence de presse officielle iranienne Irna.
Cheville ouvrière de l'accord international sur le nucléaire iranien de 2015, M. Zarif a annoncé dans la nuit de lundi à mardi sur Instagram sa démission, désormais entre les mains de M. Rohani. "Je m'excuse de ne plus être capable de continuer à mon poste et pour tous mes manquements dans l'exercice de mes fonctions", a écrit M. Zarif tard lundi soir sur son compte Instagram.
M. Zarif a présenté sa démission à plusieurs reprises, mais le fait "qu'il ait fait cela publiquement cette fois-ci signifie qu'il veut que le président l'accepte", a écrit l'agence Isna, en citant le chef de la Commission parlementaire de la sécurité nationale et des affaires étrangères, Hesmatollah Falahatpiché.
(Portrait : Zarif, cheville ouvrière de l'accord sur le nucléaire iranien)
"Obsession maladive"
Âgé de 59 ans, M. Zarif a dirigé la diplomatie iranienne pendant tout le premier mandat de M. Rohani (2013-2017) et a été reconduit à ce poste après la réélection du président, qui fait figure de modéré en Iran. "Je suis extrêmement reconnaissant au peuple iranien et à ses dirigeants respectés pour la magnanimité dont ils ont fait preuve pendant 67 mois", a-t-il écrit sur son compte Instagram.
M. Zarif a été le négociateur en chef, côté iranien, de l'accord conclu à Vienne en juillet 2015 entre la République islamique et le Groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et Allemagne) pour mettre fin à 12 ans de crise autour de la question nucléaire iranienne. Bête noire des ultraconservateurs iraniens, il a vu ces derniers mois les critiques s'intensifier contre lui après la décision du président américain Donald Trump de retirer unilatéralement son pays de ce pacte en mai 2018.
Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a "pris note" de la démission de son homologue iranien. MM. Zarif et Rohani sont le même "visage d'une mafia religieuse corrompue", a tweeté M. Pompeo, assurant que la politique américaine vis-à-vis de l'Iran restait inchangée.
Diplomate formé aux Etats-Unis (il est titulaire d'un doctorat en droit de l'Université de Denver), M. Zarif est à l'étranger le visage de la politique de détente promue par M. Rohani, pourfendue par les ultraconservateurs à Téhéran. Parlant couramment anglais, il est habitué des forums internationaux. Le 17 février, à la conférence de Munich (Allemagne) sur les questions de sécurité, il avait qualifié la politique américaine vis-à-vis de l'Iran "d'obsession maladive" qui fait "souffrir" le Moyen-Orient depuis des décennies.
En conflit avec ultraconservateurs
Défenseur inlassable de l'accord de 2015, même après le retrait américain, M. Zarif a croisé le fer à de nombreuses reprises avec ses adversaires ultraconservateurs iranien pour qui l'accord de Vienne est un mauvais texte au nom duquel l'Iran a fait des concession énormes sans rien obtenir de substantiel en retour. Début décembre, plusieurs députés ultras ayant entamé une procédure de destitution à son encontre avaient finalement fait machine arrière.
Dans son dernier combat pour défendre la politique du gouvernement face aux ultras, M. Zarif a appelé un organe de contrôle du système politique iranien à ne pas faire dérailler les efforts entrepris par Téhéran pour se conformer aux critères internationaux contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Vendredi, le Groupe d'action financière (Gafi) a décidé d'accorder un ultime délai à l'Iran pour que le pays se conforme d'ici à juin aux critères internationaux en la matière, sous peine de sanctions. Le non respect des engagements pris par le gouvernement iranien sur ces sujets risque de faire capoter le système de troc imaginé par l'Union européenne pour permettre à Téhéran de continuer à commercer avec l'Europe en contournant les sanctions américaines.
S'exprimant mardi sur le sujet devant la banque centrale --sans aborder le cas de M. Zarif--, M. Rohani a assuré que le guide suprême lui avait dit "plusieurs fois qu'[il n'était] pas opposé" aux lois votées sur ces questions par le parlement, actuellement bloquées par des organismes chargés de contrôler les travaux du parlement. "Alors qui est contre" ces lois?, s'est demandé le président. "On ne peut pas laisser [le sort de ce] pays entre les mains de 10 à 20 personnes et se coucher devant chacune de leurs décisions."
Cité par Isna, M. Zarif avait, pour sa part, appelé les membres d'un organe de contrôle du système politique iranien dominé par les ultraconservateurs à prendre "leurs décisions en fonction des réalités". "Jusqu'à présent, avait-il ajouté, ils affirmaient que rien n'allait se passer, maintenant ils voient la réalité de la situation."
Netanyahu se réjouit
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, grand pourfendeur de l'Iran, a réagi mardi à la démission annoncée du chef de la diplomatie en s'exclamant "bon débarras". "Zarif est parti, bon débarras. Tant que je serai là, l'Iran n'aura pas de bombes nucléaires", a dit M. Netanyahu sur Twitter. M. Netanyahu s'est démené pour obtenir la dénonciation de l'accord international limitant le programme nucléaire iranien, dont le président Donald Trump a décidé de retirer unilatéralement les Etats-Unis en 2018.
Remarque : ce texte a été corrigé à 19h30. Le compte Instagram du président précédemment cité n'ayant pas été authentifié.
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Voilà que nathanmachintruc se croit éternel, lui qui a vu son ministre videur de boîte de nuit démissionner, pour protester contre la signature pressée d'un cessez le feu à Gaza.
20 h 38, le 26 février 2019