Le verdict du Conseil constitutionnel est enfin tombé : sur les 17 recours en invalidation des élections présentés devant cette instance par des candidats malheureux, seule l’élection de Dima Jamali, élue sur la liste du courant du Futur dans la circonscription du Liban-Nord II (Tripoli, Minié-Denniyé), a été annulée du fait des « irrégularités constatées dans l’un des bureaux de vote à Tripoli ». Une décision qui vient égratigner un peu plus le chef du courant du Futur, le Premier ministre Saad Hariri, sorti relativement affaibli des élections de mai dernier. Pour le bloc du Futur, qui a tenu hier soir une réunion urgente, il s’agit d’une véritable « trahison » et d’un « faux pas » commis par le Conseil constitutionnel.
Soumis par Taha Nagi, candidat sunnite des Ahbache (islamistes prosyriens) qui s’était présenté sur la liste de la « dignité nationale » parrainée par Fayçal Karamé, le recours a abouti, mais sans pour autant entériner la députation de M. Nagi, le premier parmi les perdants.
Par un vote de 7 sur 10, les membres du Conseil constitutionnel ont estimé qu’une nouvelle élection partielle devra avoir lieu, le calcul des restes n’étant pas suffisamment important pour confirmer la victoire de Taha Nagi. Le second argument avancé par le CC est la constatation d’importantes irrégularités qui ont entaché le scrutin. Le président du CC, Issam Sleiman, a fait état, lors d’une conférence de presse, de « manipulations frauduleuses des enveloppes contenant les bulletins de vote » dans l’une des écoles affectées à l’opération électorale, les collèges électoraux ayant également réceptionné les « enveloppes sans les documents justificatifs ». Même les bulletins étaient entachés d’irrégularités, a encore noté M. Sleiman.
Aussitôt annoncée, la décision du CC a suscité le courroux du courant du Futur aussi bien que de Fayçal Karamé, qui a critiqué le fait que le CC ait laissé vide le siège de Mme Jamali dans l’attente d’une partielle au lieu d’y nommer directement M. Nagi, « sachant que les plus grandes infractions ont été commises à l’encontre de notre liste ». M. Karamé a estimé que le calcul du plus « grand reste » devait automatiquement jouer en faveur de M. Nagi qui devait être déclaré victorieux. Un avis que ne partage pas nécessairement un expert juridique, qui rappelle que le règlement du CC donne à ce dernier un pouvoir d’appréciation pour juger de l’opportunité d’une élection partielle.
À son tour, le courant du Futur a dénoncé, à l’issue d’une réunion urgente, une décision « arbitraire » obtenue suite à des « pressions politiques ». Dans un communiqué au ton extrêmement virulent, Bahia Hariri a évoqué une « trahison qui vise le Premier ministre Saad Hariri », soulignant que l’instance judiciaire a été « instrumentalisée pour poignarder » le chef du gouvernement. Le communiqué évoque à ce propos le fait que l’un des membres du Conseil constitutionnel, le juge Ahmad Takkieddine, a été forcé, sous la pression, à revenir sur sa décision initiale pour finir par avaliser la décision des six autres membres du CC qui ont voté l’annulation de la députation de Mme Jamali.
Le Futur riposte
Tout en affichant sa volonté de respecter la décision du CC, qu’elle a pourtant accusé de « se laisser prendre au jeu des interférences politiques », Mme Jamali a déclaré, après un entretien avec M. Hariri, qu’elle comptait « poursuivre la bataille ».
En invalidant l’élection de Mme Jamali, le Conseil constitutionnel venait ainsi de donner le coup d’envoi à une nouvelle compétition entre divers courants politiques. Pour l’heure, seule Mme Jamali a clairement indiqué qu’elle se représenterait. Elle sera soutenue par la base électorale de M. Safadi, son épouse Violette Khaïrallah Safadi, ministre d’État relevant de la quote-part du courant du Futur, ayant d’ores et déjà annoncé, dans un tweet, qu’elle œuvrera en vue de sa « réintégration au Parlement ». Lors des législatives de mai 2018, le courant du Futur avait largement bénéficié de l’électorat de Mohammad Safadi qui avait concocté une alliance politique avec M. Hariri.
Dans les milieux de l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qui s’est rallié récemment à Saad Hariri après avoir mené bataille contre le courant du Futur lors du scrutin de mai dernier, l’heure est à la réflexion. Dans son entourage, on affirme que la décision de présenter un candidat n’a pas encore été prise et ne le sera qu’une fois que l’ancien chef de gouvernement se sera entretenu avec Saad Hariri. « La situation a changé aujourd’hui, et du fait de l’alliance qui unit désormais les deux hommes, la décision devra être prise en conséquence », assure une source proche de M. Mikati. Comprendre que ce dernier cherchera probablement à éviter de soutenir un candidat qui risque de concurrencer Mme Jamali.
De son côté, l’ancien ministre Achraf Rifi, candidat à l’un des sièges sunnites de Tripoli et qui avait également présenté un recours en invalidation, a indiqué « respecter la décision du CC », malgré certaines remarques. « Je vais entrer en contact avec les Tripolitains et les forces politiques et populaires de la ville afin de discuter de la future partielle », a-t-il ajouté.
Le défi est lancé, notamment pour M. Hariri, appelé doublement à sauver la face. Il devra notamment prouver, à l’occasion de cette nouvelle consultation, que sa popularité dans la ville de Tripoli reste intacte. Par ailleurs, M. Hariri, qui vient à peine de s’en tirer d’un bras de fer qui l’avait opposé aux sunnites du 8 Mars (qui avaient imposé de se faire représenter, contre le souhait du Premier ministre, au sein du gouvernement), est appelé une seconde fois à croiser le fer avec ce camp politique adverse.
Pour de nombreux observateurs, Mme Jamali n’aura toutefois pas beaucoup de mal à repasser le test, surtout que cette fois-ci, c’est le scrutin majoritaire et non proportionnel qui s’appliquera. Il reste à voir quels seront les candidats qui lui feront face et les enjeux politiques qui interviendront.
Pour mémoire
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Il est où le scandale? Refaites le match et que le meilleur gagne c’est tout.
16 h 28, le 22 février 2019