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Patte blanche, mains sales

On gave bien, de force, les oies et les canards. C’est aussi à l’aide d’un régime à base de langue de bois que l’on a traditionnellement nourri les espérances des Libanais. La supercherie prend même une ampleur exceptionnelle en ces deux belles occasions de promettre monts et merveilles que sont les campagnes électorales et l’avènement d’un nouveau gouvernement.


La langue de bois n’est pas totalement absente du plan d’action dont s’est doté, en un temps record, l’équipe Hariri. Saute aux yeux, à titre d’exemple, l’attachement solennel à ce canular qu’est la règle de distanciation par rapport aux conflits régionaux, tous les jours démentie par les faits. Quelque chose pourtant a changé, cette fois. C’est que cette mirifique déclaration ministérielle, bourrée à craquer de bonnes résolutions, n’est pas destinée au seul peuple libanais, serait-il le premier concerné. Elle se veut surtout un gage de sérieux et de maturité, de transparence et de bonne gouvernance, de netteté et d’honnêteté, offert à une communauté internationale désireuse de venir en aide à notre pays. Et qui exige, au vu des expériences malheureuses du passé, que le Liban commence par s’aider lui-même en procédant à des réformes structurelles garantissant un bon usage des prêts généreusement consentis.


De fait, ces réformes sont énoncées avec une inhabituelle précision dans le document fleuve de jeudi, et le gouvernement n’en concrétiserait qu’une partie qu’il aurait amplement mérité déjà de la patrie. Elles ont trait à des domaines aussi variés que le budget, le déficit public, les dépenses courantes, les effectifs pléthoriques de l’administration et cette vieille rengaine de lutte contre la corruption. Le drame (et ce point est loin de figurer dans le texte gouvernemental) est que cette même corruption n’a pas fini d’étendre son ombre sur les réformes sectorielles très attendues et qui touchent tout particulièrement à l’énergie.


En s’engageant à améliorer (sans plus) la collecte des factures de courant, le gouvernement ne fait que reconnaître son impuissance à débarrasser totalement le réseau du parasitage : branchements illicites pratiqués à grande échelle, au vu et au su de tous, dans certaines banlieues dites protégées, et dont le résultat est que des Libanais paient davantage pour que d’autres s’éclairent gratuitement. Non moins inique serait la hausse projetée des tarifs si elle devait intervenir avant une augmentation significative de la production de courant, grâce à la construction de centrales : on n’aurait fait ainsi que pénaliser l’usager et le contribuable pour les rapines auxquelles se sont livrés, des décennies durant, des responsables véreux, et qu’il faudra malheureusement passer aux pertes et profits... Les mêmes doutes et suspicions subsistent d’ailleurs à propos du pétrole et du gaz offshore, malgré la promesse d’un renforcement de la transparence et de la création d’un fonds souverain. Mais nulle part il n’est encore question d’une compagnie nationale des hydrocarbures, seule institution à même de préserver au mieux les intérêts de l’État et du peuple : ce qui n’est visiblement pas pour enchanter les affairistes de la république.


Parce que chat échaudé craint l’eau froide, on considérera avec la même circonspection le projet d’une libéralisation (le mot poli pour privatisation) du secteur des télécoms. Le principe n’est évidemment pas en cause, le citoyen ayant tout à gagner en effet, en termes de tarifs comme de services, d’une concurrence entre multiples opérateurs. Mais on n’aurait pratiquement rien fait si ces derniers, devenus propriétaires et non plus seulement exploitants, échappaient à l’obligation d’investir dans la modernisation du réseau et la qualité des communications.


En définitive, et pour bienvenu que soit le programme gouvernemental, il conduit irrésistiblement à cet amer constat : c’est aux gentils donateurs et prêteurs étrangers que le Liban est tenu de montrer patte blanche, car il ne s’est jamais décidé à sévir tout seul contre les mains sales.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

On gave bien, de force, les oies et les canards. C’est aussi à l’aide d’un régime à base de langue de bois que l’on a traditionnellement nourri les espérances des Libanais. La supercherie prend même une ampleur exceptionnelle en ces deux belles occasions de promettre monts et merveilles que sont les campagnes électorales et l’avènement d’un nouveau gouvernement.La langue de...