Les Ouïgours sont victimes de répression, selon des preuves recueillies par des ONG et des médias. Photo AFP/Getty Images/Ozan Kose
Prince héritier d’un royaume abritant les deux grandes villes saintes de l’islam, Mohammad ben Salmane s’inquiétera-t-il du sort des Ouïghours lors de sa visite en Chine qui débute aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Le dauphin, mis à mal par l’affaire Khashoggi – en référence au journaliste saoudien assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul – est en opération séduction en Asie et ne devrait pas risquer de compromettre ses relations avec Pékin pour une question relative aux droits de l’homme, sujet sur lequel il n’a jusqu’ici pas fait preuve d’une grande sensibilité. Son silence s’inscrirait toutefois en parfaite harmonie avec l’attitude générale des pays musulmans par rapport à la question de la répression des autorités chinoises exercée sur cette minorité musulmane.
À l’exception de la Turquie, qui a dénoncé le 9 février dernier le traitement de cette communauté turcophone par la Chine comme « une honte pour l’humanité », « pas un seul gouvernement d’un pays membre de l’Organisation de la coopération islamique n’a explicitement interpellé la Chine pour ses abus choquants envers les musulmans », rapportait Human Rights Watch dans un rapport publié le 8 novembre 2018. Dans un document publié en septembre 2018, le Congrès mondial des Ouïghours affirme que « plus de 100 pays, dont une grande partie à majorité musulmane, étaient restés silencieux ou pire » sur la question. Le rapport accusait notamment l’Égypte d’avoir été complice il y a deux ans d’exactions envers cette communauté. De nombreux ressortissants ouïghours ont en effet fait l’objet de rafles, d’arrestations arbitraires, au sein de l’Université de théologie du Caire. Depuis déportés en Chine, aucune nouvelle n’a été donnée au sujet des personnes interpellées.
Les autorités chinoises détiendraient jusqu’à un million de musulmans ouïghours dans des centres de rééducation, selon les experts et les organisations de défense des droits de l’homme. La région du nord-ouest de la Chine, qui abrite environ 12 millions de musulmans ouïghours et kazakhs, subit une politique de répression menée par le régime chinois, qui accuse les communautés musulmanes d’être « infectées par une maladie idéologique », un terme employé régulièrement par le Parti communiste chinois. Les prières, l’éducation religieuse et le jeûne du ramadan sont de plus en plus limités ou interdits dans la région.
Mais le sort de cette communauté, qui se trouve aux confins du monde musulman, ne semble pas intéresser les pays musulmans, mêmes ceux qui prétendent être les principaux défenseurs de l’islam, en raison de leurs partenariats économiques avec la Chine. « Le mercantilisme et l’esprit marchand l’emportent sur le panislamisme », résume Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut français de géopolitique (Paris-VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More, contacté par L’Orient-Le Jour.
(Lire aussi : Des Ouïghours exigent de Pékin des preuves de vie de leurs proches)
Accès restreint à l’information
Les pays concernés sont pour la plupart membres de la Banque asiatique d’investissement en infrastructures, dirigée par la République démocratique de Chine. Les pays arabes ne font pas exception. Le président chinois Xi Jinping a promis, en juillet dernier lors de sa tournée au Moyen-Orient, 20 milliards de dollars de prêts aux pays arabes, dont le Liban, dans ce qui a été qualifié de plan Marshall pour le monde arabe. Pékin possède une forte influence dans la région, au point qu’elle absorbe environ les trois quarts des exportations d’hydrocarbures du golfe Arabo-Persique, faisant de l’Arabie saoudite l’un des principaux fournisseurs de pétrole pour la Chine, après la Russie. Quel serait donc l’intérêt de se confronter à la Chine alors que les rapports commerciaux sont si étroits et bénéfiques ? « De nombreux pays du Moyen-Orient deviennent de plus en plus dépendants économiquement de la Chine », expliquait à Foreign Policy, en juillet 2018, Simone Van Nieuwenhuizen, experte en relations sino-orientales à l’Université de technologie de Sydney. « La stratégie géoéconomique de la Chine a eu pour résultat une influence politique », ajoutait-elle.
Les pays à majorité musulmane de l’Asie centrale ne sont pas en reste. « La Chine est une superpuissance qui tente de maîtriser d’autres nations », explique à L’OLJ Musa Farouk Ahmad, directeur du think tank Islamic Renaissance Front (IRF) en Malaisie. À titre d’exemple, le ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan a fait pression sur la Chine concernant les citoyens kazakhs portés disparus dans le Xinjiang, mais le pays reste prudent face à la contestation de son puissant voisin, avec qui les projets industriels dépassent les 27 milliards de dollars.
L’enjeu économique n’explique toutefois pas tout. L’accès restreint à l’information dans le Xinjiang rend le sort des Ouïghours plus isolé et éloigné de la conscience de la plupart des musulmans. Le conflit israélo-palestinien et la crise des Rohingyas bénéficient d’une couverture médiatique étrangère importante, alors que cette région de Chine possède l’un des systèmes de surveillance les plus répressifs au monde et peu d’images sont en train d’émerger du Xinjiang en raison des restrictions d’accès à la presse et de l’importante censure. Le sujet ne fait d’ailleurs pas l’objet d’une couverture importante dans la pression arabe. Ce n’est cependant pas une excuse selon Rémi Castets, maître de conférences à l’université Bordeaux Montaigne et spécialiste de la question ouïghoure, contacté par L’OLJ. « Le rapport d’Human Rights Watch et les nombreux témoignages des Ouïghours de l’étranger font que plus personne ne peut prétendre ne pas savoir ce qui se passe au Xinjiang. »
Il pourrait néanmoins s’avérer de plus en plus difficile de maintenir ce mutisme au sein des grandes nations à majorité musulmane. Pour Musa Farouk Ahmad, « il existe deux pays musulmans qui peuvent mettre la pression sur la Chine : la Turquie et la Malaisie. Ces deux pays sont en mesure de dire “non” à la persécution de masse de cette minorité musulmane ». L’État turc s’est officiellement présenté comme défenseur de la communauté turcophone en réclamant la fermeture des camps d’internement. La Malaisie, quant à elle, a adopté une position plus dure vis-à-vis de la Chine depuis l’arrivée en mai dernier du nouveau Premier ministre, Mahathir Mohamad, qui a libéré 11 détenus ouïghours en dépit de la demande de la Chine de les rapatrier de force. Ce geste, associé à l’annulation de 20 milliards de dollars de projets alloués à des entreprises chinoises, suggère que la Malaisie serait disposée à prendre de nouvelles mesures.
Pour mémoire
La Chine détiendrait un million d'Ouïghours dans des camps d'internement, selon l'ONU
Pékin proteste après les critiques d'Ankara sur le sort des Ouïghours, dément la mort d'un poète
Ankara qualifie le sort des Ouïghours en Chine de "honte pour l'humanité"
Prince héritier d’un royaume abritant les deux grandes villes saintes de l’islam, Mohammad ben Salmane s’inquiétera-t-il du sort des Ouïghours lors de sa visite en Chine qui débute aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Le dauphin, mis à mal par l’affaire Khashoggi – en référence au journaliste saoudien assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul – est en opération...
commentaires (6)
C’est tout simplement scandaleux. C’est horrible, c’est une honte, et pas que pour les musulmans, mais aussi pour les chretiens, et pour tout ceux qui croient encore aux droits de l’Homme.
Chady
16 h 41, le 22 février 2019