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Culture - Débat

« The Favourite » aux oscars : yes or no

Olivia Colman et Emma Stone. Photo DR

Jour-4 avant la 91e cérémonie des Academy Awards, qui récompense les œuvres cinématographiques de l’année 2018. Il est évident que jamais un film n’aura l’unanimité de tous les publics. Après « Vice », « Green Book » et « Roma », un autre grand favori dispute avec ce dernier, signé Alfonso Cuaron, dix trophées : et qui a pour titre – prémonitoire ? – « The Favourite ».

Pour / Un délice royal pour les yeux

Colette KHALAF

Nous sommes au XVIIIe siècle, à la cour d’Angleterre, sous le règne de la dernière de la dynastie des Stuart, la reine Anne, superbement bien interprétée par Olivia Colman. Celle-ci, malade de la goutte, moche et gloutonne, se soucie peu des affres de la guerre à ses portes. Elle est plutôt engluée dans les jeux de la cour, pour le moins qu’on puisse dire dépravés et dégradants. De plus, elle se laisse mener par le bout du nez par sa favorite (pour une fois ce n’en est pas un… mâle ) et amante, lady Sarah (Rachel Weisz). Arrive une troisième trublionne, Abigail, la douce mais perfide Emma Stone. Cupide et arriviste, cette louve aux dents longues veut devenir calife à la place du calife ou plutôt favorite à la place de la favorite. Plus qu’un film, The Favourite du réalisateur de génie Yorgos Lanthimos, qui avait déjà fait des vagues à Cannes en 2015 avec son Lobster (Le homard), est un pur chef-d’œuvre.


Triumvirat féminin
Le cinéaste fait exploser les codes du film de genre et dans ce cas particulier l’historique et crée un décalage entre la période choisie et les anachronismes de langage. Insolite et ébouriffant. À l’instar de ces escogriffes à perruques qui évoluent sur la piste de danse comme des marionnettes. Chez Lanthimos, il n’est pas question de valse ou de menuets, ni même de quadrilles, mais bien de jeux acrobatiques à la limite du pilates. Comme Sofia Coppola, qui avait offert à voir une

Marie-Antoinette pop rose bonbon et rock and roll, mais pas exactement, Lanthimos joue la carte du réel, mais tout dans les contrastes. La musique est à la fois baroque et trash ; le langage trop moderne, audacieux même, jure avec son époque, et les plans très élargis par l’objectif fisheye rendent l’espace étouffant et claustrophobe. Les sujets de la reine, qui jouent tout le temps avec les animaux, sont eux-mêmes une basse-cour. D’ailleurs, le cinéaste grec n’a jamais caché sa prédilection pour les bêtes et leur ressemblance avec les hommes. Comme un Jean de La Fontaine moderne, Lanthimos explore la nature humaine veule et faible avec sadisme, (ab)usant de sarcasmes, mais aussi de beaucoup d’humour. Il braque les projecteurs sur la cruauté des jeux de pouvoir de ce milieu, les dénonçant avec cet humour grivois souvent très, très accentué. Tout en nous faisant haïr tous ses personnages, il arrive par un coup de baguette magique à les rendre séduisants. C’est que le visuel est magnifique dans ce film. Le clair-obscur de Caravage épouse le cubisme, et les compositions d’habits et de sol sont en osmose avec le décorum. Grâce aussi au jeu de lentilles, aux plongées et contre-plongées de la caméra, le spectateur devient lui-même voyeur. Ce film qui pulvérise la notion de temps et renverse la donne ressemble à un diaporama de toiles où le réalisateur nous invite à jeter un coup d’œil comme à travers un judas. Les influences des grands peintres et même des cinéastes démiurges comme Frederico Fellini, pour les personnages, Stanley Kubrick pour l’éclairage ou encore Milos Forman pour le dialogue discourtois d’Amadeus, se font délicieusement ressentir. Un véritable petit bijou qui continuera à briller longtemps après le dernier plan et qui mérite sans hésiter l’Oscar du meilleur film ainsi que les trophées qui devraient être attribués à son triumvirat féminin.

Contre / À donner le vertige

Danny MALLAT

Les amoureux de l’étiquette, les inconditionnels de films d’époque, et tous ceux pour qui une cour royale est synonyme d’élégance, de courtoisie et de faste, devront malheureusement s’abstenir de voir ce film. Ou alors, ils acceptent de pénétrer dans cet univers tellement loufoque du subversif Yorgos Lanthimos. Oui, son titre suggère une favorite, ici en l’occurrence (pour varier) c’est celle d’une reine. Oui, il est question de soirées flamboyantes, de tenues en plumes et en crinoline, de jeux de cartes et d’enjeux politiques, de ministres et de délégués qui font des allers-retours, sauf que… le film déroge à toutes les règles du film historique et d’époque. Le cahier des charges est totalement renversé et le metteur en scène s’est amusé à détourner constamment les codes. Autour d’une histoire juteuse, d’intrigues politiques et sexuelles, se déploient des dialogues plus que coquins, un vocabulaire moins que royal, servi par une brutalité verbale et de la violence physique, dans des couloirs interminables et désespérément sombres d’un château éclairé à la bougie comme une toile du Caravage. La violence du cinéaste grec est sous-jacente, souvent vicieuse (tel écraser un lapin, faire voler en éclats un pigeon ou encore faire une branlette à son mari...). Des images qu’on n’est pas prêt d’oublier tant elles sont puissantes, voire provocatrices.


Vous avez dit 17 lapins ?
Dans sa « cour » de récréation, Lanthimos semble s’amuser à faire peur, et mal. Un peu trop à notre goût. Pas de toilettes en odeur de plantes aromatiques, de bains en marjolaine, poudre d’amande et d’iris parfumant et assouplissant la peau ; pas de belles coiffures et de balades dans des jardins luxuriants sous des ombrelles fleuries, mais des courses de canards, des batailles de tomates contre un éphèbe à la nudité repoussante, une dégustation d’ananas, 17 lapins en mémoire de 17 enfants disparus et surtout, surtout, de la laideur physique. Une reine plus souvent grimée que maquillée qui va se transformer de laide à complètement déformée, et pas de figures de héros ou d’héroïnes auxquels le spectateur aime en général à s’identifier. Lanthimos a privilégié les jeux de manipulation, les saloperies, les crises de colère et les jalousies, toute cette panoplie d’actes qui déforme la figure humaine. Une intrigue qui tourne autour de trois portraits de femmes, portant la culotte, qui tuent, tirent et baisent. The Favourite, qui reste toutefois une œuvre intéressante, se perd dans les couloirs et les dédales d’un palais particulièrement malsain. Surprenant par ses ambitions et surtout par le jeu des trois femmes qui sont nommées pour l’Oscar du meilleur rôle principal (Olivia Colman) et pour le meilleur deuxième rôle (Rachel Weisz et Emma Stone), très séduisant pour certains, puisque nommé pour douze trophées, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas l’œuvre que l’on préfère chez ce cinéaste de l’absurde et de l’étrange. L’Académie des oscars peut certainement avoir le coup de foudre pour The Favourite, mais il n’est cependant pas notre favori.


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