Pour / Une plongée émotionnelle
Danny MALLAT
C’est une demeure bourgeoise dans un quartier privilégié de Mexico où les enfants jouent et se chamaillent, les employées de maison surveillent, cuisinent, rangent et sortent le chien, où les parents entre deux conversations à la volée se déchirent. Si vous partez du principe qu’il faut tenir la première demi-heure pour pouvoir aller au bout du film, n’hésitez plus une seconde, prenez la « zappette » et passez à autre chose. Roma d’Alfonso Cuarón – qui a déjà raflé le Lion d’or à Venise, le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère et celui du meilleur réalisateur, sans oublier les Bafta du meilleur film et du meilleur réalisateur – n’est pas un film pour vous.
Fim autobiographique dans un quartier qui constitue toute l’enfance du réalisateur, Roma est d’abord une déclaration d’amour poignante d’Alfonso Cuarón aux femmes qui l’ont élevé. Il est un album photo monochrome aux bords écornés et aux feuilles jaunies par le temps que l’on déploie et qui trouve dans le noir et blanc de Cuarón tout son sens, celui de la volonté de transmettre des souvenirs lointains et sa force de pouvoir rendre lyriques même les moments les plus banals. Pour son premier rôle au cinéma, Cléo (Yalitza Aparicio), désarmante de naturel, apporte un plein de douceur, de retenue et de pureté. Nous sommes entièrement attirés par son monde. Considérée par les enfants et plus tard par la mère et la grand-mère comme faisant partie de la famille, elle reste une personne toujours à l’extérieur, en retrait, presque en décalage dans un ensemble où elle n’a pas sa place, et la profondeur de champ de chaque image insiste sur son exclusion. Certes, il y a du désespoir, de la tristesse, mais la force du film reste que les scènes qui résonnent le mieux ici ne sont pas les querelles familiales ou les scènes de détresse, mais les moments plus calmes, dans des plans larges et somptueux, au visuel à la minutie détaillée, au montage sonore très riche et aux travellings latéraux de toute beauté. Sans oublier tout un champ de symboliques : de l’avion qui traverse le ciel à la première et à la dernière images à l’eau qui se déverse sur le carrelage, s’échappe dans l’évier, glisse sur les vitres ou sur le pare-brise de la voiture pour finir au creux d’une mer démontée, et enfin à la scène monumentale avec le gourou où le film et Cléo trouvent leur équilibre. Roma est une fresque contemplative empreinte de nostalgie, de lyrisme et de sincérité émotionnelle malgré la multitude de plans fixes. Une œuvre immersive jusqu’aux os.
Contre / Beaucoup de bruit pour rien
Colette KHALAF
On a très vite crié au chef-d’œuvre, et les critiques se sont enflammés. L’effet Netflix est entré dans la partie et ça n’a donné que du gonflant et du gonflé. Maintenant, tout le monde s’est tu et retient son souffle parce que le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón est nommé à toutes les grandes cérémonies de récompenses et spécialement aux Oscars dans toutes les catégories. Comment et par quelle drôle de magie un film peut-il être nommé dans la catégorie du meilleur film étranger et dans la catégorie de meilleur film ? Il faut aussi chercher l’effet Netflix.
Dans Roma, d’autres facteurs entrent en jeu pour accrocher le spectateur. Outre celui de la vague mexicaine qui depuis deux ans remporte tous les trophées (vous ne vous êtes pas demandé pourquoi ?), il y a ce titre de Roma, aguichant, hypnotisant et surtout évocateur d’un cinéaste démiurge, Frederico Fellini. C’est en voyant le film qu’on se rend compte que cela n’a rien à voir.
Malgré tous ces points de départ qui convergent vers un succès annoncé, Roma, s’il reste un bon film avec ses travellings et ses plans-séquences très bien étudiés, son blanc et noir qui donne la couleur nostalgie au travail de Cuarón, n’est certainement pas un chef-d’œuvre et encore moins un film attachant qui vous prend aux tripes sans vous lâcher. Est-ce parce qu’on sent qu’Alfonso Cuarón, excellent technicien de surcroît, en a fait des tonnes pour montrer tout son savoir ? Ou est-ce parce que le trop-plein de détails stylistiques ou autres plonge le spectateur dans un ennui intersidéral (mais ne comprenez pas mal, Gravity méritait toutes les reconnaissances), ou encore parce que même si le réalisateur mexicain évoque son enfance dans le quartier Roma de Mexico, il ne donne cependant pas l’impression d’être très concerné, puisque souvent sa caméra est lointaine, distanciée des profils humains, s’attardant uniquement aux événements et aux détails avec un microscope de scientifique.
On a même l’impression que les acteurs ne sont que des marionnettes au service d’une œuvre. Il convient cependant de saluer Cuarón pour sa fin, magistrale en l’occurrence. Elle ne suffit pas cependant pour sauver le film qui déçoit dans sa globalité.
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